Adresse de la fédération de l’Église protestante unie de France, la pasteure Emmanuelle Seyboldt au synode de l’EPUdF
Autour du thème de l’hymne le Magnificat, la présidente de l’EPUdF a adressé le synode. « Le chrétien a vocation à être cet insensé qui voit toujours ce que les autres ne voient pas, comme Marie. Il a vocation à être toujours à la fois dans la louange et dans la lutte, dans la prière et dans l’action, dans la reconnaissance de ce que Dieu a déjà fait pour l’humanité et le combat pour que la justice triomphe. »
L’aujourd’hui de l’espérance
Depuis des jours et des semaines que je tourne ce message dans ma tête, ce sont toujours les mêmes mots qui me viennent, avec un entêtement surprenant : « Magnifique est le Seigneur » ! Chaque fois que j’ai voulu ordonner mes idées, faire des plans, petit 1, petit 2, petit 3… rien à faire, c’était toujours ce « Magnifique est le Seigneur » qui revenait.
J’ai essayé de résister, vraiment. J’ai protesté : si je me lance dans cette voie, qu’est-ce qu’ils vont penser ? Que je me prends pour Marie ? Ce n’est pas un peu ridicule ? Mais j’avais vraiment l’impression d’être Jonas qui tente par tous les moyens de tourner le dos à Ninive, et qui finit par y aller quand même. Et il a bien fallu que je me rende à l’évidence. « Magnifique est le Seigneur ! » c’est cela qu’il fallait que je vous dise aujourd’hui.
Le texte de l’évangile de Luc (1,46) est un peu plus complexe : « Mon âme exalte le Seigneur » [1] , « Je magnifie le Seigneur » [2] , « De tout mon être je veux dire la grandeur du Seigneur » [3] , « Oui, vraiment, le Seigneur est grand » [4] selon les versions. Mais sincèrement, ce qui me reste en mémoire, et peut-être à vous aussi, ce sont les paroles du cantique, « Magnifique est le Seigneur, tout mon cœur pour chanter Dieu, magnifique est le Seigneur, alléluia, alléluia ! »
La joie
Le chant de Marie s’ouvre sur la joie. Laurent Schlumberger avait terminé son message l’an dernier sur ce thème, et personnellement il m’a porté toute l’année. La joie a été présente pour moi de multiples manières :
– Joie des nombreuses rencontres que ce ministère m’a conduite à avoir. Dans les paroisses et les Églises locales, les conseils régionaux, les réunions de toutes sortes, j’ai eu beaucoup de bonheur à aller vous rendre visite quand cela a été possible dans mon emploi du temps.
– Joie des correspondances, par téléphone, mail ou « courrier papier » ! J’ai été touchée de tous vos messages de soutien, d’amitié, d’encouragement. J’ai été touchée également des messages d’inquiétude, de désarroi, de découragement ou de colère que j’ai pu recevoir aussi. Je vous dis ici ma reconnaissance parce que ces courriers témoignent de votre confiance.
– Joie du travail à accomplir avec des équipes très engagées. Que ce soient les membres du Conseil national, qui ont reçu sans rechigner une bonne centaine de pages à lire avant chaque réunion (et parfois beaucoup plus), et pas toujours très longtemps à l’avance, ou l’équipe de la rue de Clichy qui a dû s’habituer à de nouvelles manières de faire, chacun s’est impliqué dans le travail avec une bonne volonté et une envie de travailler ensemble tout à fait remarquable.
– Tout cela a été porté par une joie fondamentale : la paix que le Seigneur donne, véritable cadeau, havre de paix au cœur d’un agenda souvent ébouriffant, respiration calme au milieu des innombrables dossiers, socle inébranlable où l’on peut se réfugier quand le bateau tangue un peu trop fort.
La joie et la paix que Dieu seul donne. Magnifique est le Seigneur !
