Texte la conférence de Carême 2012 : « Logement : quelles réponses durables à la crise ? » le 25 mars
Avec M. Philippe PELLETIER, avocat, président du comité stratégique du Plan Bâtiment Grenelle et P. Jacques TRUBLET s.j., théologien.
Une réflexion sur la solidarité ne saurait esquiver la question du mal-logement qui perdure en France, - spécialement dans les régions très urbanisées comme l’Ile-de-France -, malgré les moyens humains et financiers considérables mis en œuvre. Le moment n’est-il pas venu d’essayer, tous ensemble, de réfléchir pour agir autrement en ce temps de crise ?
La question du logement déstructure profondément ceux qui y sont confrontés parce que cela les expose au regard des autres et empiète sur leur intimité. L’absence de logement altère le lien social et condamne à l’exclusion.
Ce sont ces phénomènes que nous analyserons à la lumière de la tradition biblique et de l’enseignement de l’Église afin de nous donner les moyens d’éradiquer ce mal et d’inventer de nouvelles formes de luttes pour une sortie durable de la crise du logement.
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Les conférences seront publiées dans un livre à paraître le dimanche 1er avril 2012 aux éditions Parole et Silence.
M. Philippe PELLETIER, avocat, président du comité stratégique du Plan Bâtiment Grenelle et P. Jacques TRUBLET s.j., théologien
Introduction : Logement et solidarité
C’est sous le signe de la solidarité [1] que ces conférences du Carême ont été placées, et comme il nous revient, à Philippe Pelletier et à moi-même, de traiter du logement, c’est sous cet angle particulier que nous allons aborder cette question.
Si l’on considère la société comme un corps dont les membres sont solidaires, les solutions ne sauraient relever de la seule autorité de l’État et des mécanismes régulateurs dont il dispose. La solidarité implique en effet un engagement de toute la communauté, y compris de ceux qui sont victimes du mal-logement. La loi Solidarité et renouvellement urbains, - dite Loi SRU - du 13 décembre 2000, prenait appui sur le concept de solidarité dans ses orientations, mais se limitait surtout à la solidarité intercommunale.
Mais aborder le logement par le biais de la solidarité, c’est rejoindre la racine du mal-logement, car l’inverse de la solidarité en matière d’habitat, c’est la ghettoïsation [2] qui consiste à répartir la population en fonction des revenus. Avant la construction des grands ensembles, les villes gardaient encore une certaine mixité sociale. Dans les immeubles se côtoyaient des personnes avec des revenus fort différents. Au rez-de-chaussée les commerces et les concierges, au premier étage des gens de classe moyenne, au deuxième étage – l’étage noble – le propriétaire, et au dernier étage le personnel de service. Ainsi, différentes classes sociales habitaient le même espace, selon une répartition verticale. Depuis quelques décennies, on laisse les centres urbains aux classes favorisées tandis que les moins fortunés se trouvent relégués à la périphérie de grandes villes ; et encore de certaines périphéries – là où il y avait des usines –, car le temps de transport est à peu près le même entre Notre-Dame et Saint-Denis ou Neuilly-sur-Seine.
Permettez-moi de vous citer la lettre que François Miron, prévôt des marchands, adressait au roi Henri IV et la réponse que lui fait celui-ci :
« Cher Sire,
Permettez que je me retire en jurant fidélité au Roy, j’ai promis soutenir la Royauté. Or Votre Majesté me commande un acte pernicieux à la Royauté. Je refuse, je le répète, à moucher Maître et Souverain bien aimé. C’est une malheureuse idée de bastir des quartiers à usage exclusif d’artisans et d’ouvriers. Dans une capitale où se trouve le Souverain, il ne faut pas que les petis soient d’un côté et les gros et dodus de l’autre. C’est beaucoup mieux et sûrement quand tout est mélangé. Nos quartiers povres deviendront des citadelles qui bloqueraient nos quartiers riches. Or, comme le Louvre est la partie belle, il pourrait se faire que les balles vinssent ricocher sur vostre Couronne. Je ne veux pas, Sire, être complice de cette mesure. »
Réponse du Roi :
« Compère, vous êtes vif comme un banneton, mais à ta fin du compte un brave et loyal sujet. Soyez content, on fera vos volontés et le Roy de France ira longtemps à votre bette école de sagesse et de prud’homie. Je vous attends à dîner et vous embrasse. »
Ayant ainsi cadré l’orientation de ce dialogue, nous vous proposons d’aborder les trois points suivants : les caractéristiques de la crise actuelle du logement, le chemin parcouru depuis près d’un demi-siècle pour y remédier, et enfin quelques propositions que, en vue d’une solution durable, nous nous risquerons à présenter.
I. Le logement en crise
A – Philippe Pelletier :
Oui, le logement est en crise dans notre pays : cette crise frappe diversement des personnes seules, jeunes et âgées, mais aussi - ce qui est nouveau - des familles en quête d’un toit.
Nous avons tous de cette crise une perception aigüe, même si elle est imprécise, à la mesure de la crainte que trop de nos compatriotes ont du risque d’être privés de logement.
Nous savons tous en effet que le logement est l’accroche essentielle de notre présence à la société : lorsque l’on est mal portant ou privé d’emploi, on peut trouver sa place dans la vie sociale. Mais l’absence de logement rompt tous les liens : sans logis, pas d’adresse, pas de lieu de vie familiale, pas d’endroit même pour trouver le repos nécessaire à chacun.
Pourtant, un regard lucide sur la situation du logement en France interdit de s’arrêter à ce ressenti.
La crise du logement est en réalité à la fois circonscrite et plurielle.
1. Une crise circonscrite :
Circonscrite, parce que la plus grande partie de nos compatriotes sont bien logés, infiniment mieux que l’étaient leurs parents : la France dispose de plus de 33 millions de logements (chiffres 2009), dont près de 28 millions de résidences principales. En cinquante ans, entre 1954 et 2006, une pièce de plus par logement a été gagnée. La surface moyenne par personne a augmenté de 11 m² dans les maisons individuelles, de 6 m² dans les appartements.
En 1954, à peine plus de 10 % des résidences principales avaient une douche ou une baignoire, et 25 % avaient des WC intérieurs ; en 2008, 350 000 logements (soit 1 % du parc environ) manquent d’un des trois éléments de confort (eau courante, sanitaire, WC intérieurs) [3].
Le constat que fait un chercheur résume assez bien la situation actuelle : « Entre 1950 et 2010, les conditions de logement se sont améliorées de façon considérable, que l’on retienne la surface disponible par tête, l’équipement du logement, les éléments du confort, l’accessibilité. Les sondages montrent que majoritairement les Français sont satisfaits quant à leur logement. [4]
2. Une crise plurielle :
Mais la crise est aussi plurielle, parce qu’elle présente des facettes singulièrement diverses :
(1) Manque de logements et de mixité sociale
Elle se caractérise d’abord par un manque de logements dans certaines zones que l’on dit tendues, parce que la demande y excède l’offre. C’est principalement le cas de la région Ile-de-France et de la ville de Paris : l’objectif 2030 de production y est de 1,5 million de logements, soit 70 000 unités à construire par an [5].
La crise trouve aussi son siège dans l’évolution de notre contexte sociétal : aux trente glorieuses, ont succédé les décennies du sous-emploi et de la précarité ; d’autre part, le vieillissement et le relâchement du lien conjugal ont entraîné, à population égale, un accroissement du besoin de logements, particulièrement de logements peu onéreux.
La crise, c’est aussi celle de la ségrégation sociale qui s’est progressivement installée dans notre paysage urbain : ici des espaces dédiés à l’habitat des ménages les plus aisés ; là, souvent en grande périphérie, les cités où se regroupent tant de misères économiques et d’errances sociales, logées si loin de tout [6].
(2) Le coût du logement
La crise s’enracine également dans le coût du logement : nos compatriotes, propriétaires ou locataires, consacrent à leur logement une part croissante de leurs revenus et, en cela, nous ressemblons aux ressortissants européens : dans 21 des 27 pays membres de l’Europe, le logement est le premier poste de dépenses des ménages [7].
En France, les dépenses courantes de logement sont passées de 17 % du revenu brut disponible en 1974 à près de 23 % en 2006. Sur la période 2002-2006, le taux moyen de croissance annuel de la dépense de logement atteint 4,1 % pour les accédants, 3,1 % pour les locataires du secteur privé, 2,5 % pour ceux du secteur social. Et l’effort est d’autant plus élevé que les ménages ont des revenus modestes.
À Paris, le taux d’effort des ménages a augmenté de 7 % en vingt ans : en 1984, seulement 5 % des ménages parisiens avaient un taux d’effort supérieur à 33 % ; ils étaient 16 % en 2006 [8].
