Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe Chrismale 2011

Cathédrale Notre-Dame de Paris - mercredi 20 avril 2011

Une foule très nombreuse était rassemblée ce mercredi 20 avril en la cathédrale Notre-Dame autour de l’archevêque, des évêques, prêtres, diacres du diocèse et des communautés religieuses de Paris.
Mgr Vingt-Trois a invité à rendre grâce pour les fruits merveilleux de l’amour de Dieu, à témoigner de l’Evangile et à placer notre confiance en Dieu qui veille sur nous.

Textes : Isaïe 61, 1-9 ; Apocalypse de saint Jean 1, 5-8 ; Evangile selon saint Luc 4, 16-21.

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et Sœurs,

« Cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. »

Elle s’accomplit pour nous, Église du Christ, disciples du Seigneur, nous qui la recevons dans la foi et qui mettons notre espérance en elle. Une fois encore, Jésus est au milieu de nous pour nous « annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » Une fois encore, la célébration de sa Pâque va renouveller en nous le dynamisme du baptême, la force de la communion eucharistique et la joie du don de l’Esprit. Une fois de plus, nous avons une chance supplémentaire de porter du fruit avant que notre vieux figuier ne soit abattu. Et nous avons bien besoin de cette espérance pour traverser sans faillir les flots déchaînés qui bousculent notre barque sur la mer en tempête.

Notre situation, dans un pays en paix, ne doit pas nous faire oublier les événements qui frappent aujourd’hui tant de pays dans le monde. Comment les énumérer tous ? Mais comment ne pas avoir présent à l’esprit le Japon et ses milliers de disparus, l’Afrique du Nord et les pays du Moyen-Orient avec leurs mouvements nationaux et les combats qui les accompagnent, la Côte d’Ivoire où l’on espère que la raison l’emportera et que les hommes épris de réconciliation éviteront les massacres partisans ? Mais ces crises récentes ne peuvent pas effacer de nos mémoires la lutte interminable entre Juifs et Palestiniens, ni l’Afghanistan où des soldats français continuent de servir et, pour certains, de souffrir et de mourir. Elles ne peuvent pas nous faire oublier nos frères des églises orientales au Moyen Orient et tous nos frères persécutés à cause de leur foi. De toutes ces épreuves nous sommes rendus proches, nous nous faisons proches, par la puissance de l’amour de Dieu répandu en nos cœurs par la foi.

Devant ces « malheurs des temps », notre foi au Christ est soumise à l’épreuve, comme elle est soumise à l’épreuve par les traitements infligés aux réfugiés qui frappent à la porte de notre Europe, comme elle set soumise à l’épreuve par l’augmentation dans notre pays des personnes sans ressources et sans logement. Pourrions-nous être les témoins de la libération annoncée et réalisée par le Christ sans affronter ces réalités ? Notre Église pourrait-elle annoncer Jésus-Christ sans agir pour que cette Bonne Nouvelle atteigne effectivement les pauvres de notre temps ? Si, comme Jésus nous le dit, « cette parole s’accomplit aujourd’hui », elle éclaire pour nous les chemins où le Seigneur nous appelle.

Notre société est confrontée à un questionnement radical dont il faut espérer que la campagne électorale déjà entamée ne l’esquivera pas. Depuis 2008, l’écroulement du système financier international a signé la fin d’une époque. Mais nous sommes encore loin d’avoir fait le deuil de cette époque. Collectivement, nous sommes encore dans la dynamique d’une surabondance, mal répartie certes, mais surabondance quand même ! Nous sommes dans une logique d’une répartition et d’une distribution, même si les biens répartis sont fictifs et gagés sur les générations futures. Nous n’avons pas encore accepté ni reconnu que c’est notre manière de vivre qui est en cause et qui est déjà condamnée. Le temps est au réalisme plus qu’aux promesses et le réalisme, c’est de préparer et de mettre en pratique la solidarité et le partage plus que la préservation garantie de nos acquis.

C’est dans ce contexte difficile que nous sommes appelés à rendre témoignage à l’Évangile et nous mesurons chaque jour que ce témoignage ne peut pas être simplement l’expression de bons sentiments et d’une générosité, même si nous partageons volontiers les bons sentiments et la générosité avec nos contemporains. Mais, il ne suffit pas d’être généreux en donnant un peu de son superflu, il s’agit d’aimer à la manière du Christ, c’est-à-dire en donnant tout, en se donnant tout entier. Cet engagement total de notre vie, nous le sentons bien, est au-delà de la compassion humaine, il est véritablement œuvre de Dieu en nous par la puissance et le dynamisme de l’Esprit-Saint que nous avons reçu.