Dieu choisit ce qui est faible
Pourtant, quand Marie entonne « Magnifique est le Seigneur », elle n’a aucune raison « raisonnable » d’être dans la joie. Attention, je ne dis pas que ce n’est pas formidable de porter le Messie, de le mettre au monde… Sur le papier, oui, c’est formidable. Quelle chance ! Pourtant, dans la réalité, Marie va au-devant d’une situation très périlleuse où elle risque sa propre vie et où elle verra son fils aller vers la mort. Bien sûr, si elle fait abstraction de sa vie et qu’elle ne pense qu’au « monde » auquel Dieu donne son fils [5] , c’est une bonne nouvelle. Mais si elle pense deux minutes à sa situation, c’est beaucoup moins intéressant. L’évangéliste Luc ne dit pas qui a annoncé la chose à Joseph, par exemple…
Pourtant, Marie chante. Elle chante parce que contrairement à ce qu’on a pu dire sur elle (la pauvre, si elle savait tout ce qui a été écrit sur elle !), elle n’a strictement aucune qualité spéciale. Elle n’est pas particulièrement pieuse, elle n’est pas habitée d’un amour extraordinaire pour le Seigneur. Marie est une jeune femme comme toutes les autres. C’est justement pour cela qu’elle chante : parce que le Seigneur a posé les yeux sur elle, elle qui n’a rien de spécial. Là encore, les traductions sont diverses, toutefois l’idée principale est celle-ci : Marie se nomme elle-même servante, esclave, sans importance, humble.
De la même manière que Dieu a choisi le peuple d’Israël, il a choisi Marie. Les choix de Dieu sont bizarres aux yeux des hommes. D’aucuns diraient arbitraires.
Très certainement déraisonnables. Et cette manière de choisir me réjouit ! Nul besoin d’être sage, savante, intelligente, ou très douée pour être choisie par Dieu. Et pour les messieurs, c’est aussi valable en mettant les adjectifs au masculin.
Non seulement Marie n’a rien de remarquable, mais en plus elle est sans pouvoir, sans force, sans richesse. L’apôtre Paul aura de très belles phrases sur ce Dieu qui a choisi ce qui est faible dans le monde pour confondre les forts . Le cœur de l’Évangile se trouve là, dans ce renversement des valeurs. Dieu a choisi de venir au monde dans un petit enfant sans défense, né d’une femme ordinaire. Il mourra de manière infamante. Mais sa résurrection enracine au cœur du monde une espérance que rien ne peut enlever.
Comment, en Église, vivons-nous ce bouleversement des valeurs qui pousse à la louange ?
Ce qui est fort n’est pas à craindre et ce qui est faible est à soutenir. La parole du petit peut m’apporter beaucoup. Chacun est un trésor, un frère, une sœur. Celui qui a peu peut faire beaucoup, s’il l’offre. Celui qui a beaucoup peut tout perdre, s’il l’enterre…
Comment, en Église, résistons-nous à la force ? Comment résistons-nous aux comportements séducteurs ? Comment résistons-nous à l’attrait de ce qui brille, aux sirènes de la popularité, au goût du pouvoir ? Comment sommes-nous attentifs aux plus petits, à ceux qui ne sont pas charmants, à ceux qui dérangent notre tranquillité ? Comment résistons-nous à la peur et à la haine, au mal sous toutes ses formes ?
Comment nous alertons-nous mutuellement sur les dangers du racisme ? Comment restons-nous éveillés pour la protection des pauvres, des exclus, des personnes sans abri, des étrangers, des exilés ?
L’Évangile nous conduit à reconnaître le Christ parmi ces plus petits qui sont nos frères et sœurs.
Magnifique est le Seigneur, qui me donne à voir le monde au-delà des apparences ! Cela est vrai pour la manière de vivre dans la société, mais aussi en Église.
Dans l’Église, riche ou pauvre, homme ou femme, enfant ou vieillard, chacun a une place de même importance. Il n’y a pas les fauteuils de luxe et les strapontins du 4ème balcon. Il n’y a pas d’un côté ceux que la glorieuse histoire de leurs ancêtres autorise à dire ce qu’est l’Église, et les nouveaux-venus qui n’auraient qu’à se taire et apprendre. Il n’y a pas non plus ceux qui manifestent une foi qui décoiffe et seraient les « vrais croyants » à l’inverse de ceux qui ne savent pas comment dire ce qui les porte.