(3) Adaptation et accessibilité
La crise tient encore à une difficulté d’adapter nos logements : la France compte notamment 18 millions de maisons individuelles, principalement occupées par des ménages âgés qui en sont propriétaires : sait-on que près de quatre millions de ces ménages sont en situation de précarité énergétique, consacrant plus de 10 % de leur revenu à se chauffer -souvent mal- et qu’ils peinent à financer l’adaptation de leur logement au vieillissement et son accessibilité au handicap, qui constituent pourtant la condition de leur maintien à domicile ?
(4) Isolement
La crise réside aussi dans l’isolement croissant des habitants [9] : pas seulement de celui qui vit perdu dans la campagne, mais ici, dans notre belle ville, combien sont les détresses qui se cachent derrière la porte, les personnes âgées que personne ne visite, les voisins qui se saluent à peine ?
3. La crise de l’hébergement
Et puis, il y a cette insupportable facette de la crise qui concerne l’hébergement : je veux parler de la situation de ceux qui dorment à la rue, dans leur voiture ou dans les bois alentour, et à qui l’on sait mal offrir un lieu d’accueil digne de ce nom.
Comme nous arrivons au terme de l’hiver, trop de bons esprits pourraient juger que le débat est clos jusqu’à l’hiver prochain. Mais non, le drame est là, celui des sans-abri, qui existe en été comme en hiver et que nous ne savons pas bien traiter ; à la différence de la plupart des grands pays développés, spécialement ceux du Nord.
Depuis ces dernières années, on estime que 133 000 personnes sont, en France, sans domicile : 33 000 entre la rue et les dispositifs d’accueil, 100 000 accueillis dans des services d’hébergement social ou dans un logement sous financement public. 117 000 personnes, également sans logement, assurent par elles-mêmes leur hébergement (chambres d’hôtel réglées par elles ou accueil par un tiers) [10].
D’aucuns diront que le sujet du logement ne doit pas se confondre avec celui de l’hébergement, spécialement s’il est celui de l’urgence, parce que tout les sépare : ici la recherche d’un abri, là celle d’un habitat permanent, ici des mécanismes sociaux juridiques et financiers de nature humanitaire, là des dispositifs économiques de nature à favoriser la production de bâtiments, dans un cadre assurant la solidarité entre nous, etc.
Mais ces distinctions, si justes soient-elles, ne suffisent pas à écarter de notre propos d’aujourd’hui la question de l’hébergement des sans-logis, parce qu’avec raison elle occupe nos esprits, et suscite notre indignation, et parce que son traitement constitue sans doute un préalable nécessaire à une sortie effective et durable de la crise du logement.
*
En somme, la crise du logement revêt dans notre pays des formes diversifiées.
Dans les grandes métropoles comme dans la nôtre : crise de l’insuffisance du nombre des logements, comme des lieux d’hébergement, crise du coût d’accès au logement, crise de la diversité sociale d’occupation des logements, crise de l’isolement croissant des habitants.
Sur le reste du territoire, la crise prend des formes moins visibles mais tout aussi réelles : celles notamment de l’insalubrité persistante, de la précarité énergétique et de la difficile adaptation des logements au vieillissement et au handicap des occupants.
Le nombre de personnes touchées de plein fouet par ces crises peut être évalué à 3,5 millions [11], un chiffre voisin de celui observé en 1954, à l’époque du sursaut national provoqué par l’abbé Pierre, mais la comparaison s’arrête là : ce chiffre représente environ 5 % de la population (8 % à l’époque).
Ces crises du logement sont donc profondes : nous devons travailler à les éradiquer ensemble si nous voulons éviter que ces crises à répétitions ne contribuent à déliter davantage encore le tissu social.
B – Père Jacques Trublet :
Le tableau que vient d’esquisser Philippe Pelletier nous ramène à deux données anthropologiques fondamentales sur le logement dont la première est primordiale et dont la seconde est aujourd’hui une composante essentielle.
1. Le logement, un bien de première nécessité.
Un texte biblique nous rappelle que le logement appartient aux biens de première nécessité. Je le cite en entier car il dit l’essentiel.
Les premiers besoins de la vie sont l’eau, le pain, le vêtement,
et une maison pour protéger son intimité.
Mieux vaut une existence de pauvre à l’abri de son propre toit,
Qu’une brillante chère dans la maison d’autrui.
C’est une vie misérable que d’aller de maison en maison,
et de ne pouvoir ouvrir la bouche parce que tu es étranger.
- « Va-t’en, étranger, fais place à plus digne !
Mon frère vient séjourner chez moi, j’ai besoin de la maison. » (Sir 29, 21-27)
Voilà l’un des rares textes bibliques qui aborde le logement sous cet angle. Comme sa date de composition remonte sans doute au IIe s. avant notre ère, il nous fournit de précieux renseignements sur l’état de la société d’alors.
Dès le premier verset, ce texte assimile le logement à l’eau, au pain et au vêtement, biens de première nécessité. D’entrée de jeu, il indique la fonction première du logement qui est d’être d’abord un refuge contre les intempéries (froid, chaleur, pluie, vent) et une protection contre les animaux ou les hommes. Or, pour la moitié de l’humanité au moins, le logement n’est encore que cela, et souvent dans une grande précarité. Nombre de nos concitoyens n’ont même pas droit à cela : jetés à la rue soit en raison d’un itinéraire personnel se dégradant de plus en plus, soit en raison d’une réelle pénurie de centres d’hébergement ou de logements, ils trouvent un peu d’intimité sous les tentes qu’on leur donne. Leur nombre sans cesse croissant nous oblige à y voir une faille structurelle de nos sociétés plus qu’une simple série de cas individuels.
Mais le texte insiste sur un autre point que semblait avoir oublié la société israélite. De ses mœurs nomades antérieures, elle avait hérité d’un sens très fort de la solidarité entre ses membres et l’hospitalité allait de soi. Ce texte laisse entendre que jadis chaque parcelle de terre promise avait été répartie équitablement entre les tribus et les familles ; c’était la part qui venait de Dieu. La terre promise était la propriété de tous [12], comme aujourd’hui la planète appartient à tout le monde.
2. Du logement à l’habitat
Mais cette fonction primordiale ne définit pas encore ce qu’est un abri digne de l’homme. Pour être humain ou humanisant, le logement doit satisfaire à d’autres conditions : il doit être salubre, habitable, insonorisé, sécurisé, etc. Ce sont tous ces qualificatifs qui transforment un logement en habitat.
Le logement peut prendre des formes variées, allant de la maison individuelle au logement collectif. Celui qui y réside - locataire ou propriétaire - possède désormais une adresse, on dit : un domicile. Entre les deux guerres, le niveau de confort était parfois indiqué sur l’immeuble par ce genre d’inscription : « Eau, gaz et électricité à tous les étages ».
Habiter et avoir dérivent de la même racine (en latin habere et habitare). Entre les deux guerres, le mot habitat généra deux adjectifs opposés : habitable et inhabitable. Loger désigne une fonction utilitaire, alors qu’habiter évoque tout un monde de souvenirs ou la note personnelle que chacun imprime au lieu où il réside. Pénétrer dans une maison, c’est entrer dans son intimité, dans sa manière d’être au monde [13]. Mais aujourd’hui, l’habitat n’est pas séparable de l’environnement sociétal et urbanistique, en particulier de l’accessibilité aux commerces, aux services, aux écoles et aux transports.
Durant ces dernières décennies on a construit beaucoup de logements mais sans toujours prendre suffisamment en compte cette dimension.
3. Logement et hébergement
Logement et hébergement sont très liés, mais renvoient à des traitements différents. Il importe donc de les distinguer, sous peine d’aboutir à des confusions ou à des solutions bancales dans chacun de ces secteurs.
Prenons un exemple d’hébergement. Les récits évangéliques de l’enfance nous racontent que lors de la naissance de Jésus, Joseph et Marie ne trouvèrent pas de place dans la salle commune. Je crois que c’est l’interprétation qui correspond le mieux au texte de Luc. Imaginez une grande salle pour les personnes et en contrebas l’étable pour les animaux. Comme il y avait sans doute trop de monde, Marie a dû accoucher dans l’étable et déposer l’enfant dans la mangeoire. Cette scène illustre parfaitement le manque d’hébergement. A partir d’autres données évangéliques on peut inférer que la sainte famille possédait une maison à Nazareth et, sans doute, Jésus avait-il sa maison chez l’un des disciples quand il se rendait au bord du Lac [14].
Le SDF, c’est celui qui ne trouve pas de structure d’hébergement pour l’accueillir. Les peuples de l’Antiquité considéraient comme une anomalie que quelqu’un puisse se retrouver sans abri, exclu de toute vie sociale. C’est ce réflexe qu’il nous faut sans doute retrouver dans nos sociétés modernes.
II. Le chemin parcouru
A – Philippe Pelletier
C’est bien l’un des paradoxes du sujet : notre collectivité nationale accomplit depuis plusieurs décennies des efforts importants au titre de la politique du logement, mais qui n’ont pas permis de régler les crises observées.
