Bagagerie d’Antigel : Mission accomplie
Paris Notre-Dame du 22 décembre 2011
Il y a un an, la Bagagerie d’Antigel, initiative paroissiale de St-Jean-Baptiste de Grenelle (15e), ouvrait ses portes. Une lueur d’espoir dans le dur univers de la rue.
C’est un “turnover” permanent. Depuis son inauguration le 6 octobre 2010, la Bagagerie d’Antigel tourne à plein régime : 70 bénévoles se relaient tous les jours – mois d’août et jours fériés compris – pour tenir les quatre heures de permanence quotidienne proposées de 7 à 9 heures et de 20 à 22 heures. Après avoir déposé leurs sacs et affaires personnelles dans ce local propret de 130 m2, les usagers trouvent là de quoi se revigorer et manger un morceau. Bibliothèque et connexion internet sont également à leur disposition… de quoi souffler le temps de quelques précieux quarts d’heure. « L’univers de la rue est extrêmement dur : il y a beaucoup de vols. Mettre en sécurité leurs affaires ici leur libère les mains pendant la journée et leur permet d’exercer une activité ou de faire le point sur leurs démarches administratives », explique François Le Go, cofondateur de la Bagagerie. Alors que la question de l’hébergement des personnes démunies continue de faire débat, ce genre d’initiative, qui a pour but de leur redonner confiance et de les aider à « se relever », reste rare – il n’y a que deux bagageries à Paris à ce jour –. Or force est de constater qu’elle fonctionne. Et même très bien.
« Un réel besoin »
Depuis l’ouverture de ce « vestiaire solidaire », sur les cinquante casiers disponibles, quarante-six sont pleins. Et parmi les usagers, une demi-douzaine est en bonne voie de sortir de la rue. « Le constat est là : cette bagagerie correspond à un réel besoin, affirme François Le Go, fort d’une expérience de plus de dix ans de maraude dans Paris. Aujourd’hui, les casiers sont comptés et ça se bouscule aux portes »… Tellement, que quelques incidents – un « hôte » réfractaire aux règles établies, refusant de partir – perturbent parfois l’équilibre de la maison qui reste fragile. « Dans ce genre de cas, on se retrouve face à nos limites humaines et face à cet état de fait : la rage de l’exclusion. Une exclusion qui marche dans les deux sens : car les pauvres excluent aussi les “riches” », analyse sœur Danièle, de la congrégation des Filles de la charité de Saint-Vincent de Paul. Comme l’indique la bénévole, pour lutter contre cette exclusion sociale à double sens, une « parade » existe : celle de gens de bonne foi et d’un réel échange humain.
Adoucir la réalité de la rue
Car, pour les bénévoles, la Bagagerie est avant tout un lieu où s’exerce la « charité fraternelle ». « Les personnes “à domicile fixe” et les sans-abri se côtoient au-delà du simple échange de bons procédés : nous avons véritablement tissé des liens, affirme sœur Danièle. Au cours de ces rencontres, on peut se poser cette question : « Que me disent-ils à moi, ces pauvres ? Ce sont eux mes enseignants. » Bénévole depuis trois mois, Marie-Myriam, 21 ans, étudiante en philosophie, souligne elle aussi l’ « esprit familial » et la simplicité de la relation : « Nous ne faisons pas grand-chose ici, nous sommes là pour passer de bons moments ensemble. Chacun vient comme il est. » Ce qui ne doit pas empêcher les usagers de participer chacun à la bonne tenue du navire, suivant une discipline stricte – propreté, respect des personnes et du lieu –. Aujourd’hui, certains sont eux-mêmes devenus bénévoles. Comme Jean-Marc, sans-abri, qui travaille dans le bâtiment, ou encore Daniel, en recherche d’emploi et membre du conseil d’administration. Néanmoins, pas de miracles, comme en témoigne François, premier usager de la Bagagerie aujourd’hui sorti de la rue : pour lui, on s’en sort « si on a le cerveau prêt à cela ». • Laurence Faure
LA BAGAGERIE EN CHIFFRES
– 50 casiers utilisés par 46 usagers de 20 à 70 ans
– 70 bénévoles à leur service
– 7 jours sur 7, la Bagagerie accueille ses hôtes lors de deux permanences : de 7h à 9h et de 20h à 22h
– 130 m² d’espace
– 45 000 euros de budget annuel, associant fonds privés, publics et religieux. • L.F.
Usagers de la Bagagerie, ils témoignent
Daniel, 64 ans, usager et bénévole de l’association
« Quand je suis arrivé pour la première fois, je partais en ruines. Le fait de pouvoir poser mes affaires tous les matins et de souffler dans ce lieu m’a aidé à me relever. Car ici, on m’a donné une autonomie : j’ai la possibilité d’avoir les mains libres pour cherchercher du travail. Ce « vestiaire » répond à un véritable besoin, entre autres pour les personnes de la rue qui ont un travail, mais qui n’ont pas de logement. Loin de nous maintenir à la rue, comme nombre d’associations - qui ont en fait une politique d’urgence et ne résolvent pas le problème de fond – cette Bagagerie nous ouvre une porte sur le monde. Il y a enfin ici une prise en charge « humaine » qui nous sort de notre isolement : les bénévoles sont là pour nous écouter. On y trouve aussi une discipline qui nous respecte, comme n’importe quelle personne responsable. Ce sont ces règles et le respect mutuel instauré entre tous qui ont permis par exemple à l’un des usagers de sortir de sa dépendance de l’alcool. Ici, nous avons notre dignité. » • Propos recueillis par L. F.
François, 47 ans, premier usager de la Bagagerie, ancien sans-abri
« Quand je suis arrivé le premier à la Bagagerie, cela faisait trois ans que j’étais à la rue. C’était la descente aux enfers. Ce lieu m’a permis de partir me battre pour retrouver une place dans la société. Avec l’aide d’une association, j’avais déjà sorti un album, en 2007, que j’avais vendu au tour de moi pour vivre. Grâce à la Bagagerie, j’ai pu entamer des démarches auprès d’associations pour trouver un logement, reconquérir mon autonomie et me lancer à long terme dans mon projet professionnel : vivre de ma musique et enregistrer un troisième opus. C’est chose faite aujourd’hui. Dans toutes ces démarches, j’ai été particulièrement « coaché » par un membre bénévole de la Bagagerie sans qui je n’y serais pas arrivé. Je lui dois beaucoup. Le temps passé là-bas était extrêmement précieux : j’avais deux heures le matin pour me réchauffer, prendre mon petit-déjeuner, faire le planning de ma journée. Le soir, j’en profitais pour souffler, faire le point et reprendre des forces. Grâce à l’écoute des bénévoles, ce lieu permet de reprendre confiance dans la vie. La rue, c’est la mort : on y est rejeté par la société et à la merci de tous les dangers. Il faut tendre des mains à ceux qui sont tombés dans cette extrémité. » • Propos recueillis par L. F.
CD Qui sommes- nous ? - 15 € - Contact : 07 60 48 96 35
Contact : bagageriedantigel@yahoo.fr
À noter : les personnes souhaitant s’inscrire doivent pouvoir justifier d’une domiciliation, obtenue par le biais d’une des quatre associations partenaires. Ils sont ensuite reçus par un bénévole, avant d’être inscrits.
La Fondation Notre Dame soutient la Bagagerie d’Antigel.