Qui sommes-nous pour mesurer la foi des uns et des autres ? Savons-nous lire dans les cœurs ?
Dieu choisit ce qui est faible pour confondre les forts. [6]
Entendons-nous son appel ? Ce sera le centre de notre sujet synodal. Être Église ensemble, reconnaissant l’appel qui nous est adressé, et nous réjouissant des frères et sœurs ainsi donnés.
Une confiance incarnée
Mais allons juste un peu plus loin avec Marie. Sa soumission à la volonté de Dieu la conduit à porter le fils de Dieu. Son abandon à la volonté de Dieu a des effets très concrets pour elle, physiques. Mais n’est-ce pas toujours le cas ? L’exemple de Marie est unique, bien sûr, mais il met en lumière que la foi n’est pas seulement un point de vue, un avis, une opinion. La confiance en Dieu conduit la personne à changer de comportement, de manière d’être. La spiritualité ne peut qu’être incarnée, vécue dans la chair, dans et par le corps.
Nous, pasteurs, catéchètes, prédicateurs, conseillers presbytéraux, membres de l’Église, engagés dans telle ou telle communauté, œuvre ou mouvement… comment la confiance de Dieu en nous transforme-t-elle notre manière d’être, de vivre, dans et par notre corps ?
Le chrétien a vocation à être cet insensé qui voit ce que les autres ne voient pas.
Les sciences ont mis en lumière que le langage du corps apporte jusqu’à 60% du sens dans une communication.
En faisant une rapide recherche, j’ai découvert que je pouvais décrypter 101 gestes pour savoir ce que pense vraiment mon interlocuteur, apprendre 14 stratégies pour lire dans les pensées de mon voisin de train, ou recevoir 5 conseils pour séduire sans dire un mot. Tout cela est assez inquiétant, parce qu’il s’agit, ni plus ni moins, que de techniques de manipulation…
Plus sérieusement, ce que les sciences mettent en lumière, c’est l’impossibilité de séparer ce qui fait notre humanité : notre manière d’être est indissociable de ce que nous pensons et croyons. Croire et vivre, penser et faire, prier et agir pourrait-on dire aussi, tout est lié.
Pour le dire vite, « je crois comme je respire ». L’incarnation invite à la cohérence. Quand Marie dit oui à l’ange, elle se retrouve enceinte de ce « oui ».
Quand nous affirmons « Jésus Christ est le Seigneur », cette affirmation vient bouleverser notre vie toute entière, nos priorités, nos choix, notre manière d’être au monde.
Prenez une Église locale qui affirme que sa manière de comprendre l’Évangile la conduit à mettre l’accent sur l’accueil : si celui qui passe devant ce temple tous les jours pour aller au travail ne sait pas qu’il s’agit d’un lieu de culte et qu’il y serait éventuellement le bienvenu, il y a encore du travail !
Une foi incarnée, une spiritualité incarnée : la foi invite à la cohérence.
L’aujourd’hui de l’espérance
Magnifique est le Seigneur ! Que dit encore Marie dans son chant ? Que Dieu a « dispersé ceux qui ont des pensées orgueilleuses, renversé les puissants de leur trône, élevé les humbles, rassasié de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides » [7].
Un esprit irrévérencieux dirait que si on donne les biens des riches aux pauvres, alors les riches deviennent pauvres et les pauvres riches et il n’y a plus qu’à recommencer ! Cela n’a en rien résolu l’insupportable problème des inégalités.
Un esprit chagrin soutiendrait, lui, que Marie ment : les affamés ont toujours faim, les puissants sont toujours sur leur trône et les orgueilleux ne sont pas près d’acquérir la modestie.
Tout cela est la réalité. Les pauvres sont toujours là, les riches sont toujours plus riches et nous ne voyons pas poindre le début des signes précurseurs de l’avènement d’un monde plus juste.
