Août Secours Alimentaire, le marché estival des plus démunis
Paris Notre-Dame du 26 août 2010
Durant le mois d’août, les associations d’aide alimentaire aux démunis ferment. Août Secours Alimentaire (ASA) prend alors le relais, avec de plus en plus de repas distribués pour un budget pourtant très limité.
15h30. Autour de la table couverte de nourriture, au centre de la chapelle Ste-Geneviève de l’église St-Marcel (13e), ils tournent en rond. Un sac plastique à la main, ils passent devant la pile de boîtes de sardines et en glissent une, avancent jusqu’aux conserves de petits pois et en prennent une, puis arrivent au carton de pommes et en ajoutent une. A la fin de cette drôle de farandole, chaque colis paraît bien lourd : une entrée, un plat de résistance, un fruit, un dessert, du pain, du lait, des œufs, des biscuits et parfois même des bonbons. Avec ce système rodé, les volontaires venus prêter main-forte à l’association Août Secours Alimentaire (ASA) ont déjà constitué près de quatre cents repas qui seront distribués en fin d’après-midi. Durant le mois d’août, alors que les associations d’aide alimentaire ferment, cet organisme prend le relais avec son équipe très hétéroclite. « Pour tout le fonctionnement, nous nous appuyons sur des volontaires », explique Pierre Lanne, diacre du diocèse de Paris et président fondateur d’ASA. Ce sont à la fois des personnes qui viennent pour une heure ou une journée car elles ont le temps durant l’été, des dames âgées qui cherchent une activité l’après-midi, des bénévoles envoyés par une autre association, ou encore des travailleurs handicapés.
Ambiance joviale
16h10. La chef du centre, Muriel Brunel, 57 ans, fait la bise à Martine. Entre la première, présente depuis le premier repas distribué en 1994, et la seconde, qui passe son mois d’août entre les boîtes de conserve depuis six ans, une amitié est née. « L’ambiance est joyeuse, confirme Martine, 44 ans. J’ai connu la galère. Maintenant que je vais mieux, je veux redonner un peu de ce que j’ai reçu. » Dehors, une vingtaine de personnes attendent sur des chaises que les portes s’ouvrent pour « aller faire leurs courses ». 16h45. Pause cigarette pour Mickaël, 33 ans. Il a deux semaines de travaux d’intérêt général à faire. « J’avais le choix entre plusieurs lieux pour exécuter ma peine, et j’ai toujours voulu faire de l’humanitaire sans trouver le temps », avoue-t-il. Là, il se sent utile. Tout comme sa femme, Armelle, qui en a profité pour se joindre à lui. A la fin du mois, ils comptent même revenir en « vrais bénévoles ». A quelques mètres, dans une petite salle paroissiale, deux tables, une cafetière et des bouteilles de sirop constituent un bar improvisé. Les volontaires d’ASA partagent un biscuit et une boisson. Dans une heure, les lieux accueilleront les enfants pendant que leurs parents feront la queue pour retirer leur repas.
Précarisation croissante
17h30. Branle-bas de combat : dans la grande pièce, on réorganise le mobilier pour faire une sorte de comptoir, les bénévoles s’installant derrière. Les portes s’ouvrent et les quelque trente personnes qui attendaient sortent leur carton rose, ticket donné par les services sociaux indiquant le nombre de repas auquel elles ont droit. Une vieille dame aux multiples bijoux s’assoie en tendant son précieux papier. Pierrette s’extasie devant sa parure pendant qu’un de ses collègues complète le colis et apporte les victuailles. Cette année, plusieurs volontaires avouent être frappés par ceux qu’ils voient défiler : « Plusieurs ont un travail, mais n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Certains pourraient être mes voisins, des amis même », raconte l’un d’entre eux. Beaucoup de jeunes couples, plusieurs avec des enfants en bas âge, des familles… Pierre Lanne a discuté avec quelques mères : « Avec cette aide qui leur permet d’économiser sur la nourriture, elles peuvent enfin boucler leur budget pour assurer la rentrée et acheter des fournitures scolaires. » 19h : « J’ai rencontré une maman africaine à l’entrée qui me dit “Mais tu es en retard aujourd’hui” », raconte en riant Colette tout essoufflée, venue aider pour la soirée. Sur le parvis de l’église, elle a aussi croisé le P. Toni Drascek, vicaire de la paroisse. Du milieu de l’après midi au dernier visiteur, vers 20h30, il reste à l’entrée de son église, serrant les mains, saluant les arrivants et souriant aux gamins qui courent partout. « C’est important pour moi de les accueillir, insiste le prêtre en réajustant sa croix par-dessus une chemise bleu ciel. Ils ne viennent pas seulement remplir leur frigo, ils ont aussi besoin de sentir qu’on les reçoit comme des personnes à part entière, qu’on les reconnaît comme des êtres humains. » • Sophie Lebrun
DES BESOINS TOUJOURS PLUS GRANDS
En 1994, Août Secours Alimentaire a distribué 22 000 colis-repas. Après avoir dépassé les 100 000 trois ans plus tard, les 300 000 en 2005, c’est près de 550 000 qui ont été donnés cette année. La distribution, assurée par près de 300 bénévoles, s’est faite dans sept lieux dont cinq paroisses parisiennes : St-Jean-Baptiste de La Salle (15e), N.-D. de la Croix de Ménilmontant (20e), St-Marcel (13e), St-Bernard de la Chapelle (18e) et Ste-Marie des Batignolles (18e). • S.L.
« On voudrait ne jamais avoir connu un tel succès »
Paris Notre-Dame : Pourquoi avez-vous fondé Août Secours Alimentaire ?
Pierre Lanne : A l’époque, en 1994, j’étais délégué auprès de l’association Tibériade, qui s’occupe de séropositifs. En septembre, je voyais revenir des personnes affaiblies, mal en point, alors qu’elles étaient en meilleure forme au début de l’été. J’ai vite compris qu’elles avaient du mal à se nourrir pendant le mois d’août. Alors, à St-Lambert de Vaugirard (15e), avec une petite équipe, nous avons monté une opération en 1994. Cela s’est très vite inscrit sur le long terme.
P. N.-D. : Vous avez donc continué année après année ?
P. L. : Entre la première année, où nous avions distribué 22 000 repas et cet été, où nous sommes à 550 000 colis, on voit l’augmentation dramatique des besoins. On voudrait ne jamais avoir connu un tel succès ! Parallèlement, des personnes pour aider à faire les colis-repas et pour les donner se sont mobilisées à nos côtés. Mais boucler le budget est toujours très problématique.
P. N.-D. : Cette année, est-ce que vous vous en sortez financièrement ?
P. L. : Non. Il me faut 400 000 euros pour assurer l’équilibre et il manque près de 180 000 euros. Nous recevons beaucoup de la Fondation Notre Dame, ainsi que de la Mairie de Paris et de la Région Ile-de- France. La Banque Alimentaire est aussi d’un grand soutien. En 2009, c’est grâce à un don d’une dame, en novembre, que nous avons pu retomber sur nos pieds ! Cette année encore, nous avons besoin démobilisation de la part des donateurs. • Propos recueillis par S.L.
avec le soutien de la Fondation Notre Dame.
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