Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame - Solennité du St Sacrement du Corps et du Sang du Christ – Année C

Dimanche 2 juin 2013 - Notre-Dame de Paris

En célébrant la fête du Corps du Christ, la fête du Saint Sacrement, nous posons un triple acte de foi, c’est Dieu qui nous sauve, il nous sauve aujourd’hui dans la personne du Christ ressuscité présent réellement dans l’eucharistie, il fait de nous des témoins de ce Salut pour l’espérance des hommes.

 Gn 14, 18-20 ; Ps 109, 1-4 ; 1 Co 11, 23-26 ; Lc 9, 11b-17

Frères et Sœurs,

Cette foule rassemblée dans le désert, où elle entendait Jésus annoncer le Royaume, évoque évidemment, dans l’évangile de Luc, l’humanité affamée et égarée dans des lieux, où rien ne peut satisfaire ses besoins et en tout cas, rien ne peut être proposé pour la nourrir. Ces déserts de l’humanité qui sont des déserts de la faim, dont nous avons si souvent entendu parler mais qui continuent d’exercer leur ravage, ce sont les déserts de la maladie, des pandémies, ce sont les déserts du désespoir, de la perte de confiance, ce sont les déserts de la violence, de la haine répandue dans le cœur des hommes. Face à cette multitude d’hommes et de femmes qui peuplent ces déserts d’aujourd’hui, nous pouvons être tentés comme les disciples, de nous tourner vers le Seigneur pour lui dire : « renvoie cette foule, pour qu’elle aille dans les villages et les fermes trouver de quoi manger » (Lc 9, 12). Ils n’avaient pas de solution pour la nourrir, ils n’avaient pas de solution pour la guérir, ils n’avaient pas de solution pour apaiser ses souffrances, ils n’avaient pas d’autre solution que de les renvoyer ailleurs. Et vous avez entendu la réponse du Christ : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Lc 9, 13).

La mission que Jésus confie à ses disciples à cet instant est une mission capitale. Il leur dit : ne vous débarrassez pas des problèmes des hommes ! Acceptez-les et résolvez-les ! Ne croyez pas qu’ils trouveront ailleurs les solutions que vous n’avez pas. Ne les envoyez pas vers l’inconnu pour qu’ils trouvent à manger, à se soigner, à se guérir, à s’apaiser ou simplement pour trouver la paix. « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Et cette mission, il nous la confie à nous aujourd’hui, son Église. Il nous envoie nous aussi, non pas pour nous débarrasser des difficultés auxquelles les hommes sont confrontés, en les envoyant à des spécialistes qui pourront résoudre leurs questions, mais pour que nous acceptions, au minimum si nous n’avons pas de solution, de partager leur souffrance, de porter avec eux la difficulté de leur vie.

Mais évidemment nous constatons très vite, et c’est sans doute ce qui alimente en nous le sentiment de notre impuissance, l’écart considérable entre les besoins des hommes et les moyens dont nous disposons. Les disciples avec leurs cinq pains et leurs deux poissons n’ont pas beaucoup de chance non plus de nourrir une foule de 5000 hommes ! Evidemment cette disproportion quantitative de 5000 à cinq nous aide à comprendre ce que nous-mêmes nous éprouvons quand nous sommes confrontés aux difficultés de l’humanité. Nous voudrions, peut-être, venir en aide à nos contemporains, mais qu’est-ce que nous avons pour y parvenir ? De quelles forces disposons-nous ? Quelles solutions avons-nous la possibilité de mettre en œuvre ? Ne sommes-nous pas comme tout le monde, démunis devant tant de besoins et tant de pauvreté ? Et le récit de l’évangile de saint Luc nous fait découvrir que la véritable force des disciples ne réside pas dans les quelques pains ou les quelques poissons qu’ils peuvent rassembler, mais dans la puissance du Christ qui va partir de ces cinq pains et de ces deux poissons afin de produire une nourriture suffisante et même plus que suffisante pour la foule qui l’entoure.

C’est pourquoi, en ce jour de la fête du Saint Sacrement, la méditation de cette multiplication des pains nous invite à une démarche de foi. Démarche de foi pour reconnaître que le Sauveur du monde, le Sauveur des hommes, celui qui apporte vraiment le salut, celui qui apporte les solutions de la vie, c’est Dieu, ce n’est pas nous. Ce n’est pas parce que Dieu passe à travers nos petits moyens pour changer le monde que nous sommes devenus les sauveurs du monde. Le Sauveur du monde, c’est Dieu dans le Christ. Le Sauveur, celui qui dispose, non seulement de la nourriture, mais aussi de la santé, de la paix, de l’équilibre, d’une vie harmonieuse pour tous, ce n’est pas nous, c’est lui. Et c’est notre premier acte de foi en cette fête du Saint Sacrement de reconnaître que sans lui, nous ne pouvons pas changer le monde, mais qu’avec lui nous disposons d’une force capable de multiplier les moyens que nous avons pour faire quelque chose d’utile en ce monde.

Démarche de foi parce que celui en qui nous croyons comme le Sauveur du monde s’est rendu présent à l’humanité en instituant par l’eucharistie la possibilité de participer au don qu’il fait de sa vie pour la vie du monde. Quand il bénit le pain, quand il le partage à ses disciples, quand il bénit la coupe de vin et qu’il la leur donne à boire, il ouvre pour eux, la veille de son procès et de son exécution, un chemin qui leur permet de participer vraiment à sa mort et à sa résurrection. Et ce chemin ne s’arrête pas avec le jour où Jésus inaugure cette eucharistie, il se prolonge : « Faites ceci en mémoire de moi » (1 Co 11, 24). Comme saint Paul nous le dit dans l’épître aux Corinthiens, « chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26). Notre acte de foi c’est qu’aujourd’hui, dans le pain qui nous est proposé comme nourriture, c’est le Christ lui-même qui se donne à manger. Dans l’offrande que nous essayons de faire de nos pauvres forces, de nos pauvres efforts, de nos pauvres tentatives de conversion, c’est le Christ lui-même qui reprend tout cela et le transforme en force pour la vie du monde.

Démarche de foi parce qu’elle nous fait découvrir que lorsque nous participons à l’eucharistie, nous posons un acte qui nous engage à l’égard du monde entier. Quand nous recevons le pain consacré comme le Corps du Christ ressuscité, nous recevons évidemment une force pour nous-mêmes, mais nous recevons surtout une force pour aller à la rencontre de ces hommes et de ces femmes dont je disais tout à l’heure qu’ils étaient dans les déserts d’aujourd’hui. Celui qui vient participer à l’eucharistie en ressort avec un renouveau de l’amour du Christ répandu en lui et une volonté renouvelée de porter la bonne nouvelle à ses frères et de se mettre à leur service.

Ainsi en célébrant la fête du Corps du Christ, la fête du Saint Sacrement, nous posons ce triple acte de foi, c’est Dieu qui nous sauve, il nous sauve aujourd’hui dans la personne du Christ ressuscité présent réellement dans l’eucharistie, il fait de nous des témoins de ce Salut pour l’espérance des hommes.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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