Pourtant, Marie dit vrai aussi dans sa foi : en elle, grandit le Dieu qui s’est fait homme. Avec Jésus, le Christ, s’ouvre un monde nouveau.
L’espérance s’est enracinée dans ce monde. Même si nous n’en voyons pas les fruits, elle est là, présente. Invisible comme le sel dans la soupe, le levain dans la pâte, la graine de moutarde enfouie dans la terre.
Le chrétien a vocation à être cet insensé qui voit toujours ce que les autres ne voient pas, comme Marie. Il a vocation à être toujours à la fois dans la louange et dans la lutte, dans la prière et dans l’action, dans la reconnaissance de ce que Dieu a déjà fait pour l’humanité et le combat pour que la justice triomphe.
Pour reprendre le titre du très beau livre de Marion Muller-Colard [8] , le chrétien vit en « intranquillité ». Il sait que tout est donné, tout est grâce, il est en paix, et, en même temps, il se bat au quotidien pour gagner des micro-batailles pour la justice et la vie. Il sait qu’il peut dormir puisque le blé pousse tout seul, mais aussi que le Maître ne lui accorde pas de repos. Il sait que le Royaume est déjà présent, mais qu’il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour en témoigner.
Le tombeau est vide ! La résurrection ne vient pas nous rassasier, nous combler, nous permettre de dormir, repus. Elle vient creuser en nous un vide, une faim, un désir qui nous met en chemin. Voyez Marie, sitôt l’ange parti, elle se met en route pour aller voir Elisabeth. Et l’enfant naîtra aussi en chemin, loin de l’abri d’une maison chaleureuse. Jésus à son tour sera toujours en chemin, et les disciples avec lui, puis les apôtres. Que de kilomètres arpentés !
Et à l’origine, Abraham, le père des croyants, recevra ce titre de son obéissance à cet envoi de Dieu : « Pars, quitte ton pays, le lieu de tes origines et la maison de ton père, pour le pays que je te montrerai. [9] »
Le problème, avec le Dieu d’Abraham, c’est qu’il n’est pas un GPS très précis. Comme si pour lui, le chemin était plus intéressant que le but à atteindre. Ne s’amusera-t-il pas avec Moïse et son peuple, en les faisant tourner en rond 40 ans alors que 15 jours suffisent largement pour aller à pied, sans se presser, d’Egypte en Israël ? Parce qu’en effet, le but n’est pas important pour Dieu, seul compte l’aujourd’hui de l’espérance avec son peuple, et la confiance vécue.
Comment vivre cet aujourd’hui de l’espérance dans notre Église ?
S’attendre à Dieu
Elle est là, la question centrale de notre vie d’Église. Avons-nous le désir de voir notre espérance se réaliser ? Nous attendons-nous à Dieu ? Avons-nous le désir de voir la réalisation de ses promesses ?
On pourrait se dire : le désir, voilà bien quelque chose d’insaisissable et de dangereux ! Comment voulez-vous construire une stratégie sur le désir ? Mais justement, il ne s’agit pas de mettre en place des stratégies. Dieu n’est pas un grand stratège. Son idée d’incarnation, du point de vue stratégique, tient plutôt du fiasco. Son idée d’humanité d’ailleurs, soyons honnêtes, ce n’est pas fameux non plus !
Alors, dans notre vie et dans notre vie d’Église, nous attendons-nous à Dieu ? Sommes-nous assez éveillés pour discerner les traces de sa présence dans une assemblée vieillissante, des finances tristounettes et des bâtiments écrasants ? Sommes-nous disposés à nous laisser surprendre, là où rien n’est apparent ? Sommes-nous encore capables de sortir nos cinq ridicules pains, sans avoir peur de manquer, alors que c’est tout ce qu’il nous reste ?