Les Saintes Huiles que je vais bénir et consacrer sont pour nous le signe sacramentel de notre configuration au Christ par le Saint-Chrême et de la force du combat reçue avec l’Huile des Catéchumènes et l’Huile des malades. Par ces onctions, nous sommes véritablement identifiés au Christ dans sa mort et sa résurrection. Par elles, l’offrande que les malades sont appelés à faire de leur souffrance devient participation à la Passion du Seigneur et participation au Salut qu’il apporte au monde. Par elles, le combat des catéchumènes pour entrer dans une nouvelle manière de vivre les engage dans le combat des tentations de Jésus au désert et les fait partager sa victoire pour devenir vraiment de libres enfants de Dieu. Par elles, les baptisés et confirmés sont consacrés pour annoncer l’Évangile et se mettre au service de leurs frères. Par l’onction sacramentelle, les prêtres du Christ deviennent en lui pasteurs de son peuple et serviteurs de la grâce pour le peuple tout entier. C’est dire que cette bénédiction actualise pour nous le Mystère Pascal que nous allons célébrer pendant le Triduum à venir et plonge chacune de nos existences dans la réalisation actuelle de ce Mystère pour l’Église et pour le monde. C’est de cette réalisation que nous devons rendre grâce et témoigner sans complexe comme sans arrogance.

Comment pourrions-nous rester aveugles et ne pas rendre grâce pour les fruits merveilleux de l’amour de Dieu ?

Nous rendons grâce pour plus de 350 adultes qui vont naître à la vie chrétienne au cours de ce temps pascal à Paris. Nous rendons grâce pour plus de 150 jeunes qui vont être baptisés ces semaines-ci. Leur nombre nous impressionne. Même s’ils ne sont qu’une minorité de leur génération, ils sont le signe de la vitalité constante de l’Évangile. Depuis le début du Carême, au moment où je les ai appelés solennellement, nous les accompagnons de notre prière, spécialement les monastères des religieuses contemplatives à qui j’ai confié le livre de leurs noms qu’elles vont me remettre tout à l’heure. Mais je sais aussi que beaucoup d’entre vous se joignent à cette prière et particulièrement les membres de l’Ordre des Vierges consacrées.

Nous rendons grâce pour les jeunes hommes et les jeunes femmes qui engagent sincèrement et définitivement leur amour mutuel dans le mariage, pour les couples qui ont fait fructifier et qui font fructifier cet engagement dans l’expérience de la fidélité et du pardon donné et reçu. Pour les couples qui assument les crises sans renoncer. Nous rendons grâce pour tant de parents qui se donnent sans répit pour l’éducation de leurs enfants et qui trouvent leur bonheur en les voyant développer leurs personnalités. Nous rendons grâce aussi pour ceux qui sont privés de la joie d’enfanter et qui accueillent généreusement des enfants délaissés.

Nous rendons grâce pour celles et ceux que la vie frappe et qui endurent la souffrance de la séparation ou la solitude imposée sans perdre l’espérance. Celles et ceux qui investissent leur générosité dans le service de leurs semblables. Nous rendons grâce pour celles et ceux qui sont atteints par la maladie et qui combattent avec confiance. Nous rendons grâce pour tant de gestes secrets d’amour.

Nous rendons grâce pour celles et ceux qui donnent de leur temps et de leur tranquillité pour agir au cœur de multiples associations et mener un combat quotidien pour les victimes de notre société.

Nous rendons grâce pour les femmes et les hommes politiques qui ont le courage de rester fidèles à leurs convictions et qui ne se laissent pas emporter par les slogans trompeurs, notamment dans le débat actuel pour la révision de la loi de bioéthique. Nous rendons grâce pour celles et ceux d’entre eux qui préfèrent présenter franchement leur analyse de la situation et les solutions qu’ils proposent plutôt que de céder aux tentations de la démagogie.

Comme l’Église nous invite à le faire dans chaque Eucharistie, nous pourrions prolonger indéfiniment cette action de grâce. Chacune et chacun d’entre nous peut d’ailleurs l’illustrer par la mémoire des « œuvres bonnes que Dieu a préparées » (Eph. 2, 10) et qu’Il produit dans sa vie et des œuvres bonnes dont il est le témoin.

