Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Diaconia 2013
Lourdes, 11 mai 2013
Messe d’action de grâce et d’envoi du Rassemblement Diaconia 2013 à Lourdes
– Ac 18, 23-28 ; Ps 46, 2-3 8-10 ; Jn 16, 23-28
Frères et Sœurs, par sa mort et sa résurrection, par son ascension, Jésus est passé de ce monde au Père. Et avant de quitter ses disciples, il a voulu leur donner un certain nombre d’indications sur la manière de vivre après son départ, quand il ne serait plus physiquement au milieu d’eux. C’est aussi le temps que nous vivons, nous, aujourd’hui, disciples du Seigneur, qui n’avons plus la présence visible de Jésus au milieu de nous. Nous avons célébré avant-hier la fête de son Ascension et nous attendons dans l’espérance la venue de son Esprit Saint le jour de la Pentecôte. Mais pour préparer ses disciples à ce temps nouveau qui est le dernier -il n’y aura plus d’autre étape après- Jésus leur donne une mission, il leur donne une promesse, il leur donne un chemin.
La mission : être ses témoins parmi les hommes. Être les témoins de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont vécu avec lui, ils ont été les témoins de sa mort et de sa résurrection. Et à travers ce témoignage rendu à la vie de Jésus, ils sont appelés à annoncer la nouvelle extraordinaire dont Jésus a été le messager et l’acteur : Dieu a aimé le monde, Dieu aime les hommes, Dieu est un Père.
Cette nouvelle extraordinaire consiste en ce que Dieu connaît chacun et chacune d’entre nous, il connaît non seulement nos apparences comme tout le monde, il nous voit, il nous entend, mais plus profondément il connaît le cœur de chacun d’entre nous. Il sait ce qu’il y a dans l’homme, et pas seulement dans l’homme en général, mais dans chaque homme et dans chaque femme de notre monde, Dieu connaît la liberté de son cœur et la manière dont chacun essaye de faire face aux difficultés de la vie. Et Dieu n’est pas seulement celui qui connaît notre vie, mais il est surtout celui qui accompagne notre vie, celui qui nous tient par la main et qui nous conduit avec amour et patience. C’est de cela que nous, témoins du Christ, fortifiés par l’Esprit Saint, nous sommes appelés à rendre témoignage.
Devant aucun homme, devant aucune femme, devant aucune existence, devant aucune blessure de la vie, nous n’avons le droit de détourner les yeux, nous n’avons le droit de désespérer. Nous sommes témoins de celui qui ne désespère jamais, non pas parce qu’il nous croit très fort, mais parce qu’il sait, il nous tient dans sa main et nous garde sur son cœur.
Cette mission, Jésus sait bien, et les disciples savent bien eux aussi, que nous n’avons pas par nous-mêmes la force de l’assumer. C’est pourquoi cette mission est assortie d’une promesse, la promesse de l’envoi de l’Esprit Saint, cet Esprit du Christ qui vient habiter le cœur des croyants et qui fait d’eux la demeure de Dieu parmi les hommes, cet Esprit du Christ qui les conduit vers la vérité toute entière, c’est-à-dire, qui les mène au-delà des apparences, au-delà des catégories sociales, au-delà des misères de chacune de leurs vies, pour éclairer d’un jour nouveau la richesse de leur cœur.
Cet Esprit Saint, qui est la force de Dieu lui-même, est capable de reprendre notre existence au creux de sa faiblesse, capable de surmonter notre désir de ne nous occuper que de nous-mêmes, capable de briser notre indifférence et notre égoïsme, capable de construire dans notre vie une existence de frère et de sœur, capable de nous faire entrer dans la famille de Dieu. Cette promesse du Christ s’est accomplie pour les douze qu’il avait choisis et entrainés avec lui au jour de la Pentecôte. Elle s’est accomplie pour ceux qui ont reçu le baptême dans l’Eglise par le don de l’Esprit Saint, elle s’est accomplie pour ceux qui ont été confirmés et fortifiés dans ce baptême par le sacrement de la confirmation. Elle s’est accomplie pour ceux que Dieu consacre à son service dans les ordres : évêques, prêtres et diacres. Elle s’accomplit pour chacun de ceux qui essayent de suivre fidèlement le Christ parce que leur vie est consacrée par l’Esprit pour devenir signe de l’amour vivant de Dieu dans ce monde.