Dans bien des lieux de notre Église, il ne reste que cela, cinq petits pains, même un peu secs. Mais de quoi nous plaignons-nous ? Dieu a toujours choisi ce qui est faible, depuis toujours et au mépris d’une logique stratégique. Vraiment, nous avons toutes nos chances ! Marie n’avait rien de remarquable et elle a été choisie pour porter l’espérance.
Je sais que certains sont fatigués, que beaucoup ne voient pas la relève arriver, que tous vous avez lancé le filet toute la nuit sans rien prendre. Et alors ? Vous poursuivez le travail lent et usant des disciples. Rien de nouveau sous le soleil.
Dans cette usure du quotidien, votre oreille est-elle encore attentive au passage silencieux du Seigneur ? Votre cœur peut-il encore brûler dans l’après-coup quand vous comprenez qu’il était là, présent dans cet instant où vous ne l’attendiez plus ?
Êtes-vous prêts à reconnaître sa voix quand il vous dira de relancer le filet de l’autre côté ?
Dans d’autres lieux de notre Église, la dynamique va vers la croissance, des personnes nouvelles franchissent le seuil. Les sarments portent des fruits, c’est un beau sujet de reconnaissance. Attention toutefois à prendre soin de ceux qui ne marchent pas vite et n’arrivent pas à suivre les autres.
L’Église a besoin de tous. C’est comme un choral de Bach : enlevez une voix, n’importe laquelle, elle manque cruellement. Chaque voix séparément est intéressante, c’est vrai, mais pourtant c’est ensemble que les différentes parties délivrent cette harmonie parfaite : on ne peut rien ajouter ni retrancher. Il en va de même dans l’Église. Chacun a sa place. Il y est nécessaire pour que l’ensemble sonne juste.
Travailler la Bible jusqu’à ce qu’elle nous travaille
Alors comment garder confiance quand tout semble mort, et rester humble quand tout semble réussir ? Il y a un outil pour cela : la fréquentation des Écritures. Travaillons la Bible, pétrissons-la, jusqu’à ce qu’elle nous nourrisse. Rendons les Écritures vivantes en nous, réveillons ces textes anciens, soyons des lecteurs et auditeurs familiers, des débatteurs passionnés des Écritures, pour avoir une chance de faire comme Marie : faire nôtres des mots anciens et démodés pour dire l’espérance qui a pris corps dans notre vie.
Parce que, bien sûr, les mots de Marie ne sont pas les siens. Elle n’a rien inventé, elle ne dit rien d’authentique, elle ne fait que reprendre ce qu’ont dit avant elle les prophètes et les auteurs des psaumes. Si vous ouvrez une Bible avec des notes assez développées, vous découvrirez que Marie cite les psaumes 9, 13, 24, 25, 27, 31, 34… Ce serait peut-être plus court de dire quel psaume elle ne cite pas ! Et aussi les prophètes Michée, Ézéchiel, Ésaïe… J’arrête là, ça devient fastidieux.
Heureusement qu’à l’époque, la réglementation sur les droits d’auteurs n’existait pas. On aurait accusé Marie de plagiat, et d’autres avec elle !
Dieu fait route avec les hommes et les femmes, comme il l’avait promis à nos pères, depuis Abraham. La Bible en témoigne. Les livres bibliques sont en débat entre eux, ils se répondent et s’interpellent. Ils attendent que le lecteur se saisisse d’eux pour leur poser à leur tour ses propres questions.
Dans la lecture et l’interpellation régulière du texte, le lecteur découvre ceux qui l’ont précédé, Abraham et sa descendance, et il s’inscrit dans ces générations que Marie annonce. Il prend tout simplement sa place dans la nuée des témoins. Il découvre l’étonnant travail de l’Esprit et sa présence au milieu de nous.
C’est pourquoi au milieu du synode, un temps particulier sera donné au lancement officiel de la dynamique Lire la Bible.
Le renouvellement de la lecture de la Bible dans l’Église protestante unie est essentiel pour sa santé spirituelle.