1. L’effort de construction
D’abord, il y a un demi-siècle, un effort sans précédent de reconstruction du pays, destiné à répondre à la pénurie de logements dans nos grands centres urbains où il fallait loger les nouvelles familles du boom démographique, mais aussi accueillir l’exode rural, l’arrivée des rapatriés d’Algérie et la venue massive de travailleurs étrangers invités à prendre part à notre expansion économique.
La production de logements a été alors spectaculaire : des années cinquante jusqu’à 1973, le nombre de logements neufs croît régulièrement, de 100.000 à 550 000 par an. Ce nombre se stabilise à environ 300 000 en 1990. Depuis 2004, il est d’environ 400 000, et pourtant on évalue à une à deux années de production le nombre de logements manquants, particulièrement sur les territoires où, comme en Ile-de-France, la demande insatisfaite est importante [15].
La qualité de ces logements des années soixante a vite montré ses limites : caractère sommaire de leur urbanisme, architecture pauvre faite de barres et de tours, manque de services et d’équipements de proximité, liaisons souvent insatisfaisantes avec le reste de la ville.
Et surtout, ces quartiers ont connu, des années après leur construction, une concentration des populations les plus pauvres, celles qui n’ont pas la possibilité de choisir leur habitat.
D’où l’idée, tardive mais bienvenue, d’y remédier massivement : c’est le plan de rénovation urbaine, lancé en 2003, qui aura permis à l’horizon 2013 de rénover près de cinq cents quartiers, moyennant la mobilisation d’environ 12 milliards d’euros [16].
2. L’effort d’amélioration
À la même époque, un formidable effort a été fait pour améliorer les logements existants et lutter contre l’insalubrité de trop d’entre-eux : en 1954, 90 % manquaient de chauffage, salle d’eau ou WC intérieurs. Cinquante ans après, la quasi-totalité des logements en sont pourvus [17].
Le combat contre le logement indigne ou insalubre, la chasse aux marchands de sommeil, demeurent toutefois des actions de vigilance permanente, spécialement dans notre capitale.
3. Les aides au logement
Le financement du logement a aussi connu, à la fin des années 70, un coup de barre probablement excessif : jusque-là, l’essentiel de l’effort public concernait la production des logements (l’aide à la pierre) et avait permis cette augmentation massive du nombre de logements. Un renversement s’opère alors, dirigeant l’aide vers les ménages (l’aide à la personne), ce qui, à l’expérience, a probablement banalisé l’aide au logement en une aide sociale ordinaire, mais l’effort public reste soutenu, de l’ordre de 1,8 % du PIB.
L’une de ces aides personnelles – celle en faveur du logement étudiant – ne profita pas aux bénéficiaires, mais aux bailleurs, car elle entraîna une regrettable hausse du prix des loyers.
4. Le désengagement d’investisseurs
Les acteurs institutionnels, banques, assurances, sociétés foncières, ont dans notre ville largement déserté le secteur du logement au profit de celui des bureaux et commerces, secteur jugé plus rentable et souple : les compagnies d’assurance détiennent à Paris moins de 1,2 % du parc locatif, après un retrait massif de leur part au cours des quinze dernières années [18].
Depuis les années 1960 encore, le législateur, avec raison, traduit dans des textes en faveur de l’acquéreur ou du locataire, que le logement n’est pas un bien de consommation ordinaire. Il en résulte, au fil des lois, un dispositif juridique et économique de protections, souvent utiles, parfois excessives, qui ont aussi contribué à décourager beaucoup d’investisseurs privés devant trop de complications et de règles absconses.
5. De nouveaux investisseurs
Le soutien de la production d’une offre locative privée s’est alors porté vers les personnes physiques, à travers ces lois fiscales - du Méhaignerie au Besson, du Quilès au Périssol, du Robien au Scellier - qui ont, à coût élevé pour l’État, favorisé l’édification de logements en dehors des zones où ils sont les plus attendus, souvent à des prix inaccessibles au plus grand nombre : on dit souvent que les trois-quarts de ces logements sont destinés au quart le plus favorisé de la population…
6. Une décentralisation illisible
Tous ces dispositifs ont donné lieu, par étapes successives souvent mal coordonnées, à la décentralisation de leur mise en œuvre. Il est du ressort des communes de constituer les documents d’urbanisme, de délivrer les permis de construire, ainsi que d’exercer leur droit de préemption. En revanche, il revient aux agglomérations et intercommunalités de gérer les aides à la pierre et d’assurer d’autres services. Les politiques de l’habitat sont supposé être élaborées par les intercommunalités ; le logement des personnes défavorisées relève de plans départementaux arrêtés conjointement par le Préfet et le Président du Conseil général, l’hébergement incombe aux Préfets… et l’État demeure, dans nos têtes, le grand ordonnateur des politiques du logement, sans détenir désormais les moyens juridiques et budgétaires de l’action.
7. Deux actions emblématiques
Deux actions publiques vigoureuses ont marqué la dernière décennie :
(1) La loi SRU
D’abord, l’obligation, créée en 2000 pour les 734 communes de plus de 3 500 habitants, d’offrir au moins 20 % de logements sociaux. Cette règle, dite de l’article 55 de la loi SRU, a contribué à installer une attention collective permanente au besoin de logements à loyers maîtrisés, et à affirmer la nécessité que nos villes rétablissent la diversité sociale d’occupation qui avait caractérisé notre histoire urbaine : l’immeuble collectif regroupait autrefois ménages aisés et modestes ; diverse, cette population de l’immeuble haussmannien vivait généralement bien ensemble et faisait ainsi la ville qu’il nous faut retrouver.
(2) La loi DALO
La deuxième action concerne l’institution en 2007 du droit au logement opposable -on dit communément le Dalo ; cette loi consistait à reconnaître à chacun le droit à un logement et à faire peser sur l’appareil d’Etat le devoir d’y pourvoir, sauf à être financièrement sanctionné. Cette rupture avec l’ordre juridique antérieur n’a pas encore porté tous ses fruits en permettant de loger le plus grand nombre des demandeurs jugés prioritaires.
À Paris, la liste d’attente de logements sociaux comprend plus de 100 000 ménages, 406 000 en Ile-de-France, 1,2 million France entière.
Et pourtant, il ressort de ce dispositif un enseignement majeur qui constitue un guide pour l’action : toute personne doit être logée.
8. L’effort d’hébergement
Et puis, la lancinante question de l’hébergement a donné lieu à de réelles avancées, mais il subsiste encore beaucoup de tensions, spécialement hivernales. La France compte 52 sans domicile fixe (SDF) pour 100.000 habitants, alors que l’Angleterre n’en compte que 19 et la Finlande 9. Notre pays a été désigné comme « le plus mauvais élève » de l’Europe quant à l’accueil des SDF [19]. Les 100.000 places d’hébergement mises à disposition par l’Etat et les collectivités sont, de fait, insuffisantes à pourvoir à l’accueil des demandeurs. Et la qualité des lieux d’hébergement, même si des progrès ont été accomplis, reste insuffisante.
*
En somme, la mobilisation des acteurs publics, quelle que soit leur couleur politique, est réelle mais souvent illisible et désordonnée ; surtout, elle présente une efficacité faible : nous dépensons bon an mal an près de quarante milliards d’euros pour la politique du logement, et le résultat n’est pas encore au rendez-vous.
B – Père Jacques Trublet
La tradition judéo-chrétienne n’est point restée au bord du chemin. Tant dans les temps anciens que dans notre monde actuel, des voix se sont élevées contre ce qui portait préjudice à ce droit fondamental.
1. La tradition biblique
Au VIIIe siècle, plusieurs prophètes prennent la défense des pauvres expropriés sans dédommagement par les riches.
Amos
Dieu envoie Amos dans le Royaume du Nord (Samarie) vers 750. L’archéologie a révélé que ce Royaume était plus prospère que celui de Jérusalem au sud, mais atteste également que les inégalités sociales y étaient plus criantes. Pour accroître leurs possessions, les riches n’hésitaient pas à confisquer des terres ou des maisons. C’est à eux qu’Amos s’adresse :
Eh bien ! Puisque vous pressurez l’indigent, lui saisissant sa part de grain, ces maisons en pierre de taille que vous avez bâties, vous n’y résiderez pas ; ces vignes de délices que vous avez plantées, vous n’en boirez pas le vin. Je déteste, je méprise vos pèlerinages, je ne puis sentir vos rassemblements, mais que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable ! [20]
Michée
Alors que les troupes assyriennes envahissent Damas et Samarie en 721 et déportent leurs habitants, Jérusalem est assiégée en 701 et sauvée par on ne sait quel miracle. En prévision d’invasions futures, le roi Ézéchias entreprend de grands travaux de fortifications et d’adduction d’eau à Jérusalem. En soi, la chose est louable et répond au besoin de sécurité nationale. Mais on requiert de force et sans rémunération les petits propriétaires terriens qui habitent la banlieue et on procède à des expropriations sans compensation. Devant de telles injustices, Michée annonce que :
Sion sera un champ qu’on laboure, Jérusalem sera des ruines et la montagne de la maison (le temple) des hauts lieux de forêt ! [21]
Michée s’en prend aux pouvoirs publics qui font porter tout le poids de l’opération par les plus démunis :
Malheureux ceux qui projettent l’iniquité et qui manigancent le mal sur leur lit. Au point du jour, ils l’exécutent car ils en ont les moyens. Convoitent-ils des champs, ils les volent ; des maisons, ils s’en emparent ; ils requièrent de force le mari et le fils. [22]
Pour Michée, la maison est un bien inaliénable et il ne fait que rappeler l’injonction du Décalogue : « Tu n’auras pas de visées sur la maison de ton prochain » (Ex 20, 17). La maison ou le champ est la part de terre promise que Dieu a donnée en héritage à chaque membre du peuple élu. Aussi spolier les biens immobiliers de quelqu’un, c’est :
« Arracher la peau de dessus les gens et la chair de dessus leurs os, ceux qui mangent la chair de mon peuple, qui leur raclent la peau, qui leur brisent les os, qui les découpent comme chair en la marmite, comme viande au fond du chaudron. » [23]
Isaïe
Isaïe, presque contemporain de Michée, exerce son ministère entre 740 et 716. Quand il aborde la question du logement, il s’en prend essentiellement à la spéculation immobilière.
Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays. [24]
2. Les Pères de l’Église
Ceux qu’on nomme les Pères de l’Église sont souvent des évêques qui défendent la foi, mais également qui prennent la défense des exclus ou des sans-voix. Le IVème s. est une période faste pour l’Antiquité chrétienne, mais où subsiste encore un ordre social profondément injuste, avec des écarts de fortunes considérables. C’est contre les exactions commises par les pouvoirs publics ou les gens fortunés que s’insurgent les Pères. Ils reprennent souvent le texte d’Isaïe que je viens de citer [25].
Basile de Césarée [26]
« Quand useras-tu de tes biens présents ? Quand en jouiras-tu, toi qui t’épuises à amasser toujours du nouveau ? Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison et joignent champ à champ jusqu’à ce qu’ils empiètent sur le voisin. Et toi, que fais-tu ? N’allègues-tu pas mille raisons pour usurper le bien de ton voisin ? “Sa maison me fait de l’ombre, elle est trop bruyante, c’est le refuge du vagabondage”, et à propos de tout et de rien, il le tracasse, le harcèle, le presse, le tourmente et n’a de cesse qu’il ne l’ait fait décamper. » [27]
Dans une autre homélie [28], il constate une différence de comportement entre les animaux et les hommes en matière d’habitat :
« Une loi de nature assigne à chacun [des animaux], - avec égalité et justice -, la demeure qui répond à ses besoins » et il poursuit en disant que « pour les humains il n’en est pas ainsi. Pourquoi ? Nous autres, nous changeons sans cesse les bornes immuables qu’avaient posées nos pères [Pr 22, 28]. Nous morcelons la terre : nous ajoutons maison à maison, et champ à champ, pour dépouiller notre prochain » [Is 6, 5].
Jean Chrysostome [29]
« Écoutez ce que le prophète dit de quelques insensés : “Mangeons et buvons, car demain nous mourrons” (Is 22, 13). Véritablement nous ne pouvons pas dire cela de ceux qui vivent aujourd’hui, puisque quelques uns dévorent eux seuls les biens de tous les autres, comme le leur reproche le même prophète en disant : “Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays” (Is 5, 8). C’est pourquoi je crains qu’il ne vous arrive quelque grand malheur, et que nous ne nous attirions les plus terribles vengeances du Seigneur. Dieu veuille nous en préserver ! Détournons-les donc en nous exerçant à toutes sortes de vertus, pour acquérir les biens futurs... » [30]
Dans son Commentaire du Livre d’Isaïe, quand il en vient aux versets cités, il dénonce la racine du mal et affirme que les voleurs ne jouiront même pas de ce bien mal acquis :
« Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison, qui joignent champ à champ, pour enlever quelque chose à leur voisin. »
[À la fin du v.7 qui est le chant sur la Vigne que possédait le bien-aimé, le texte grec se termine par « au lieu de la justice, voilà les cris »]. Après avoir dit qu’il a suscité des cris, désignant ainsi la cupidité, les rapines, il indique le caractère de l’injustice, pleine d’une grande perversité. Et il recommence ses lamentations pour faire apparaître la gravité des péchés et manifester ceux qui sont atteints de maux incurables.
On retrouverait aujourd’hui ces mêmes audaces chez ceux qui font mauvais usage de la richesse, qui pensent aux rapports de voisinage non pour leur sécurité, mais pour chercher à nuire au prochain : comme un feu qui se propage, ils dévorent tous leurs voisins.
« Habiterez-vous seuls sur la terre ? » « Car cela est venu aujourd’hui aux oreilles du Seigneur Sabaoth. »
Isaïe montre qu’ils se fatiguent vainement, inutilement, pour des sujets futiles. Comme les hommes de cette espèce sont moins dissuadés par les peines et les châtiments que par la certitude qu’ils ne profiteront pas de leurs rapines, il brandit contre eux cette menace en leur disant qu’ils se fatigueront, se donneront du mal et récolteront le péché, mais que la jouissance aussi leur sera refusée…
« S’il y a beaucoup de maisons grandes et belles, elles deviendront désertes et il n’y aura personne pour les habiter. »
Telle est la cupidité : en apportant de nouveaux biens à ceux qui possèdent, elle leur fait quitter ceux qu’ils avaient auparavant C’est ce qu’il suggère ici en disant : quand vous aurez élevé des constructions magnifiques et que vous aurez fait vôtres les possessions de tous, vous serez alors privés de ce que vous aviez. Les maisons resteront debout, sans habitants, mais elles élèveront une voix plus éclatante que celle de n’importe quelle trompette contre ceux qui à l’origine les ont volées, et leur solitude prolongée apparaîtra comme un trophée [le triomphe de la justice]. [31]
Grégoire de Naziance [32]
« “Tu n’ajouteras pas maison à maison”, dit la loi, “Tu n’ajouteras pas champ à champ (Is 5, 8) en opprimant le pauvre” ; mais toi, tu quitteras les biens honnêtement acquis, tu te dépouilleras pour les pauvres pour que tu puisses soulever facilement ta croix et obtenir les richesses invisibles. » [33]
Grégoire de Nysse [34]
« La prospérité d’une seule maison peut sauver une foule de pauvres, pourvu que n’y fassent pas obstacle l’avarice et l’égoïsme du maître, comme un rocher qui, jeté au milieu du ruisseau, l’empêche de courir vers les champs. » [35]
Ambroise [36]
« Vous ne désirez pas tellement posséder un bien utile, mais vous voulez expulser les autres. Vous êtes plus soucieux des dépouilles du pauvre que de vos avantages. Vous considérez comme une injure personnelle que le pauvre possède quelque bien qui semble digne de la possession du riche. Vous considérez que toute propriété étrangère est à votre préjudice. Le monde a été créé pour tous et, vous qui êtes un petit nombre de riches, vous vous efforcez de le revendiquer pour vous. Or, ce n’est pas seulement la possession de la terre, mais le ciel, l’air, la mer qui sont réclamés pour l’usage d’un petit nombre de riches. Cet air, que tu inclus dans tes vastes possessions, combien de peuples peut-il fortifier ?
Le prophète s’écrie : “Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison et joignent champ à champ !”...
Ils fuient la cohabitation des hommes et c’est pourquoi ils expulsent les voisins ; mais ils ne peuvent pas fuir car, lorsqu’ils ont expulsé les uns, ils en trouvent encore d’autres ; et quand ils ont encore chassé ceux-là, il est inévitable qu’ils parviennent au voisinage d’autres gêneurs. Ils ne peuvent en effet habiter seuls sur la terre. Les oiseaux s’associent aux oiseaux, aussi le ciel est quelquefois parsemé du vol d’une grande troupe ; le bétail s’unit au bétail, les poissons aux poissons. Ils estiment que la réalisation d’une grande assemblée constitue non un détriment, mais un échange de vie, et ils recherchent avec ardeur une véritable force, grâce à une société plus nombreuse. Toi seul, homme, tu expulses tes semblables pendant que tu recueilles des bêtes sauvages ; tu construis des habitations pour les bêtes et tu détruis celles des hommes. Tu conduis la mer au milieu de tes propriétés pour que les animaux n’y manquent pas et tu repousses les frontières de la terre pour refuser tout voisin. » [37]
3. Quelques documents récents
Durant ces dernières années, l’Église ne s’est pas tue sur ce sujet. Il faut mentionner le document « Qu’as-tu fait de ton frère sans abri ? L’Église et le problème de l’Habitat » [38] émanant de la commission « Justice et Paix » dont la rédaction ultime du rapport incomba au cardinal Etchégaray, et qui fut publié le 8 décembre 1987. Ce document parle d’un mal structurel et aborde le problème sous tous ses angles, comme le rapport de la Commission sociale de l’Épiscopat français « Un logement pour tous » [39] de 1995 qui s’accompagne de rapports techniques sur la crise du logement. Ces documents, dont le genre littéraire ne relève pas de la diatribe, invitent avec vigueur à faire preuve de solidarité et d’inventivité pour éradiquer le mal-logement. Bien que ces textes ne soient pas très anciens, ils mériteraient d’être repris en fonction de la donne actuelle due à la crise que nous traversons afin de mieux ajuster nos réponses.