Une mission, une promesse, une mission confiée, une promesse accomplie et un chemin. Vous vous rappelez -comment l’oublier à Lourdes- quand l’Esprit Saint est descendu sur la Vierge Marie et que l’ange lui a dit qu’elle deviendrait la mère du Sauveur, elle a dit : « comment cela se fera-t-il ? ». Et nous, qui marchons à la suite du Christ avec nos lourdeurs, nos faiblesses, nos péchés, nos misères, nos pauvretés, nous aussi, nous nous demandons comment cela se fera-t-il ? Comment Dieu peut-il faire surgir des hommes et des femmes d’amour à partir de nos cœurs de pierre ? Quel est le chemin par lequel il peut nous conduire à devenir vraiment témoins de l’amour de Dieu pour tous les hommes ? Ce chemin Jésus nous l’a indiqué à plusieurs reprises dans son évangile : garder sa parole. Evidemment on n’a pas tous la même mémoire, il y en a qui ont plus de mémoire que d’autres et on a tous une mémoire sélective, mais Dieu ne nous demande pas d’être des encyclopédies vivantes, il ne nous demande pas d’être des bibles ambulantes, il nous demande de garder sa parole c’est-à-dire de garder vivante dans notre cœur la parole qu’il y a inscrite et qu’il y inscrit jour après jour. Nous n’avons pas besoin d’une mémoire exceptionnelle de surhomme, nous connaissons suffisamment de paroles de l’évangile pour conduire notre vie et je dirais même que nous avons de la marge. En effet, aimer ses ennemis, cela prend du temps, nous aimer les uns les autres, cela demande un effort et nous aimer comme Jésus lui-même nous a aimés, jusqu’au point de donner sa vie pour nous, cela demande toute une existence avant d’y arriver. Mais soyez tranquilles, nous y arriverons tous. Nous arriverons tous à perdre notre vie ! Mais la question, c’est de savoir si nous arriverons à la donner. Parce que pour la perdre, cela ne dépend pas de nous ! Mais pour la donner, cela dépend de nous.
Voilà le chemin dans lequel le Christ nous appelle à marcher, et chaque fois que nous vivons un moment de communion plus intense avec lui, chaque fois que nous écoutons sa parole, que nous la méditons, que nous prions, même si notre prière est pauvre, chaque fois que nous vivons un moment de communion plus intense avec nos frères comme nous le faisons en ce moment à Lourdes, comme nous pouvons le faire et comme nous sommes invités à le faire chaque dimanche dans notre paroisse, chaque fois que l’eucharistie nous rassemble comme le corps du Christ, il nous envoie pour devenir ses témoins avec la force de l’Esprit.
Celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas mais qui n’aime pas son frère qu’il voit, est un menteur dit saint Jean. Celui qui essaye de croire au Christ ressuscité, de communier à son corps et à son sang mais qui se refuse à entrer en communion avec ses frères est un menteur. Et cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à écouter la parole du Christ et à recevoir le corps du Christ pour nous mettre en vérité. Cela veut dire qu’il faut changer notre vie pour nous mettre en vérité et ne plus être des menteurs. Alors si nous avons vécu, et je crois que nous avons vécu ces jours-ci, ici, un temps de communion particulièrement fort, si ceux qui sont les plus faibles d’entre nous, ceux qui ont été affligés par la vie, ceux dont le corps est marqué par la souffrance, ceux dont le cœur est habité par la souffrance qui ne se voit pas, ont pu trouver leur place au milieu de nous et ouvrir leur expérience pour la partager avec tous, ce que nous avons vécu ici à Lourdes peut devenir un nouveau départ pour vivre de façon renouvelée la charité dans nos communautés.
Frères et sœurs, les Actes des apôtres nous disent que les douze étaient réunis dans la chambre haute avec Marie, la mère de Jésus, qu’ils étaient en prière quand l’Esprit Saint est venu sur eux. Alors ce matin, fermons un instant les yeux et contemplons cette Eglise rassemblée dans la prière avec Marie en son centre et qui implore la venue de l’Esprit Saint pour que toute notre vie soit renouvelée et ouverte à l’amour. Tous ensemble, du fond du cœur, nous prions les uns pour les autres, pour que nous soyons à notre tour comblés de la joie du Christ. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois
archevêque de Paris