Ces prêtres, mémoire de l’Église de Paris
Paris Notre-Dame du 21 décembre 2017
Ils sont la mémoire du diocèse de Paris et de son histoire, riche et parfois mouvementée. En cette fin d’année, Paris Notre-Dame vous propose les portraits de huit prêtres parisiens, ordonnés il y a plus de quarante ans. Chacun à leur manière, ils résument ce qui, pour eux, a été le cœur de leur sacerdoce.
P. Maurice Fourmond
91 ans, 66 années de sacerdoce
Il se présente sans aucun signe distinctif si ce n’est ce large sourire franc aux lèvres. Le col romain a laissé place à celui d’une chemise à petits carreaux ressortant d’un pull en laine rouge foncé. « On pourrait vous appeler “Monsieur” », lui glisse-t-on. « Tant mieux ! Je ne veux pas que l’on m’aborde par ma fonction », explique, malicieux, le P. Maurice Fourmond, l’un des rares prêtres exclaustrés de la Congrégation du Saint-Esprit à l’époque où un certain P. Marcel Lefebvre vient d’être élu supérieur général. « Il m’était impossible de rester dans une congrégation où le supérieur s’opposait à l’autonomie des Africains », explique-t-il. Après l’Afrique et Chevilly-Larue (Val-de-Marne), il débarque, en 1964, à Paris, sa petite valise à la main. La même, à quelques détails près, qu’il avait embarquée, fin septembre 1944, pour entrer chez les Spiritains. À l’époque, son père, l’un des chefs de la Résistance d’Alençon (Orne), vient tout juste de rentrer de déportation. Maurice lui annonce son départ, poussé par cette « volonté absolue de devenir prêtre missionnaire en Afrique ».
Vingt ans plus tard, le P. Fourmond découvre la vie pastorale. À St-Jacques du Haut-Pas (5e) d’abord où, précédant la mise en place des conseils pastoraux, il monte une équipe de concertation entre prêtres et laïcs pour « porter ensemble la responsabilité de la communauté », puis à Ste-Marie des Batignolles (17e), à Ste-Geneviève des Grandes-Carrières (18e) et, enfin, à St- Hippolyte (13e). Très vite, il y prend goût. « Parce que j’aime profondément les gens, confie-t-il. Je crois que ce qui compte avant tout dans l’Église, c’est son peuple, pas sa hiérarchie. »
Isabelle Demangeat
P. Francis Corbière
80 ans, 53 années de sacerdoce
Le P. Francis Corbière est un homme affable. Il vous reçoit avec beaucoup de gentillesse dans son studio perdu au milieu d’une grande résidence anonyme, perchée au bord du canal de l’Ourcq. Et cite volontiers Isaïe pour résumer la conviction profonde qui a irrigué ses 53 années de sacerdoce : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime. » Ordonné en 1964, c’est comme vicaire à St-Pierre de Chaillot (16e) qu’il vit pour la première fois cette évidence : « Dans les immeubles bourgeois, les chambres de bonnes étaient occupées par des familles issues de l’immigration : Espagnols, Portugais, Réunionnais. Beaucoup de filles arrivaient à Paris comme employées de maison. Elles me disaient : « Depuis que je suis ici, je suis devenue transparente. » Je me suis beaucoup occupé de leurs enfants – c’était la grande époque des patronages, et le sport permettait de créer du lien. Il nous fallait lutter contre l’isolement qu’engendrent les grandes villes. » Nommé à N.-D. d’Auteuil (16e), il plonge dans l’effervescence étudiante des années 1970. « Nous avons tenté de rendre la liturgie plus vivante, en prenant une certaine liberté par rapport au rituel, tout en restant dans les clous », précise-t-il dans un sourire. Curé de St-Joseph des Épinettes (17e), il défend avec conviction la place des laïcs au sein de l’Église, arguant « qu’une communauté vit, rayonne, se bâtit avec ceux qui sont là, même pauvrement ». Aumônier en hôpital, puis investi au sein des associations Agapa et Lourdes Cancer Espérance, il expérimente le « désir d’être aimé que porte chaque être humain. Tout homme a du prix aux yeux de Dieu, répète-t-il avec conviction. C’est ce que j’ai tenté de dire à tous ceux que j’ai rencontrés. »
Priscilia de Selve
P. Étienne Ostier
84 ans, 53 années de sacerdoce
Le P. Étienne Ostier le confesse humblement. Il n’a « jamais été attiré par la vie de prêtre ». « J’ai juste obéi à la volonté de Dieu », sourit le prêtre de 84 ans. D’ailleurs, rien ne le prédisposait à cette vocation. Né à Paris dans une famille juive, Étienne vit son enfance loin des églises avant de recevoir le baptême à l’âge de 7 ans. En pleine Occupation, ses parents l’envoient dans un collège tenu par des prêtres diocésains à Dinan (Côtes-d’Armor). Là, on tait son origine juive. Il sert parfois la messe. Mais ne pratique pas la prière quotidienne. Jusqu’à un pèlerinage d’étudiants vers Chartres. Il comprend que « le Ciel n’est pas une simple récompense, mais la promesse d’une vie en Dieu ». Il se met alors à réciter, tous les jours, le Notre Père. Germe dans son esprit cette pensée que Dieu lui demande d’être prêtre. Il quitte alors ses études d’ingénieur pour entrer au séminaire. Ordonné prêtre en 1964, il devient