4. Des initiatives multiformes
Enfin, on ne peut passer sous silence de grands acteurs chrétiens qui ont beaucoup lutté contre la crise du logement.
Le cri de l’Abbé Pierre
Nous avons tous en mémoire ce cri prophétique lancé par l’abbé Pierre sur les antennes de Radio Luxembourg, du trottoir du boulevard Sébastopol le 1er février 1954 :
« Au secours, mes amis ! Une femme vient de mourir gelée cette nuit à trois heures, serrant sur elle le papier par lequel avant-hier on l’avait expulsée. »
Tout fut dit dans la nuit de l’hiver 54 par l’abbé Pierre. Un enfant est mort dans la rue cette nuit et cela n’est pas digne d’un pays civilisé. Ce cri poussé voilà plus de 50 ans a mis en route un mouvement politique de solidarité qui a pallié certains besoins immédiats. L’abbé Pierre ne se contenta pas de ce cri, mais impulsa la construction d’un grand nombre de logements sociaux à faible coût et de lieux d’hébergement. Ce furent spécialement les cités Emmaüs qui accueillirent nombre de foyers sans logement.
Chaque année, le 1er février, la Fondation Abbé Pierre organise un grand rassemblement et donne à son rapport annuel sur le mal-logement un retentissement salutaire qui accroît notre prise de conscience collective de la crise du logement.
Joseph Wresinski et ATD Quart-Monde
En vue des prochaines élections de cette année, ATD a publié un rapport contenant 64 propositions [40], dont les propositions 37 à 46 sont consacrées au domaine de l’habitat, sans parler d’un cinquième rapport sur la loi DALO. Cet ensemble vise surtout à renforcer l’application de la loi DALO et la création d’un dispositif global pour les ménages dont le loyer et les taxes diverses dépassent un certain seuil des revenus, ainsi qu’une revalorisation des aides au logement.
Bernard Devert et « Habitat et humanisme »
Bernard Devert a lancé une initiative originale avec Humanisme et Habitat [41], créé en novembre 2003. Le projet de ce prêtre lyonnais tient en ces quelques lignes extraites d’un article :
« L’exclusion du logement pourrait être envisagée comme une maladie à traiter dans une relation soignant-soigné. Nous sommes trop installés dans du palliatif social qui exprime une forme de découragement par rapport à des situations d’exclusion, conduisant une société à proposer des mesures qui sont davantage de l’ordre de l’assistance que d’un éveil à d’autres possibles. » Cela conduit souvent à la résignation ceux qui sont affectés par le mal-logement. Au lieu de les « assister », il vaut mieux mobiliser toute l’énergie qui leur reste. « Le logement d’insertion ne peut être qu’une passerelle. » [42]
L’originalité d’Habitat et Humanisme consiste à faire du mal-logé ou du sans-abri un acteur pour sa sortie de crise. On a sans doute trop réduit les demandeurs de logement ou d’hébergement à des assistés attendant d’une association ou d’un État providence une solution à son problème. On fera bien sûr exception en cas de perte d’autonomie et on se substituera au demandeur. Une telle attitude rejoint la réaction de l’abbé Pierre lors de sa première rencontre avec celui qui allait devenir le premier compagnon d’Emmaüs. « En novembre 1949, les habitants de Neuilly-Plaisance amènent au bon père un homme qui vient de tenter de se suicider. Ancien bagnard, Georges Legay a perdu tout espoir. L’abbé Pierre lui dit : « Si tu n’as plus rien à faire de ta vie, confie la moi, je ne peux pas t’aider, mais toi, tu peux m’aider à en aider d’autres » [43]. Dans une période où ses ressources s’amenuisent au fil des ans, l’État est de moins en moins en mesure de tout subventionner.
Autres institutions s’occupant du logement
Il existe bien d’autres mouvements tournés vers la sortie du mal-logement, notamment le Secours Catholique et l’Association Sainte Geneviève du Diocèse de Paris. Il n’est pas possible ici de répertorier toutes les associations qui existent et qui, inspirées par des idéaux fort divers, travaillent sans relâche auprès des mal-logés ou des SDF et interviennent souvent avec discrétion et efficacité.
*
De façon récurrente, la crise du logement ou de l’hébergement fait la une de nos journaux. Le 6 mai 2005 le journal La Croix titrait : « Le logement social, une priorité nationale » et le 16 décembre 2011, Le Monde dans un encadré notait : « L’hébergement d’urgence en France s’enfonce dans la crise » il s’appuyait sur un rapport de la Cour des comptes, rendu public le 15 décembre, qui en général dénonce les dérives budgétaires, et préconise d’investir davantage en faveur de l’hébergement d’urgence. Enfin la revue Esprit [44] porte en sous titre de son numéro de Janvier 2012 « Le Logement au cœur de la Crise. »
Dans cet environnement qui inquiète à juste raison, notre Église doit plus que jamais parler et agir.
III. Les pistes à ouvrir
A – Philippe Pelletier
Le poids de l’effort financier engagé en faveur du logement et sa relative inefficacité pour résorber les crises qui s’installent, incitent à tenter une mise à plat de l’action. Cette tentative est d’autant plus libre que la question du logement échappe pour l’essentiel aux directives européennes, puisqu’elle ressortit du domaine subsidiaire des États.
La mise à plat que nous énonçons maintenant conduit à ouvrir cinq pistes : quatre actions proposées et une méthode recommandée.
1. Une action politique
La première action est politique : faire du logement, au plus haut niveau de l’État, une préoccupation majeure de notre société.
On peut s’en agacer, mais les sujets importants ne sont souvent traités que sous l’impulsion du chef de l’État : la loi SRU, le plan de rénovation urbaine, le plan de cohésion sociale, l’institution du Dalo, le plan bâtiment du Grenelle, ces chantiers n’auraient pas vu le jour sans un décisif arbitrage présidentiel.
Il nous faut donc peser, chacun avec ses moyens, pour que la question du logement se présidentialise durablement. Ce qui est en train de se produire.
2. Une action institutionnelle
La deuxième action est institutionnelle et conduit à installer aux commandes un pilote unique.
En général
La nécessité d’organiser la gouvernance des politiques du logement est désormais relevée par le Conseil d’État, par le Conseil économique, social et environnemental, comme par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées.
Les besoins de logements s’inscrivent en effet dans des bassins d’habitat et s’expriment sur des marchés immobiliers locaux : ils ne peuvent être en conséquence satisfaits que par des politiques conduites à l’échelon territorial adéquat, à savoir celui de la métropole, de l’agglomération ou de l’intercommunalité, c’est-à-dire l’échelon supra-communal, seul à même de développer une politique pertinente, débarrassée des frilosités locales.
En Ile-de-France
L’Ile-de-France présente à cet égard une situation particulière parce qu’elle concentre les difficultés de logement : un territoire regroupant 18 % de la population, les deux-tiers des recours Dalo et 90 % des décisions sanctionnant l’absence de mise en œuvre de ce droit s’y trouvent rassemblées.
Le pilotage devrait être, soit celui du grand Paris, confié à l’État mais actuellement centré vers la politique des transports, qui mériterait alors d’être aussi consacré à celle du logement, soit celui d’un syndicat rattaché à la région et investi d’une mission et de prérogatives d’autorité organisatrice, sur le modèle du STIF pour les transports.
3. Une action solidaire
La troisième action touche à la solidarité nationale : veut-on, oui ou non, mettre les moyens nécessaires au service du logement des plus fragiles d’entre-nous ? Si l’on adhère à cette perspective, et alors que le contexte budgétaire est durablement tendu, il n’y a pas d’autre voie que de concentrer l’aide sur les situations socialement les plus dignes d’intérêt, et de favoriser le développement d’une offre de logements à prix et loyers maîtrisés.
Cela passe par une densité accrue des villes, un encadrement de la rente foncière, une concentration de l’aide sur le développement de marchés du logement, privé et public, à vocation sociale, un frein au saupoudrage des aides au logement : quand l’essentiel de la population est aidée en matière d’offre ou de demande de logements, cette dilution de l’intervention publique contribue par trop à nourrir l’inflation [45].
Mais une véritable solidarité en matière de logement -il faut en avoir conscience- constituerait une rupture radicale avec le système, généreux pour un grand nombre, qui caractérise nos politiques de ces dernières décennies.
4. Une action humanitaire
La quatrième action est d’ordre humanitaire : offrir une place dans un centre d’hébergement à ceux qui sont sans abri sur notre territoire, quels qu’ils soient.
