Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Installation du P. Rémi Griveaux, curé de la paroisse St Germain de Charonne.
Dimanche 19 septembre 2010 - Saints Cyrille et Méthode
– Am 8, 4-7 ; Ps 112, 12.5-8 ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13
Frères et sœurs,
Tout au long de ces dimanches, l’évangile de saint Luc nous indique comment entrer dans le chemin de disciple, pour suivre le Christ qui monte à Jérusalem et participer au festin de son Royaume. Dimanche dernier, nous avons médité sur la parabole du père miséricordieux. Cette page d’évangile nous rappelait que nous sommes toujours des disciples convertis, des disciples pécheurs revenus à Dieu et ayant reçu sa miséricorde. Le passage que nous venons d’entendre nous fait percevoir de façon plus aigüe la radicalité du choix par lequel on se met à la suite du Christ. Pour cela, Jésus reprend un enseignement qui peut paraître évident : « Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier, et méprisera le second. » (Lc 16, 13). Il applique ce principe en demandant à ses disciples de choisir entre les deux maitres que sont Dieu d’une part et l’argent d’autre part.
Ce faisant, Jésus reprend un enseignement constant dans l’évangile de saint Luc : la mission apostolique ne peut se vivre hors d’un chemin de pauvreté, non pas pour chercher la misère économique ou sociale, mais pour entrer dans la conscience que notre véritable ressource ne vient pas de nos forces, de notre stratégie ou de nos richesses mais de Dieu seul. Dieu est venu nous chercher, Il s’est fait proche de nous. Dans le Christ, Il nous annonce la Bonne nouvelle du Salut, nous appelle, nous donne la plénitude de son Esprit et nous entraine pour que nous devenions capables à notre tour d’être témoin de l’Evangile dans toute notre propre existence.
Lorsque Jésus met Dieu et l’argent en vis-à-vis, il ne jette pas une sorte de malédiction métaphysique sur l’argent, comme certains sont parfois tentés de le faire. Opposer Dieu et l’argent, c’est mettre en face à face deux systèmes de référence et de fonctionnement, deux manières de comprendre ce qui peut transformer l’existence humaine, rendre l’homme heureux, le faire avancer petit-à-petit et structurer toute son existence.
« Après quoi courrons-nous ? Pour quoi roulons-nous ? Pour quoi nous donnons-nous tant de mal ? Pour quoi tant d’efforts ? Pour quoi tant de sacrifices ? » Ces expressions familières décrivent bien ce discernement nécessaire. Nous voyons bien autour de nous des hommes et des femmes qui sont séduits par la puissance de l’argent, confiants que l’argent peut tout, qu’il permet de tout acheter et de tout faire, jusqu’au point de mettre en servitude sans scrupule d’autres hommes et d’autres femmes, simplement pour accroître leurs richesses et leurs biens. Mais tous découvrent, chemin faisant et à mesure qu’ils avancent vers la lumière incontournable de la fin de la vie, qu’ils seront un jour enterrés nus comme ils sont arrivés nus et que leur argent restera derrière eux. Ils comprennent que la thésaurisation et le pouvoir de l’argent ne conduisent qu’à la mort. Le Seigneur nous met devant ce choix rédhibitoire en rappelant qu’aucun domestique ne peut servir deux maîtres.
Peut-être avez-vous été surpris d’entendre Jésus donner en exemple l’habilité du gérant malhonnête de la parabole ? Le Christ voudrait-il nous appeler à être de bons trafiquants d’influences capables de cacher leurs méfaits ? Certainement pas. Le Christ ne donne pas cet exemple – qui venait peut-être d’un cas connu à l’époque - pour inviter les gens à faire comme ce gérant mais pour leur montrer combien le goût de l’argent et de la domination peut rendre les hommes ingénieux : « Regardez comment ce désir de posséder peut transformer les cœurs les intelligences et le savoir-faire ! Regardez comment les fils de ce monde sont habiles entre eux ! Non pas pour faire comme eux. Mais pour prendre conscience que nous, Fils de la lumière, nous devons apprendre à mettre en œuvre cette habileté, cette astuce et ce savoir-faire non pas pour nous soumettre à l’argent, mais pour soumettre l’argent au service du seul maître qui compte, Dieu, et au service de nos frères. »
Chacun de ceux qui veut devenir le disciple du Christ est invité à se demander « pour quoi il court » Régulièrement et périodiquement (et non pas une fois pour toute), nous devons scruter comment notre liberté est contrainte pas les biens que nous possédons et qui nous font dépendre d’eux alors qu’ils ne donnent pas la vie. Ce discernement doit nous permettre de voir quelle décision il convient de prendre pour être enfin libérer de cet esclavage.
Frères et sœurs, demandons au Seigneur qu’Il éclaire notre cœur et notre intelligence, qu’il nous fasse mesurer combien nous pouvons, insensiblement devenir serviteurs de deux maîtres, nous laisser séduire par la puissance de l’argent et oublier Dieu, le seul maître qui peut nous donner la vie, quitter le Christ, le seul chemin qui nous conduit vers le Père et perdre l’Esprit Saint, la seule force qui nous permet de vivre en Lui. Puissions-nous témoigner au milieu du monde de cette puissance de l’amour face à la domination de l’argent. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois