Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à l’occasion du départ du dépôt de la Préfecture de Police de la Congrégation des Sœurs de Marie Joseph et de la Miséricorde
Mardi 23 avril 2013 – Chapelle du Dépôt de la Préfecture de Police de Paris (Paris I)
La dispersion de la première génération des disciples de Jésus a été le point de départ d’une nouvelle mission. Après leur départ du dépôt de la Préfecture de Police de Paris, les sœurs de Marie Joseph et de la Miséricorde sont appelées à vivre une nouvelle aventure en vue de l’annonce de la Bonne nouvelle. Par leur présence durant 148 années elles ont été signes de l’accueil et de l’écoute du Christ auprès de femmes privées de liberté.
– Ac 11, 19-26 ; Ps 86, 1.5c.2-3.5ab.6-7 ; Jn 10, 22-30
Quand les frères de la première génération ont été dispersés, on a pu croire que c’était l’échec du mouvement initié au moment de la Pentecôte. L’accusation, la condamnation et l’exécution d’Etienne marquent la fracture qui s’est produite à Jérusalem à ce moment-là. Mais ces frères dispersés se sont répandus en Phénicie, à Chypre, à Antioche, et ils sont devenus témoins de la parole auprès des gens qu’ils rencontraient, d’abord les Juifs, puis peu à peu ils se sont adressés aussi aux Grecs pour leur annoncer cette bonne nouvelle, si bien que l’échec connu à Jérusalem s’est transformé en mission, et est devenu le point de départ d’un élargissement complexe. Pour la première fois, on identifie les disciples de Jésus qui prennent le nom de Chrétiens.
Chaque fois que les circonstances de la vie, qui ne sont pas forcément hostiles, mais sont mouvements des événements, nous déplacent, nous dispersent, nous obligent à changer de lieu, d’activité, de référence, on peut considérer que c’est la fin de quelque chose. Mais on peut aussi considérer que ces déplacements, ces déstabilisations, ces dispersions, peuvent devenir l’occasion de quelque chose de nouveau. Tout dépend de la manière dont on les vit.
Ainsi au moment où la communauté des sœurs du Dépôt va être dispersée, il ne s’agit pas de clore l’aventure de la Bonne nouvelle, mais de la vivre ailleurs et autrement. Cette dispersion ne va pas aboutir à l’abandon de l’annonce de la Bonne nouvelle : Jésus est le Seigneur ! Mais il faut définir de nouvelles conditions pour exercer cette annonce. C’est pourquoi dans notre vie, ces changements, auxquels nous sommes accoutumés dans certains corps de métier, et en particulier dans la vie religieuse, ne sont pas des catastrophes ! Ce sont des crises, et la solution d’une crise, c’est le chemin nouveau qu’elle ouvre devant ceux qui la vivent.
Mais que veut dire : annoncer la Bonne nouvelle ? Nous avons entendu dans l’évangile de saint Jean les Juifs qui disent à Jésus : « si tu es le Messie, dis-le nous ouvertement ! » (Jn 10, 24), étant supposé que s’il le disait ouvertement, ils l’écouteraient, ils le croiraient et ils le suivraient ! Il nous faut méditer la réponse de Jésus : « je vous l’ai dit et vous ne croyez pas. » (Jn 10, 25) Qu’est-ce qu’il a dit ? « Ce sont les œuvres que je fais au nom de mon Père, voilà qui me rend témoignage » (Jn 10, 25) Ils n’ont pas cru à sa parole, mais ils n’ont pas cru davantage à ses œuvres. Le témoignage que nous sommes tous invités à rendre dans le monde qui est le nôtre, n’est pas une désignation simple et claire de quelques phrases qui permettraient d’adhérer au Christ, c’est d’abord de poursuivre l’œuvre qu’il a accomplie au nom du Père. C’est par les œuvres de Jésus que sa parole prend sens, c’est par les œuvres que nous sommes invités à conduire, que l’annonce du Christ prend un sens. Combien de femmes en passant ici dans le dépôt de la Préfecture n’ont pas forcément entendu explicitement le nom de Jésus, ou combien, si ce nom a été prononcé devant elles, ne l’ont pas retenu et n’ont pas cru que c’était un nom important pour elles ? Mais ce qu’elles ont vu, c’était l’œuvre qui s’accomplissait à leur profit, ce sont les signes de respect, d’écoute et d’amour qui leur étaient donnés au nom du Christ par les sœurs qui les accueillaient.
Le témoignage que nous devons rendre au Christ, c’est le témoignage de notre vie. C’est pourquoi il est tellement important que les chrétiens en général, les religieux en particulier, soient réellement présents à la vie des hommes, non pas simplement, ni premièrement pour annoncer à grand renfort de son de trompes qu’ils sont chrétiens, mais pour le manifester à travers leur manière d’être, leur manière d’entrer en relation avec les autres, leur manière de mettre en pratique le commandement de l’amour.
La présence qui va se poursuivre au cœur du dépôt de la Préfecture n’a pas d’autre but que d’apporter ce signe concret, simple et intelligible par tous que des femmes acceptent de passer un temps relativement important de leur vie, enfermées dans ces lieux, simplement pour être au service de celles qui sont contraintes d’y venir.
Nous prierons particulièrement pour cette nouvelle étape de la présence chrétienne au cœur du dépôt, pour toutes celles qui ont commencé à s’y préparer et qui vont la mettre en pratique, pour celles qui peuvent encore y réfléchir, pour celles que nous pouvons inviter à se joindre à cette équipe, de façon que là où personne ne vient de son plein gré, nous donnions ce témoignage gratuit de quelqu’un qui vient de son plein gré par amour pour les autres. Nous prierons pour les missions futures des sœurs qui vont quitter le dépôt pour la communauté des Sœurs de Marie Joseph et nous demanderons au Seigneur que leur témoignage porte du fruit. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.