Comme vous, sans doute, je ne me résous pas à notre incapacité collective à traiter durablement ce drame qui nous dit l’échec d’une société à offrir un toit à chacun.
Au Samu social de Paris, un millier de familles avec enfants n’ont pas pu être hébergées au moins une nuit en 2011, la demande d’hébergement de ces familles ayant augmenté de plus de 30 % par rapport à l’année précédente. Et pourtant, les capacités d’hébergement n’ont jamais été aussi importantes…
Le sujet excède évidemment la question du logement puisqu’il fait écho à la maîtrise de l’immigration dans notre pays et à notre aptitude, nécessairement limitée, à y accueillir la misère du monde.
Il faut néanmoins, ici encore, concentrer le pilotage, éviter la dispersion des moyens et assumer simplement mais fermement [46] ce que proclame notre code de l’action sociale et des familles : « Toute personne sans abri, en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. » (Article L 345-2-2 et 2-3)
5. Notre engagement individuel
Voilà la dernière piste proposée qui peut tenir lieu de méthode : ces quatre actions supposent notre mobilisation, celle de chacun de nous, sans laquelle rien ne progressera.
Une fois pour toutes, acceptons cette réalité : nous avons la société que nous méritons. Le tissu social, qui fait le logement, est façonné par nos comportements : il demeurera étriqué tant que nos peurs et nos égoïsmes empêcheront son déploiement.
– acceptons-nous de laisser s’installer à côté de notre immeuble un foyer d’accueil ?
– adhérons-nous dans notre commune à la nécessité de construire des logements sociaux ? Sommes-nous assez exigeants vis-à-vis de nos élus pour qu’un plan local d’urbanisme dynamique soit mis en place ?
– si nous sommes locataires aidés d’un logement devenu trop grand, comprenons-nous qu’il nous faut l’échanger pour en faire bénéficier une famille mal logée ?
– si nous sommes bailleurs, comprenons-nous l’indignité de laisser sans raison un logement locatif vacant ou de pratiquer des loyers prohibitifs ?
– si nous sommes propriétaires occupants, savons-nous accueillir, héberger, loger ?
– si nous vivons dans un immeuble collectif, prêtons-nous suffisamment d’attention aux difficultés et solitudes de notre voisinage ?
– si nous disposons d’un terrain à bâtir, saisissons-nous combien il est intolérable de le laisser sans emploi ?
Oui, chacun de nous peut peser sur la résorption des crises du logement, par sa capacité d’indignation et de protestation, bien sûr, qui permet la mise sous tension permanente de nos dirigeants, mais aussi par son action personnelle : celle-ci est nécessairement modeste, et pourtant elle est indispensable pour refaire du logement, comme nos contemporains le disent, sondage après sondage, une question majeure de notre société d’aujourd’hui.
*
C’est à ce prix que les crises du logement cesseront durablement dans notre pays, parce que nous aurons fait du logement pour tous, notre ligne d’action.
B – Père Jacques Trublet
Philippe Pelletier a esquissé des voies d’action en distinguant les différents niveaux de responsabilité des décideurs. Mais l’action doit devenir une exigence éthique pour tous, et qui implique sérieusement les chrétiens dans une démarche collective.
1. Une exigence éthique pour tous les hommes de bonne volonté
Dans l’Évangile de Matthieu [47], nous trouvons une scène tout à fait singulière. Nous sommes à la fin des temps et le Christ - Roi de gloire - vient juger le monde. Sur quel critère seront jugés les hommes ? Ni sur la foi, ni sur leurs pratiques rituelles, mais sur six œuvres de miséricorde dont la liste peut se répartir en trois groupes (faim - soif, vêtement - logement, maladie - prison) Comme telles, ces œuvres n’ont pas d’équivalents chez les peuples du Proche-Orient ni dans l’Ancien Testament qui offre cependant de bons parallèles, par exemple en Is 58, 6-11 où Dieu dit :
« Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! 7 N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? » Et encore : Les pauvres sans abri, tu les hébergeras ; si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras ; devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. » [48]
Chacun des couples présentés par Matthieu définit un besoin élémentaire d’ordre biologique ou social. La faim et la soif sont mortelles si elles ne sont pas satisfaites. Le deuxième couple délimite un intérieur et un extérieur au corps : l’absence de vêtement ou de toit peuvent aussi entraîner la mort en raison des intempéries, mais celui qui en souffre se retrouve à découvert devant les autres. Le vêtement protège non seulement contre les intempéries, mais il instaure une distance symbolique et rend possible une relation humanisante. Faute d’avoir un lieu où se refugier, le sans-abri met son corps en danger et, comme on le constate à certains jours où il gèle, le froid peut tuer ou rendre malade ; mais pire encore, celui qui n’a pas de domicile, n’a pas d’existence aux yeux de la société. Il n’a pas d’adresse et cela complique sérieusement la recherche d’un emploi. Je vous laisse deviner les implications du dernier binôme : la maladie ou la prison qui sont des marqueurs d’exclusion sociale. La finale du texte est tout à fait inattendue, car le Christ s’identifie à ceux qui souffrent des maux qu’on vient de mentionner. C’est donc au Christ que l’on donne ou que l’on refuse ce qui est essentiel à son existence, le Christ s’identifiant à tout homme. Ce texte déborde ainsi le cercle étroit des chrétiens.
2. Un appel spécifique pour les chrétiens
Mais les chrétiens ont un rôle spécifique à jouer dans cette crise du logement, comme jadis, l’instruction publique des jeunes filles ou l’activité hospitalière furent une priorité de nombre de congrégations religieuses. Aujourd’hui, l’État a pris le relais et la tradition républicaine française a toujours été méfiante à l’endroit des prétentions de l’Église à intervenir statutairement dans le champ politique et social [49].
Cependant, la foi ne saurait se contenter de dire le sens d’une action, elle doit toucher le réel, comme l’a maintes fois répété le théologien catholique allemand Jean-Baptiste Metz. [50] Henri-Jérôme Gagey résume sa pensée en quelques phrases :
« Si l’on ne parvient plus à identifier ce qu’opère la foi dans une existence, à quoi cela engage de croire, c’est l’idée même de Dieu qui se trouve vidée de son sens... l’idée de Dieu prise au sérieux se présente comme une idée pratique. L’Église doit donc intervenir avec son outillage propre... en vue d’ouvrir des possibles dans la société. » [51]
De même que l’Église a su répondre jadis à la demande hospitalière ou scolaire, elle doit pouvoir aujourd’hui faire face à la demande du logement en mettant en œuvre un savoir-faire inspiré par l’Évangile. Il nous faut donc inscrire notre action dans le sillage de nos aînés, ceux qui créèrent des hôpitaux, des asiles, des écoles ou des orphelinats.
Tant qu’un membre de l’humanité souffre d’un besoin essentiel, on ne peut pas s’estimer quitte. Saint Jean nous enjoint de ne pas dissocier l’amour de Dieu de l’amour du prochain : « Si quelqu’un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin, et qu’il se ferme à toute compassion, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? » [52]
En tant que communautés de foi, nous sommes le corps du Christ et notre action découle de l’exigence de vivre l’Évangile dans les réalités humaines. Mais la crise actuelle requiert évidemment la mise en œuvre de moyens techniques, sociaux et politiques qui ne relève pas uniquement de notre compétence. Cependant, nous disposons d’un savoir faire et de capacités originales de rassemblement et de débats inspirés par l’Évangile. Dans ces conditions, on ne pourra taxer les chrétiens de faire de la suppléance.
3. Que faire concrètement ensemble ?
Je me risque à faire six propositions d’action collective [53] :
Travailler avec des organismes publics
Les chrétiens n’ont pas forcément à créer de nouveaux organismes pour lutter contre la crise du logement ou de l’hébergement. S’il existe au plan régional, départemental ou communal des associations efficaces et compétentes, on peut – en fonction de son emploi du temps – s’y engager avec ses compétences propres. Souvent on ignore ce qui se fait. Cela suppose donc que chaque secteur paroissial recense ce qui existe, confessionnel ou non. Il existe tout un potentiel d’expériences dont il faut profiter.
Adapter la réponse à la crise
Les besoins sont nombreux et ne sont pas homogènes. Certaines initiatives s’avèrent utiles dans certains secteurs et inutiles dans d’autres. Pour connaître les besoins de ceux à qui on veut porter secours il faut entrer en contact avec eux et repérer ce qui fait défaut dans le domaine du logement. Pour éviter de tomber dans un paternalisme de mauvais aloi, il importe que les équipes soient composées de membres d’origine ethnique ou sociale diverse et que des personnes concernées par la crise y soient présentes.
Mobiliser les capacités et les compétences de nos églises
Reconnaître ses limites en sachant que la bonne volonté ne suffit pas. Si l’engagement concerne tout le monde, il est nécessaire de tenir compte des aptitudes de chacun, qu’elles soient relationnelles (visite aux personnes, accueil des SDF, etc.) ou techniques (gestion, communication, etc.).
