À Lourdes, les évêques unis pour la mission
Paris Notre-Dame du 14 novembre 2024
Du 5 au 10 novembre, les évêques de France se sont réunis à Lourdes (Hautes-Pyrénées) pour leur traditionnelle assemblée plénière d’automne. Une rencontre riche au vu de la diversité des sujets travaillés sur lesquels revient Mgr Emmanuel Tois, évêque auxiliaire de Paris. Entretien.
Paris Notre-Dame – Quelle est votre impression générale sur cette assemblée plénière et quels en ont été les moments forts ?
Mgr Emmanuel Tois – Je reviens marqué par la grande fraternité vécue à Lourdes. Même s’il y a toujours confrontation des points de vue – aucun sujet ne peut faire l’unanimité –, l’ambiance était sereine. Ce n’était que ma troisième assemblée mais les évêques plus anciens se réjouissent du climat apaisé que les sujets des années passées rendaient impossible. La contribution fidèle et régulière de nos frères orthodoxes et protestants est également à souligner, avec la présence du métropolite Dimitrios, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, et du pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France. Un autre moment fort a été, pour moi qui suis d’une génération où les différents mouvements scouts étaient en opposition, parfois ouverte, l’intervention commune, à leur initiative, des trois principaux mouvements français. Mais le moment qui m’a le plus marqué reste l’ouverture de notre assemblée en présence du patriarche gréco-catholique d’Ukraine, Mgr Sviatoslav Shevchuk, d’une impressionnante solidité spirituelle. Enraciné dans sa foi, il nous a témoigné de la nécessité de résister sans être agressif. Au moment de partir, il a offert à la présidence le morceau d’un drone intercepté alors qu’il s’apprêtait à s’écraser sur la cathédrale de Kiev, concluant simplement par un « Je suis vivant » d’une force inouïe. Il y a, dans ces quelques mots, une espérance complètement chrétienne. Même si nous suivons chacun la situation en Ukraine, la masse d’informations dans notre société est telle que, quelle que soit notre bonne volonté d’intégrer cette cause à notre prière, les événements peuvent parfois rester à une certaine distance. Le témoignage de Mgr Shevchuk a rendu la réalité de ce conflit très proche.
P. N.-D. – Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), a annoncé le report, à mars 2025, de la présentation du dispositif d’accompagnement et d’indemnisation des victimes majeures de violences sexuelles dans l’Église. De quelle manière le diocèse de Paris compte-t-il contribuer à l’élaboration de ce dispositif ?
E. T. – Sur les deux options proposées, un certain nombre de questions sont restées sans réponse. Nous avons donc convenu qu’il était plus sage de différer de quelques mois notre proposition pour lever les dernières incertitudes. L’attente sur le sujet est réelle et je comprends la déception de beaucoup. Mais je tiens à les assurer qu’il s’agit de notre part d’une volonté de faire au mieux. Le diocèse de Paris est d’ailleurs concerné par cette question. Du fait de la densité de notre population, nous avons traité plusieurs situations. Et nous avons témoigné durant cette assemblée des fruits de la mise en œuvre de la justice restaurative – comme cela se fait déjà pour les victimes mineures. Mais prenons garde à ne pas accompagner seulement les personnes victimes de sévices sexuels. Dans le cadre ecclésial, l’agression à caractère sexuel ou le viol sont, la plupart du temps, l’aboutissement d’un long processus abusif. Un clerc qui commet une agression a, très souvent, abusé au préalable de la confiance de sa victime et profité d’une relation de domination. Les abus d’autorité et de confiance et les violences sexuelles sont liés et doivent être traités ensemble.
P. N.-D. – Les évêques de France ont évoqué la mise en place de chartes. Que préconisent-elles et de quelle manière sont-elles amenées à être appliquées ?
E. T. – À la suite des recommandations de la Ciase, nous avons voté trois textes – sur la confession, l’accompagnement spirituel et l’accompagnement des prêtres – que chaque évêque est désormais amené à retranscrire selon les spécificités de son diocèse. La base de ces recommandations est la justesse de la distance et l’importance de fuir toute position de domination et de substitution à la liberté et aux décisions des fidèles. La majorité des clercs et accompagnateurs respectent déjà ces règles qui, en grande partie, tombent sous le sens mais il n’est parfois pas inutile de rappeler certaines évidences.
P. N.-D. – Des évêques ayant participé au Synode sur la synodalité sont revenus sur leur expérience. Que vous ont-ils partagé ?
E. T. – La question principale est : maintenant, que faisons-nous ? Cinq pistes qui me paraissent intéressantes ont été esquissées ; la première est la nécessité de soigner, à tous les étages, les processus de décision. Depuis quatre ans, les équipes du synode ont travaillé d’une manière prophétique en matière d’écoute de l’autre, de consultation et d’association de tous. Le deuxième point concerne le rapport homme-femme pour véritablement, sans idéologie, redonner dans l’Église une juste place aux femmes. Le troisième relève de la question des ministères et en particulier celui du prêtre et les spécificités qui lui incombent au service du peuple de Dieu. En quatrième lieu, nous sommes invités à repenser la signification d’être catholique aujourd’hui alors que nous devons apprendre à nous positionner en étant minoritaires et en n’ayant absolument plus aucune influence sur les processus de décision de l’État. Et le dernier point est d’avancer toujours plus dans l’œcuménisme, vers l’unité de l’Église autour de ce qui nous rassemble : la mission.
P. N.-D. – À la suite de cette assemblée, quels sont, selon vous, les défis prioritaires pour l’Église, en France et à Paris ?
E. T. – Le principal défi, qui a occupé plus d’un tiers de nos travaux, est vraiment la question de la mission. Nous sommes chargés d’annoncer la Bonne nouvelle à tous avec un positionnement nouveau qui, s’il nous a peut-être fait perdre de notre superbe, ne nous autorise ni à chercher à être dominant ni à réserver cette annonce à certains seulement. Alors que nous nous apprêtons, en 2025, à célébrer le 1 700e anniversaire du Concile de Nicée, nous sommes, au milieu du monde, détenteurs d’un trésor à partager : Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, Dieu s’est fait chair dans notre humanité pour la sauver tout entière et la délivrer de la mort. Ce défi de la mission n’est pas nouveau mais il est de plus en plus urgent à mesure que la sécularisation avance. La réouverture prochaine de Notre-Dame sera d’une grande aide. Si l’Église de France refuse de rendre payante l’entrée de ses édifices, c’est parce qu’elle ne veut justement pas distinguer les visiteurs des pèlerins, les incroyants des croyants. Nous ne pouvons pas décréter que certains ne seraient pas concernés par ce que nous célébrons dans nos églises.
Propos recueillis par Mathilde Rambaud
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