Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe en l’honneur du Père Emmanuel d’Alzon

Mardi 5 octobre 2010, Année C - Basilique Notre-Dame des Victoires.

A l’occasion du bicentenaire de la naissance d’Emmanuel d’Alzon le cardinal André Vingt-Trois a célébré la messe de Notre-Dame du Rosaire en l’Église de Notre-Dame des Victoires en présence des familles religieuse de l’Assomption. Dans son homélie il est revenu sur le rôle de Marie dans notre vie chrétienne, sur la récitation du rosaire et le discernement des appels de Dieu

 Ac 1, 12-14 ; Lc 1, 26-38
Frères et sœurs,

Nous sommes rassemblés ce soir dans cette église de Notre-Dame des Victoires pour faire mémoire de la naissance du Père Emmanuel d’Alzon et des fondations que sa vie et son action ont permis. Comme lui, beaucoup d’hommes et de femmes ont reçu ici-même d’une façon mystérieuse une lumière sur leur vie, une force pour décider de l’orientation de leur avenir et parfois un appel à consacrer leur existence à l’annonce de l’Evangile. Bien évidemment, ni l’architecture ni la décoration de l’église ne sont à l’origine de ces expériences fortes, mais bien la rencontre que ces personnes ont vécue dans la prière avec Marie. C’est pourquoi les Pères de l’Assomption ont voulu que nous célébrions ce soir la messe de Notre-Dame du Rosaire. Cette fête est en effet l’occasion pour nous de reconnaître comment la Vierge Marie intervient dans notre existence et dans l’expérience de foi à laquelle nous sommes invités. Je retiendrai trois aspects de ce rôle de la Vierge Marie qui peuvent éclairer notre propre chemin :

Le premier aspect s’appuie sur le récit des actes des apôtres que nous avons entendu tout à l’heure. Ce passage nous décrit ce petit noyau des apôtres et de quelques femmes dont Marie regroupés dans la prière à l’approche de la Pentecôte. L’intercession et la prière de la Vierge Marie au cœur de l’Église naissante ont été reconnues par la tradition chrétienne comme une annonce de son rôle d’intercession dans la vie de l’Église et même pour toute l’humanité. Marie est l’avocate, celle qui intervient en faveur de tous les hommes et d’une manière toute spéciale de ce groupe des disciples, de ceux qui ont été choisis par le Christ, et à qu’il a confié à sa Mère à la croix comme nous le rapporte le récit de la Passion selon Saint Jean : « Jésus dit à sa mère : ‘Femme, voici ton fils’. Puis il dit au disciple : ‘Voici ta mère’. » (Jn 19, 26-27)
Cette maternité de Marie à l’égard de l’Église s’étend à chacun des membres de l’Église, mais s’exerce d’une manière particulière pour le corps de l’Église assemblée. La prière mariale est bien toujours une prière tout à fait personnelle, et d’une certaine façon incommunicable, de l’ordre du dialogue affectueux avec une mère et qui ne peut pas se comprendre en dehors de la relation qui existe avec elle. En même temps, la prière mariale est la prière de tout le corps ecclésial, tant il est vrai que nous ne pouvons rencontrer Marie, supplier son intercession et accueillir sa protection, que si nous la rencontrons dans le cadre de l’Église, où le Christ lui même nous a donné de la recevoir.

Le deuxième aspect tient à cette fête du Rosaire : la Vierge Marie à travers la prière que nous lui adressons - dont le prototype scripturaire est évidemment le « Je vous salue Marie » de l’ange Gabriel - oriente complètement notre pensée, notre affection, notre désir, et nos résolutions vers la personne de son Fils. Loin de se substituer au Christ dans l’expérience spirituelle des chrétiens, Marie doit être perçue comme celle qui oriente vers Lui ses disciples et leur permet de rencontre son fils. Et comme l’évènement de la naissance du Christ a complètement modifié la vie de la Vierge Marie et l’a entraînée dans une aventure inimaginable, la méditation des mystères de la vie du Christ à travers la récitation du Rosaire et la mémoire des scènes évangéliques nous conduit pas à pas à unir notre attention et notre prière à la vie terrestre historique de Jésus de Nazareth et à le reconnaître comme celui qui est à la fois le signe et l’instrument de la miséricorde divine, le sacrement fondamental de l’Alliance nouvelle, et celui grâce à qui nous rentrons en communions avec Dieu. C’est d’ailleurs pour cette raison que s’imaginer que la dévotion mariale se substituerait à la relation fondamentale qui nous unit à Dieu dans le Fils et par l’Esprit est une erreur de perspective ou une manière de réfléchir déviante.