Établir des partenariats entre les églises
Certaines communautés disposent de moyens (financiers ou techniques) plus considérables que d’autres. Il faut établir des contacts entre les différents services des communautés pour s’entraider.
Une autre façon pour l’Église de gérer son parc immobilier
On pourrait sans doute s’inspirer d’une initiative américaine. Certaines paroisses ou certaines communautés ont mis à disposition des terrains pour construire des logements sociaux. En effet, des diocèses ou congrégations religieuses possèdent souvent dans les grandes villes, et spécialement à Paris et en Ile-de-France, un patrimoine immobilier important et disposent de terrains à bâtir non utilisés. Il faudrait recenser le parc disponible et encourager la conclusion de baux à construction, comme ont commencé à le faire certains diocèses de notre pays, ce qui permettrait d’accroître l’offre de logements, sans pour autant appauvrir les communautés propriétaires qui conserveraient le terrain d’assiette et qui, à long terme, accéderaient à la propriété de l’immeuble bâti.
Après la deuxième guerre mondiale, nombre de biens appartenant à l’église ont été mis à la disposition des personnes sinistrées et, dans les années 70, nombre d’institutions religieuses ont accueilli des réfugiés chiliens en exil.
Quel signe de solidarité et d’engagement collectif des chrétiens donnerait une telle mobilisation foncière, au moment où les pouvoirs publics peinent à le faire eux-mêmes à partir de leurs terrains en réserve !
Une aide financière des églises aux ménages à revenus faibles
Faute de garanties et de revenus suffisants, nombre de ménages ont une solvabilité trop faible et, de ce fait, ne peuvent louer un logement privé. Pour remédier à cette carence, on pourrait multiplier des initiatives déjà tentées par un certain nombre de communautés. Il s’agirait de constituer un système de cautionnement des loyers qui ouvrirait ainsi aux plus fragiles d’entre nous l’accès à un nombre non négligeable de logements locatifs privés !
*
En somme, nous sommes attendus sur deux fronts : d’une part, travailler à une prise de conscience aiguë du mal-logement au plan national ; d’autre part, mobiliser chacun d’entre nous pour qu’il participe, selon ses compétences et ses responsabilités, à cette sortie de crise.
Mais nous ne serons crédibles aux yeux de nos compatriotes que si nos communautés ecclésiales manifestent concrètement leur engagement et leur capacité d’action.
Conclusion : La solidarité, une espérance spirituelle
Nous pensons ne pas avoir évacué l’exigence éthique d’une solidarité du logement. Mais le titre des ces conférences comporte un autre terme qu’on ne saurait esquiver, celui d’espérance.
Quand pourrons-nous offrir à tous nos concitoyens et à tous les hommes d’habiter un logement digne de ce nom ? La tâche est immense et sans doute, nous ne verrons jamais la réalisation de ce rêve. À l’échelle plus réduite où nous travaillons, nous connaissons le doute face à des médiations interminables et à la recrudescence des demandes.
Comme chrétiens, nous confessons tout à la fois que la résurrection du Christ signe l’échec définitif des forces du mal, et en même temps, nous constatons chaque jour que ces forces n’ont rien perdu de leur violence. C’est bien là le paradoxe du christianisme de combattre sans cesse le mal sans jamais pouvoir l’éradiquer. Mais l’espérance implique également la certitude qu’avec la résurrection du Christ, l’histoire est entrée dans un mouvement irréversible et que les forces du mal seront effectivement vaincues un jour. Qu’elles subsistent encore devient alors pour le chrétien une exigence : celle de travailler à l’avènement d’une terre nouvelle et de cieux nouveaux.
Face au mal-logement, l’espérance chrétienne prend une tonalité bien spécifique. La Bible parle souvent de Dieu qui habite parmi les hommes ou qui choisi un lieu pour y faire habiter son nom, mais qui culmine dans ce nom Emmanuel – Dieu avec nous ; dans le judaïsme tardif, la « shekinah » – l’habitation divine – deviendra la métaphore pour désigner Dieu. Cette habitation de Dieu dans l’humanité atteint sa plénitude un certain jour du temps et en un lieu précis lorsque « Le Verbe s’est fait chair et a habité (mot-à-mot : campé) au milieu de nous (Jn 1, 14). Si à notre tour, nous nous laissons habiter par cette présence, nous aurons le courage de poursuivre la tâche et l’intelligence d’inventer de nouvelles solutions.
Éléments bibliographiques
(par ordre alphabétique d’auteurs) :
En sus des publications citées au fil du texte, on peut, parmi la profusion d’ouvrages sur le sujet du logement, relever quelques titres dont la lecture nous a aidés à préparer cette conférence :
a) Sur la crise du logement et/ou de l’hébergement :
– Comité de suivi du DALO, Rapport annuel
– Commission sociale de l’épiscopat, Un logement pour tous, Bayard éditions/Centurion 1995
– B. Devert, Une ville pour l’homme, l’aventure d’habitat et humanisme, Cerf, 2005
– P. Dietrich-Ragon, Le logement intolérable, PUF, 2011
– R. Fauroux et B. Devert, En finir avec le mal-logement, une urgence et une espérance, Cerf, 2010
– Fondation Abbé Pierre, Rapport annuel : l’état du mal-logement en France, le 1er février de chaque année
– Fondations, Les sans-abri, n° 1, 1995
– Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, Rapport annuel, notamment les 10ème (l’hébergement d’urgence), 11ème (face à la crise : une obligation de résultat) et 13ème (les implications du DALO)
– B. Lacharme, Logement : une question de droits de l’homme, L’Harmattan 2011
– E. Maurin, Le Ghetto français, Seuil, 2006
Mouvement PACT-ARIM, La décence du logement, 2004
– P.A. Périssol, En mal de toit, L’Archipel, 1995
revue Esprit : le logement au cœur de la crise, janvier 2012
b) Sur la politique du logement (en général) :
– M. Amzallag ; C. Taffin, Le logement social, 2ème édition, Lextenso éditions, 2010
– Agence nationale de l’habitat, Mémento de l’habitat privé 2011-2012
– F. Bouillon, le squat : Problème social ou lieu d’émancipation, Éditions Rue d’Ulm, 2011
– C. Chaline, Les politiques de la ville, PUF, 2010
– B. Coloos, Habitat et ville, Éditions de l’Aube, 2010
– J. Cl. Driant, Les politiques du logement en France, La Documentation française, 2009
– Y. Fijalkow, Sociologie du logement, La Découverte, 2011
Fondations, Les pouvoirs publics et le logement, n° 2, 1995
– J.P. Lacaze, Les politiques du logement, Flammarion, 1997
– O. Mongin, La condition urbaine, Seuil, 2005
– J.P. Stébé, Le logement social en France, PUF, 2011
Biographie M. Philippe Pelletier
Né en 1949, Philippe Pelletier, marié et père de huit enfants, est avocat au barreau de Paris.
Diplômé d’études supérieures de droit, il est actuellement président du Comité stratégique du plan bâtiment du Grenelle de l’environnement, membre du haut Comité pour le logement des personnes défavorisées et chargé d’enseignement (droit des baux) au master II de droit immobilier de l’université de Paris II.
Philippe Pelletier se consacre depuis les années quatre-vingt aux questions du logement : il a été président de l’Union nationale de la propriété immobilière, vice-président de la Commission nationale de concertation et Président de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
Il est également connu pour ses guides pratiques, notamment : Bien louer un appartement, MA éditions, 1990 et Investir dans l’immobilier d’habitation, ed. Litec, 2010.
Biographie P. Jacques Trublet
Le père Jacques Trublet, jésuite, est né en 1937 à Lisieux et a été ordonné prêtre en 1969. Il est actuellement professeur d’exégèse biblique au Centre Sèvres à Paris et chargé de mission auprès de la gendarmerie au sein du diocèse aux armées. Après des études bibliques à Cambridge et à l’École Biblique de Jérusalem, il est devenu professeur d’études bibliques au Centre Sèvres (facultés jésuites de Paris) où il a enseigné surtout les Psaumes, les livres sapientiaux et l’anthropologie biblique. Bien qu’émérite depuis 2007, il y poursuit son enseignement ainsi qu’au Studium des Bernardins. Aumônier à l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale pendant une dizaine d’années, son intérêt pour les questions de sécurité l’a amené à participer à la 14e session nationale de l’IHESI et à étudier plus spécialement les problèmes d’incivilités et de délinquance. Auteur de quelques livres sur les Psaumes et la Bible dont l’Approche poétique et théologique des psaumes, Analyses et Méthodes, (Paris, 1983). Il rédige également de nombreux articles (notamment au sein du magazine Biblia) sur les Psaumes, mais aussi sur des questions d’actualité comme la violence, la nature ou la ville.
[1] Sur l’histoire de cette notion on consultera Marie-Claude BLAIS, La Solidarité. Histoire d’une idée, Paris : Gallimard 2007 et Le Télémaque, Notion : La solidarité, 33, 2008, p.9-24.
