Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Saint-Laurent - 10e dimanche du Temps ordinaire – Année C
Dimanche 9 juin 2013 - Saint-Laurent (Paris Xe)
L’évangile de la résurrection du fils de la veuve de Naïm par le Christ manifeste un triple mouvement de compassion, de proximité et de salut qui va marquer la mission de Jésus jusqu’à son offrande sur la Croix. Nous sommes associés à cette mission.
– 1 R 17, 17-24 ; Ps 29, 3-6.12-13 ; Ga 1, 11-19 ; Lc 7, 11-17
Frères et Sœurs,
Après les dimanches de la Pentecôte, de la Trinité et du Saint-Sacrement, qui étaient comme une sorte de clôture du temps pascal, nous entrons aujourd’hui dans le cycle des dimanches habituels de l’année en reprenant la lecture continue de l’évangile de saint Luc, qui nous conduira jusqu’au premier dimanche de l’Avent. Ce chapitre 7 de l’évangile de saint Luc se situe au début de la vie publique de Jésus. Juste avant cette rencontre avec l’enterrement du jeune homme, fils de la veuve de Naïm, Jésus a guéri l’esclave du centurion. Ces deux signes, la guérison de l’esclave du centurion et la résurrection du fils de l’aveugle de Naïm, sont évidemment destinés à nous donner une indication sur ce que va être le ministère public de Jésus, c’est-à-dire sa mission parmi les hommes. L’évangile nous donne tout de suite une clef pour comprendre cette mission, « un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple » (Lc 7, 16).
Pourquoi un « grand prophète » ? Tout simplement parce que Jésus vient de ressusciter ce jeune homme et que dans l’esprit des témoins qui l’entourent et connaissent très bien l’histoire biblique, quand ils le voient ressusciter le fils d’une veuve, ils pensent à la résurrection opérée par Elie au bénéfice de l’enfant de la veuve qui l’hébergeait. Et donc, puisqu’il fait la même chose qu’Elie, c’est qu’il est comme Elie. Et Elie est un grand prophète. Donc Jésus est un grand prophète, puisqu’il est aussi fort qu’Elie. Il est donc aussi envoyé par Dieu pour visiter son peuple, il est porte-parole de Dieu. Les témoins ne sont pas encore arrivés au moment où ils vont entendre, découvrir, et comprendre que Jésus n’est pas simplement un grand prophète, envoyé par Dieu pour visiter son peuple, mais qu’il est Dieu lui-même, venu habiter son peuple.
Voilà déjà un premier pas pour comprendre qui est Jésus et ce qu’il est venu faire. Quelle est cette visite de Jésus ? Quelle est cette visite de Dieu à son peuple ? C’est d’abord une façon d’exprimer comment Dieu s’intéresse à la vie des hommes. Évidemment, la scène à laquelle nous fait assister l’évangile de saint Luc est chargée de grande détresse, de grand malheur : une veuve, seule au monde, qui a pour seul soutien ce fils, et qui perd ce fils. Peut-il y avoir malheur plus grand ? Peut-il y avoir détresse plus profonde, chagrin plus triste ? A travers la mort de ce jeune, à travers le chagrin de sa mère, c’est la misère de l’humanité qui est rendue présente devant le Christ. N’oubliez pas, que ses disciples faisaient route avec lui. Donc Jésus et ses disciples sont confrontés par les hasards de la route à la misère de l’humanité. Et qu’est-ce que cette misère provoque ? Que met-elle en œuvre dans la conscience du Christ ? « En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle, et lui dit “ne pleure pas” » (Lc 7, 13). Devant la misère de l’humanité, le sentiment du cœur de Dieu, c’est d’éprouver de la pitié, de la tendresse, le désir de venir au secours des hommes. Nous le retrouverons à plusieurs reprises au cours de l’évangile de saint Luc, et notamment avec la parabole du bon samaritain, où l’évangéliste nous fera découvrir cet homme abandonné au bord du chemin, en train de perdre la vie. Le bon samaritain, ému de la misère de cet homme va s’approcher et prendre soin de lui.
Nous découvrons un triple mouvement. Dieu n’est pas insensible à ce qui arrive aux hommes, comme le Livre des Rois nous le rappelait, quand Elie prie le Seigneur, il lui dit « lui veux-tu du mal jusqu’à faire mourir son fils ? » Eh bien Dieu ne veut pas de mal à l’humanité, il veut le bien de l’humanité, il compatit aux souffrances de l’humanité. Mais cette compassion aux souffrances de l’humanité ne se limite pas à éprouver un bon sentiment. Il se fait proche, il vient habiter son peuple, il vient visiter son peuple, il vient partager sa misère, il vient prendre sur lui la misère de son peuple. Mais il ne vient pas seulement partager avec compassion la misère de son peuple, il vient opérer quelque chose pour l’aider à sortir de cette misère. « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi » (Lc 7, 14). Ce triple mouvement de compassion, de proximité et de salut va marquer tout l’itinéraire du Christ, jusqu’au moment où il donnera lui-même sa vie pour rendre la vie à l’humanité. A travers cette figure de la mission de Jésus qui commence à se dessiner, nous sommes invités à redécouvrir le projet de Dieu sur l’humanité, qui est un projet de vie. Dieu veut que l’homme vive, Dieu veut que l’humanité vive, Dieu met en œuvre toutes les ressources dont il dispose pour arracher l’humanité à la mort. Nous le voyons ici pour ce jeune homme, nous le verrons pour d’autres résurrections, Dieu met tout en œuvre pour arracher l’homme à la mort et pour le rendre à la vie.
C’est cette découverte qui ouvre le chemin de la mission publique de Jésus, et c’est pourquoi les témoins de ce miracle, de ce signe, de cet événement, rendent gloire à Dieu « un grand prophète s’est levé parmi nous, Dieu a visité son peuple » (Lc 7, 16). Ils nous donnent ainsi une indication sur la manière dont nous allons poursuivre cette lecture de l’évangile de saint Luc, en continuant d’accompagner le Christ dans sa mission et en découvrant ce que cela signifie que « Dieu a visité son peuple ».
Mais dès aujourd’hui, à l’entrée de ce ministère public du Christ, le regard que nous sommes appelés à porter sur le chemin où Jésus nous entraîne, est un regard d’espérance. Dieu veut la vie des hommes, Dieu met en œuvre tous les moyens possibles pour arracher l’homme à la mort, il nous a arrachés à la mort par le baptême en nous faisant lever d’entre les morts, il nous associe à sa mission pour venir au secours de l’humanité, il fait de nous des témoins de la vie.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.