Les pères se mettent en marche
Paris Notre-Dame du 6 mai 2010
Depuis quelques années, les temps spirituels pour les pères de famille
se multiplient dans les paroisses parisiennes. Que viennent-ils y chercher ? À l’occasion de la journée père-fils organisée samedi 8 mai par la paroisse St-François-Xavier (7e), coup de projecteur sur une pastorale en plein boom.
Olivier Valentin, paroissien de St-Léon (15e), se souvient de l’exclamation de cette joggeuse croisée en forêt de Compiègne, à la vue de son groupe de soixante marcheurs : « Mais il n’y a que des hommes ! » Le 29 mai, ce jeune papa de 35 ans invite d’ailleurs tous ceux de sa paroisse à la troisième édition du « pèlerinage des pères de famille ». Douze kilomètres en forêt de Rambouillet sur le thème « la joie de l’éducateur », pour une journée en pleine nature : Olivier Valentin rappelle le besoin qu’ont les pères, « pris dans la vie parisienne qui va à toute vitesse », de s’aérer. Se retrouver ensemble pour échanger sur les expériences et s’enrichir mutuellement, « c’est bien le cœur de la proposition », indique le P. Bruno Lefèvre Pontalis, curé de St-Léon, et accompagnateur du pèlerinage.
Il y a peu, une telle initiative serait apparue comme un ovni. Mais depuis quelques années, les activités spirituelles destinées aux pères se multiplient dans le diocèse. Et le succès est au rendez-vous : à Vézelay, pour la quatrième édition en juillet dernier, quatre cent cinquante papas – parisiens pour la plupart – convergeaient vers le sanctuaire. Au menu : marche, thème de réflexion, temps de partage et de prière. Toutes ces initiatives ont pour origine le pèlerinage de Cotignac. Depuis plus de vingt-cinq ans, chaque premier week-end de juillet, huit cents hommes cheminent vers ce lieu d’apparition de saint Joseph. Devant un tel succès, les organisateurs ont encouragé un groupe de pères parisiens à monter un pèlerinage vers Vézelay.
Une forte demande de fraternité
« Notre approche est la même qu’à Cotignac, explique Matthieu Brisset, paroissien de N.-D. de l’Assomption (16e) et membre de l’équipe d’organisation : même démarche de chapitres autonomes convergeant vers un lieu de pèlerinage, même date, même thème de prière et de réflexion. » La proposition semble fonctionner puisque depuis 2006, ils sont passés de dix-huit à soixante-dix marcheurs. « Au bout de plusieurs kilomètres, les masques tombent. » Matthieu Brisset se souvient par exemple avoir échangé avec un papa en doute sur sa vie professionnelle, avec un autre sur ses difficultés avec un fils adolescent, et avoir entendu un témoignage de foi touchant. Autant de confidences qui « prennent aux tripes et m’ont beaucoup humanisé », confie ce père de 38 ans. Des moments qui ont également créé des relations fraternelles. Dans sa paroisse, un pèlerin dont la femme avait de gros problèmes de santé a reçu plusieurs courriels d’autres participants.
C’est justement pour créer du lien que St-François-Xavier (7e), depuis le début de l’année scolaire, a organisé plusieurs soirées sur la mission du père, auxquelles sont invités les participants au pèlerinage de Vézelay. Lors de la dernière rencontre, une conseillère conjugale est venue leur exposer ce qu’une mère de famille attend d’un père. « On découvre vraiment notre rôle de père et son importance, confie Laurent Glaenzer, 47 ans et fidèle participant. Longtemps, on a voulu gommer la différence entre l’homme et la femme, et du coup, notre mission propre. » Dans ce groupe, pas de tabou : on parle des questions d’autorité, des activités positives pour la famille. « On échange les recettes qui fonctionnent et les erreurs à éviter. On apprend les uns des autres », conclut Laurent Glaenzer.
Renvoyer les pères au cercle familial
La toute dernière proposition de St-François-Xavier, une journée
« père-fils », vise le même objectif : aider les hommes à trouver leur équilibre. Ainsi, samedi 8 mai, tous les papas sont invités avec leurs fils à « un temps privilégié d’échanges et de détente », indique le P. Jean-Philippe Fabre, vicaire de la paroisse, à l’origine de la proposition. Une idée qui lui est venue de son expérience de préparation au mariage. « Les jeunes filles sont prêtes à devenir mères, mais les jeunes hommes ont plus de mal à s’engager et à se projeter dans le rôle de père, indique-t-il. Il faut donc veiller à mieux le transmettre, et d’abord aux fils eux-mêmes. » Cette journée est aussi un moyen de « rester ouvert sur le cercle familial », note le P. Fabre, qui veille à ne pas transformer les soirées des pères en « club pour machos ». Laurent Glaenzer confirme : « C’est important de se retrouver, mais nous devons toujours utiliser ces moments pour nourrir notre vie de famille. » Il a d’ailleurs prévu de terminer le prochain pèlerinage de Vézelay par une activité familiale : les épouses et les enfants rejoindront les pères pour une journée de canoë. • Anna Latron
TROIS QUESTIONS AU… P. Christian Lancrey-Javal, curé de St-Louis d’Antin (9e)
P. N.-D. : Vous intervenez le 6 mai au Collège des Bernardins sur le thème « Être père et chef de famille ». D’où vient, selon vous, la multiplication des propositions pour les pères de famille ?
C. L.-J. – On assiste à une interrogation très positive sur la paternité et sur la masculinité, en réaction à l’idéologie dite du « gender » qui tend à gommer la différence des sexes et à en faire un phénomène culturel et contestable. Aujourd’hui, les hommes ont besoin de re-découvrir qui ils sont pour assumer leurs responsabilités de pères. Ces groupes, ces pèlerinages, sont donc une preuve que dans notre société, il y a une réaction de bon sens face au flou ambiant.
Les pères seraient-ils un peu « perdus » ?
C. L.-J. – Forcément, car on ne naît pas père, on naît fils ! C’est moins dans la relation à son propre père qu’à notre unique Père qui est aux cieux que les hommes découvrent et assument cette responsabilité. Dans la Bible, Abraham devient pleinement père quand il obéit à Dieu et qu’il est prêt à sacrifier son fils. C’est dans ce passage de l’Ecriture (Gn 22) qu’un fils (Isaac) s’adresse pour la première fois à un autre homme (Abraham) en l’appelant « mon père ! » Paradoxalement, Abraham devient père au moment où il accepte, par amour, d’y renoncer.
Quelle autre figure peut servir de modèle aux pères chrétiens ?
C. L.-J. – Dans l’Évangile, il y a bien sûr Joseph. Une figure qui peut être embarrassante car sa paternité n’est pas biologique. Aujourd’hui, on insiste avec raison sur le rôle du père dans la structuration psychologique de l’enfant. N’imaginons pas que ce soit hors de portée : Joseph est le serviteur fidèle, qui accomplit sa mission, dans la fidélité à ceux qui l’ont précédé : « Tu garderas ces enseignements et tu les transmettras à tes fils. » On est bien dans la paternité incarnée par saint Joseph : une présence bienveillante, protectrice, et fidèle. • Propos recueillis par A. L.