Parmi la nuée de témoins
Je parlais de témoins. Parmi ces témoins, l’année dernière, nous nous sommes souvenus de Martin Luther et de son intuition, fondatrice des Églises de la Réforme : l’Évangile est grâce ! Ce jubilé a permis à chaque Église locale de se saisir à nouveaux frais de cette conviction fondamentale et de la redire avec ses propres mots.
En 2018, les Églises commémorent l’assassinat de Martin Luther King. 50 ans déjà. Ces anniversaires, faut-il le rappeler, n’ont pas grand sens s’ils tournent nos regards vers le passé et fabriquent des idoles, bien loin de l’humanité de témoin. Ils sont même contreproductifs s’ils alimentent nos lamentations sur « la faiblesse de la théologie aujourd’hui » (avec des guillemets !).
Sans doute, il est bon de se secouer, de s’interpeller mutuellement sur notre manière de dire et de vivre l’espérance aujourd’hui. Il est bon de nous provoquer les uns les autres au témoignage. Nos concitoyens, hier comme aujourd’hui, ont besoin de l’Évangile.
Ces anniversaires viennent nous rappeler que chaque époque a vu se lever des témoins de l’espérance. L’Esprit a conduit des hommes et des femmes à prendre la parole, à se dresser, à voir dans un monde sans issue les traces de la présence de Dieu.
La foi des témoins dit bien l’aujourd’hui de l’espérance : « Avec cette foi, disait Martin Luther King, nous serons capables de faire de ces montagnes du désespoir des pierres d’espérance ». Comme Marie annonçant la chute des puissants.
Des défis anciens et nouveaux
Aujourd’hui, se dressent à nouveau des montagnes de désespoir. Elles sont à la fois semblables et nouvelles. Semblables tout d’abord : la peur de l’autre, la haine de l’autre, l’illusion de se protéger en s’enfermant, la volonté de garder pour soi, ces mécanismes conduisent le monde depuis toujours.
On pensait que le racisme était périmé, que l’antisémitisme avait sa place au musée des idées archaïques. Il n’en est rien. Comme un virus, il mute régulièrement pour se présenter sous une nouvelle apparence, parfois très séduisante. Ne nous laissons pas endormir. Tout discours qui dénonce le mal en désignant des coupables aggrave encore le malheur.
Contre la peur de l’étranger et la tentation de l’extrémisme, les Églises et les communautés, œuvres et mouvements, poursuivent leur engagement. Il faut qu’elles l’intensifient. Aujourd’hui, notre responsabilité d’Église est de dire non à la déshumanisation des personnes migrantes. Ces hommes, ces femmes, ces enfants, ce sont d’autres nous-mêmes. Leur vie n’a pas moins de valeur que la nôtre. Nous sommes responsables de nos frères et sœurs en humanité.
La nouvelle montagne de désespoir, c’est la lutte contre le changement climatique et la protection de notre système écologique. Ce n’est pas nouveau puisque le Conseil œcuménique des Églises en faisait sa priorité de réflexion il y a 40 ans. C’est nouveau au regard de l’histoire de l’humanité.
On pourrait allonger la liste, ou plutôt décrire plus largement ces montagnes de désespoir présentées par Martin Luther King. Cette liste serait forcément incomplète et tout à fait désespérante.
Comment l’Esprit est-il à l’œuvre au cœur du monde pour le réinventer ? De multiples manières, par d’innombrables témoins qui prennent la parole pour dire :
« Magnifique est le Seigneur. Tout mon cœur pour chanter Dieu ! »
À leur suite, à notre tour, prenons notre place dans le chœur des témoins.
Attendons-nous à Dieu : Il vient.
Emmanuelle Seyboldt – mai 2018
[1] Version Louis Segond, 1910 et version TOB 1988
[2] Version Nouvelle Bible Segond, 2002
[3] Bible en français courant, 1997
[4] Version Parole de vie, 2002
[5] Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique… Jean 3,16
[6] 1 Cor 1, 26-31
[7] Luc 1, 51-53
[8] Marion Muller-Colard, L’intranquillité, Bayard, 2016.
[9] Genèse 12,1