[2] Cf. Éric MAURIN, Le Ghetto français : Enquête sur le séparatisme social, Collection « La République des Idées », Paris : Éditions du Seuil, 2004. Surtout le premier chapitre.
[3] cf. Pierrette Briant et Catherine Rougerie, Les logements sont plus confortables qu’il y a vingt ans et pèsent davantage sur les revenu des ménages, in France, portrait social 2008, INSEE.
[4] Vincent RENARD, Une politique du logement devenue illisible, Esprit 381, Janvier 2012, 49-55 (citation p.49-50).
[5] Cf. Loi du 3 juin 2010 sur le Grand Paris, loi du 16 juin 2011 validant le SDRIF (schéma directeur de la région Ile-de-France).
[6] Pour en savoir plus, lire : Eric Maurin, Le ghetto français, cité note 2.
[7] cf. The housing sector, étude RICS, novembre 2011.
[8] Briant, Rougerie, cité plus haut. ; et Pierre-Emile Bidoux et Stéphanie Jankel : les parisiens consacrent une part croissante de leur revenu au logement, INSEE Ile-de-France, n. 333, mai 2010.
[9] En 2007, un habitant sur sept résidait seul dans son logement, soit près de 9 millions de personnes : 14 % de la population -, alors qu’en 1962, cela ne représentait que 6 %. Cf. Laurent Toulemon et Sophie Pennec, combien de personnes résident seules en France, in Population et Sociétés n. 484, décembre 2011, INED.
[10] cf. Pierrette Briand, Nathalie Donzeau : être sans domicile, avoir des conditions de logement difficiles, INSEE première, n. 1330, janvier 2011.
[11] Autour de 130 000 personnes sont sans domicile fixe, 550 000 n’ont pas de domicile personnel, plus de 2,5 millions vivent dans des conditions très difficiles de logement. Mais la Fondation Abbé Pierre estime que plus de 8 millions de personnes sont fragilisées par la crise du logement. cf. les chiffres du mal-logement, rapport annuel 2012, Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés.
[12] Cf. Jill Suzanne SHOOK, What does the Bible say about today’s Housing crisis ? Land, limits and Jubilee Hospitality, Cultural Encounters, a Journal for the Theology of Culture 5, 2009, 89-94.
[13] Pour cette distinction on consultera l’article de Perla SERFATY-GARZON, Le chez-soi : habitat et intimité, Dictionnaire critique de l’habitat et du logement, sous la Direction de Mario Segaud, Jacques Brun, Jean-Claude Driant, Paris, Éditions Armand Colin 2003, p.65-65
[14] André MIRE, Jésus avait-il une maison ? in « Où demeures-tu ? » (Jn 1, 38) : La Maison depuis le Monde Biblique, En Hommage au Professeur Guy COUTURIER, à l’occasion de ses soixante-cinq ans, Jean-Claude Petit, André Charron et André Mire (éd.), Québec : Éditions Fides 1994, p.305-322.
[15] Cf. Briant, Rougerie, precit.
[16] pour en savoir plus, se reporter au site de l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine).
[17] pour en savoir plus, se reporter au site de l’ANAH (Agence nationale de l’habitat).
[18] Cf. Marie-Anne Belin, le logement des ménages à revenus moyens en Ile-de-France, rapport au CESR d’Ile-de-France, novembre 2011.
[19] Cf. l’enquête publiée en 2009 par la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA).
[20] . Am 5, 11.21.24.
[21] . Mi 3, 12.
[22] . Mi 2, 1-2.
[23] . Mi 3, 3.
[24] . Is 5, 8.
[25] . Que Monsieur Benoît Gain soit ici remercié pour son aide précieuse dans la recherche des textes patristiques.
[26] . Né en 330 et mort en 380, évêque de Césarée en Cappadoce.
[27] . Basile le Grand, Homélie 7 contre les riches, dans Riches et Pauvres dans l’Église ancienne, Textes choisis et présentés par A.G.Hamman, Collection « Lettres Chrétiennes » 6, Paris : Bernard Grasset Éditeur, 1962, p. 86.
[28] . Basile, Homélies sur l’Hexameron, Traduit par Stanislas Giet, Collection « Sources Chrétiennes » 26bis, Paris : Les Éditions du Cerf, 1968, Septième Homélie 3-4, p.409-411.
[29] . Né à Antioche, évêque de Constantinople, mort en 407.
[30] . Commentaire l’Évangile de Jean, Homélie 72, in Œuvres Complètes de Saint Jean Chrysostome, traduites par M. Jeannin, Paris : Victor Palmé, 1865, tome 8, p.463.
[31] . Jean Chrysostome, Commentaire sur Isaïe, traduction par Arthur Liefooghe, Collection « Sources Chrétiennes » 304, Paris : Les Éditions du Cerf, 1983, p.227 et 229
[32] . Suffragant de Césarée de Cappadoce. Il meurt en 390.
[33] . Homélie pour la sainte Pâque 45:17, Saint Grégoire de Naziance, Homélies xxxviii, xxxix, xl, i, xlv, xli, Textes traduits par Edmond Devolder, Namur : Les Éditions du Soleil Levant, 1961, p.142-143.
[34] . Frère cadet de Saint Basile et ami de Grégoire de Naziance, mort en 394.
[35] . De l’amour des pauvres (1) (PG 46:454-469). Première traduction française dans Riches et Pauvres dans l’Église ancienne, Textes choisis et présentés par A.G.Hamman, Collection « Lettres Chrétiennes » 6, Paris : Bernard Grasset Éditeur, 1962, p. 143-144.
[36] . Mort en 397, préfet puis évêque de Milan.
[37] . Ambroise de Milan, Naboth le pauvre, ch.3 dans Riches et Pauvres dans l’Église ancienne, Textes choisis et présentés par A.G.Hamman, Collection « Lettres Chrétiennes » 6, Paris : Bernard Grasset Éditeur, 1962, p. 224-225.
[38] . La Documentation Catholique, n. 1956, 21 février 1988, p.183-192.
[39] . La Documentation Catholique, n. 2112, 19 mars 1995, p.269-275
[40] . ATD Quart Monde, Une France riche de tous ses habitants : 64 propositions en vue des élections présidentielles et législatives de 2012.
[41] . On trouvera la Charte d’Habitat et Humanisme de janvier 2003 sur le site : http://www.habitat-humanisme-org. Il a en outre publié Une ville pour l’homme, Habitat et Humanisme, Paris : Les Éditions du Cerf 2005.
[42] . Bernard DEVERT, Déloger en chacun de nous l’indifférence, Projet 294, 2006, p.46-47
[43] On trouvera cette référence sur le site http://www.emmausavenir.com/historique.html.
[44] . Esprit 381, Janvier 2012 Le logement au cœur de la crise. Le mal-logement, au-delà de l’urgence. L’immobilier et les transformations de la finance. Pour l’habitat, revaloriser la politique urbaine.
[45] Cf. le rapport évaluant l’efficacité des dépenses fiscales en faveur du développement et de l’amélioration de l’offre de logements (annexe au projet de loi de finances pour 2010) qui recense 44 dépenses fiscales distinctes …
[46] Le Conseil d’État a récemment décidé que la méconnaissance de cette obligation légale constitue une atteinte grave à une liberté fondamentale (Ordonnance du 10 février 2012 – n° 356456)
[47] . Mt 25, 31-46. Pour un commentaire détaillé de cette péricope, on se reportera à l’excellent ouvrage de Louis-Jean FRAHIER, Le Jugement dernier : implications éthiques pour le bonheur de l’homme, Collection « Recherches Morales » Paris : Les Éditions du Cerf, 1992.
[48] . D’autres textes reprennent ces mêmes impératifs : Cf. Ez 18:5-9, ; Pr 25:21-22 ; Sir 7:35 ; Tob 1:17 ; Tob 4:5-16 ; Jb 22:5-11.
[49] . Sur cette question, je renvoie aux analyses de Henri-Jérôme GAGEY, Sur l’impact social de la foi, Masses Ouvrières 457, 1994, 36-47 et L’énigme de la « Théologie politique », Documents Épiscopat 8, mai 2002.
[50] . Jean-Baptiste METZ, La foi dans l’histoire et dans la société : essai de théologie fondamentale pratique, Traduit de l’allemand par Paul Corset et Jean-Louis Schlegel, Collection « Cogitatio Fidei » 99, Paris : Les Éditions du Cerf, 1979
[51] . Masses Ouvrières 457, 1994, p.36-37.
[52] . 1 Jn 3, 17
[53] . Pour cette partie, je me suis inspiré d’expériences faites aux USA et dont on trouvera une présentation dans deux articles : Deann LANCASHIRE, Adressing the Housing Crisis. How your Congregation can make a difference ?, Congregations, July-August 2002, p.6-9 et Lyle E. SCHALLER, Churches Enter the Housing Business, The Christian Century, October 16, 1963, p.1263-1265.