Enfin, je voudrais souligner que le récit de l’Annonciation que nous venons d’entendre nous donne - j’allais dire nous met en situation - d’assister à un acte de discernement. Nous utilisons volontiers le vocabulaire du discernement pour recouvrir bien des choses que la faiblesse humaine ou la commodité nous conduisent à placer sous cette catégorie. Mais ce passage de l’Evangile nous permet de comprendre comment s’opère le discernement pour la Vierge Marie. Dieu sait que l’appel qui lui est adressé et les événements qui lui sont annoncés dépassent de beaucoup les possibilités d’un simple discernement de bon sens ! Le bon sens ne l’enjoindrait-il pas à se verser un peu d’eau fraiche sur le visage et à cesser d’écouter des voix ?! Mais l’Evangile nous dit que l’ouverture du cœur de la Vierge Marie et l’attitude de foi qui est la sienne lui permettent de reconnaître l’appel du Seigneur dans la voix de l’ange. C’est un acte de discernement au sens fort, puisque il s’agit pour Marie d’interpréter une expérience particulière (assez difficile à définir d’ailleurs) comme un signe authentique de la volonté de Dieu et comme son appel, et au terme de poser l’acte de foi qui lui est proposé : « L’ange lui dit « rien est impossible à Dieu. » Et Marie dit alors : « Que tout se passe pour moi selon ta parole » » (Lc 1, 38). Ce processus au terme duquel Marie exprime sa disponibilité totale se déroule dans un dialogue, dans des paroles qu’elle échange avec cet autre qu’est l’ange qui représente Dieu. L’ange n’est pas Dieu et c’est en parlant avec l’ange qu’elle découvre ce que Dieu attend d’elle.

Pour nous aussi, notre discernement est toujours le fruit d’un dialogue : dialogue avec Dieu dans la prière, et dialogue sacramentel avec quelqu’un qui représente Dieu. Ce qu’il peut y avoir d’extraordinaire, d’inimaginable, et de déraisonnable dans certains appels de Dieu ne peut être validé par le simple jeu de notre réflexion et de notre prière. Nous avons besoin de soumettre ce colloque intime avec nous même et avec Dieu au regard d’une autre personne. Le discernement est toujours un acte d’Église, y compris quand il concerne les dimensions les plus personnelles de notre vie. Cette mise en disponibilité de notre cœur par la prière et cette vérification objective de nos désirs par le dialogue constituent ensemble le cœur du discernement des vocations, des appels, ou des missions.

Ainsi l’exemple du discernement de Marie nous est précieux au jour où nous faisons mémoire du Père d’Alzon, des nombreuses fondations qui se réclament de lui à juste titre, et des personnes pour lesquelles, à un moment ou un autre de leur vie, il a été l’interlocuteur grâce auquel un désir, un rêve, une idée, une illusion ont pu être reconnus comme une véritable Parole de Dieu et un appel réel à s’engager dans un nouveau mode de vie, pour une mission particulière au service de l’Evangile. Faire mémoire de ce rôle qu’il a joué pour un certain nombre d’hommes et de femmes au long de sa vie, c’est donc inséparablement faire mémoire de l’acte de foi qu’il avait posé dans cette même église de Notre-Dame des Victoires en décidant de répondre à l’appel de Dieu et d’entrer dans une vie convertie. Et notre action de grâce se transforme en prière pour que, aujourd’hui encore, la Parole de Dieu touche les cœurs et nous donne de nous mettre en route. Que l’exemple de la Vierge, oriente nos regards vers la personne du Christ unique sauveur et que nous sachions vraiment nous confier à son intercession maternelle. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois Archevêque de Paris

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