Au moment où beaucoup de nos contemporains sont désorientés par les bouleversements de notre société, ou encore paniqués par l’incertitude de leur avenir personnel ou de notre avenir collectif, nous avons besoin de vérifier l’authenticité de la Parole que nous avons reçue, les signes de sa force et les marques de la fidélité de Dieu pour ne pas vivre au milieu des hommes comme des gens qui n’ont pas d’espérance.

Frères et Sœurs, ayez confiance en Dieu qui n’abandonne jamais ceux qu’il appelle et rappelez-vous les paroles de Jésus : « Voilà pourquoi je vous dis : ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement…Tout cela les païens de ce monde le recherchent sans répit, mais vous, votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt son Royaume, et cela vous sera donné par surcroît. Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » (Luc 12, 22…32). En accueillant ces paroles du Christ, nous ne pouvons pas nous inquiéter comme des brebis sans pasteur : Dieu veille sur nous.

Cette vigilance du berger pour son troupeau, Dieu l’a confiée à son Fils unique venu dans le monde pour être notre Bon Pasteur et notre vrai Berger. « C’est lui le pasteur et le berger de nos âmes. » (cf. I Pierre 2, 25). Mais quand le moment fut venu de passer de ce monde à son Père, vous savez comment Jésus institua les Douze pour assumer en son nom cette mission proprement pastorale. Depuis cet envoi en mission initial, génération après génération, la mission pastorale a été confiée à des hommes appelés pour être les prêtres du Christ, collaborateurs des évêques. En ce jour où nous faisons mémoire de cet envoi fondateur, nous vos pasteurs, évêques et prêtres, nous allons renouveler devant vous les engagements de nos ordinations, comme j’inviterai aussi les diacres permanents à le faire après nous.

C’est une occasion solennelle pour inviter tout le peuple chrétien symboliquement rassemblé ce soir à prier pour les prêtres que Dieu lui a donnés pour le conduire, l’enseigner et le sanctifier. C’est aussi pour moi une occasion exceptionnelle de m’adresser à l’ensemble des prêtres réunis ce soir, unis à ceux que l’âge et la maladie empêche de venir ici et à ceux que leur ministère des vacances scolaires a entraînés hors de Paris. A chacun de vous, chers frères, je veux exprimer ma fidèle affection et ma reconnaissance pour votre disponibilité à répondre généreusement aux missions que je vous confie et votre dévouement constant au service du peuple qui vous est confié. Grâce à vous, malgré la dureté des temps, notre Église parisienne reste vivante et dynamique. Je sais combien les évolutions que nous vivons vous demandent de souplesse et de liberté intérieure. Mais je ne doute pas que vous trouviez votre joie dans votre service comme je trouve la mienne dans mon service auprès de vous. Aux diacres permanents et à leurs familles, je veux aussi exprimer ma reconnaissance pour leur implication dans la mission commune au service de l’Évangile.

Je veux dire un mot particulier aux jeunes qui sont parmi nous et, à travers eux, à ceux qui sont partis en vacances. Soyez à l’écoute des appels du Seigneur dans votre vie, soyez attentifs aux besoins de ceux qui vous entourent. Si vous pensez que notre Église peut et qu’elle doit faire quelque chose pour le salut des hommes et des femmes du XXI° siècle, demandez-vous comment Dieu vous appelle à vous donner dans cette mission. Si votre route a croisé celle de prêtres qui ont eu la chance de pouvoir vous aider dans votre chemin à la suite du Christ, dites-vous que les jeunes qui vous suivent ont, eux aussi, droit à rencontrer des prêtres qui seront leurs guides et ces prêtres de demain, aujourd’hui ils sont parmi vous. C’est à vous que s’adresse l’appel du Seigneur. Que celui qui a des oreilles qu’il entende !

Nous nous réjouissons de la béatification du Pape Jean-Paul II tout rempli du souvenir des voyages de Jean-Paul II en France et plus particulièrement à Paris et plus particulièrement dans cette cathédrale où nous avons eu tant de joie à le recevoir. Le diocèse de Paris y sera représenté par des pèlerins, jeunes et moins jeunes, et nous célébrerons ici même le samedi 7 mai pour en rendre grâce à Dieu. En attendant à tous, fidèles du Christ, religieux, religieuses, consacrées, laïcs, je souhaite de très saintes fêtes de Pâques.

+ Cardinal André VINGT-TROIS

 Voir le reportage photo sur la messe chrismale 2011

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