professeur au petit séminaire puis s’en va à Jérusalem et Rome pour étudier. « S’était développée en moi cette envie de mieux connaître la Bible ; de mieux comprendre, aussi, la position anti-juive de certains Pères de l’Église », explique-t-il avouant ne pas être friand de la vie paroissiale. « Je suis scientifique, alors, pour moi, écrire des homélies est un exercice difficile ! », explique l’ancien professeur au séminaire d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) qui fut vicaire dans différentes paroisses parisiennes, reconnaissant éprouver, depuis quelques années, de la joie dans l’administration du sacrement de réconciliation. Il précise : « C’est quelque chose qui me dépasse mais je sens, ne serait-ce qu’à observer le visage détendu des fidèles que je reçois, que cela leur fait du bien. »
Isabelle Demangeat
P. Hubert Salmon-Legagneur
92 ans, 66 années de sacerdoce
La voix porte haut derrière la porte de sa chambre de la Maison Marie-Thérèse (14e). Le regard bleu pétille et transperce à la fois. Le P. Hubert Salmon-Legagneur a été ordonné en 1952. « C’est le gong de départ en mission des prêtres des Missions étrangères de Paris, que j’entendais depuis l’appartement familial de la rue du Bac, qui m’a appelé », se souvient-il. Le caractère est aussi trempé que ses années de collège ont été engagées… au patronage de St-François-Xavier (7e), le Bon Conseil, quand il distribuait des journaux clandestins dans la capitale occupée. « En 1952, le diocèse recouvrait Saint-Denis, Créteil et Nanterre, continue-t-il. On commençait tous en banlieue. » Lui, ce fut à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne). Là où il rejoignait en moto les jeunes du mouvement des Coeurs vaillants, avant d’arriver, en 1968, à St-Pierre-de-Montrouge (14e) comme vicaire. S’ensuivent plus de soixante ans d’un sacerdoce intense, rythmé par une mission de vicaire épiscopal en charge du suivi des prêtres, puis responsable des prêtres étudiants étrangers. « C’est le fait d’écouter et de partager avec le peuple de Dieu qui m’a révélé mon être de prêtre », avance l’homme qui continue d’accompagner des laïcs de l’Action catholique. Le concile Vatican II marqua pour lui un tournant décisif : « Il a changé le rapport de l’Église au monde. Ce n’était plus les ornements et la dispense des sacrements qui comptaient en premier, mais notre dialogue avec les baptisés et les non-croyants. C’est d’ailleurs de ma moto (et non de mon habit !) dont Dieu s’est servi pour appeler un scout de Saint-Maur au sacerdoce. Il est Père blanc depuis. »
Laurence Faure
P. Paul Diémert
74 ans, 47 années de sacerdoce
Je suis un « soixante-huitard », commence d’emblée le P. Paul Diémert, un brin provocateur, dans un sourire qui laisse transparaître une grande bonté. Pour lui, soixante-huitard, cela veut dire « un peu rebelle » certes, mais surtout prêtre de son époque, ordonné en 1970, après le concile Vatican II (1962-1965). Sa vision de la mission ? « Aller vers la périphérie et ne pas attendre les fidèles au chaud dans son église », avance celui qui, originaire de Reims (Marne), se définit comme « un homme de la ville ». Et pourquoi Paris ? « Passionné de cinéma, je souhaitais y aller au moins une fois par semaine ! » Ce qu’il fait toujours. Mais surtout, la vie pastorale parisienne lui permet d’« entrer en relation avec les gens ». Ordonné à 27 ans, il est nommé vicaire à St-Hippolyte (13e), à l’époque où les boat people issus d’Asie du Sud-Est s’installent dans le quartier. Ce qui marque surtout le ministère de cet homme lui-même frère de deux sourds, c’est sa charge d’aumônier à l’Institut national des Jeunes sourds et d’aumônier régional des sourds de Paris et d’Île-de-France, basé à St-Jacques du Haut-Pas (5e). Missions qu’il mène successivement depuis 1985 : « L’âge canonique de la retraite – 75 ans – approche, mais je continuerai jusqu’à ce que je ne puisse plus parler en langue des signes ! » Un souvenir marquant ? Ce cinéaste sourd de 38 ans qui l’a contacté il y a quelques années par SMS. Depuis, il a reçu le baptême des mains de Mgr André Vingt-Trois et continue son cheminement spirituel. « Mon rapport avec les sourds est essentiellement un tête-à-tête. La voix rassemble, mais les signes se lisent mieux en face-à-face. »
Laurence Faure
P. René Pinsard
89 ans, 65 années de sacerdoce
« Je suis arrivé ici un peu par hasard, à la demande de mon évêque. Je ne connaissais pas Paris, encore moins Pigalle et le monde de la prostitution. » Assis à son bureau, le P. René Pinsard, 89 ans, est intarissable dès qu’on aborde l’expérience qui fut la sienne durant 20 ans au cœur de ce quartier de Paris. Jeune prêtre breton, ordonné en 1952, directeur au Séminaire de Vannes (Morbihan) à 28 ans, il demande, au bout de neuf ans, à « pouvoir quitter ces quatre murs, afin d’être plus présent au monde des hommes ». Qu’à cela ne tienne. Nous sommes en 1965 et les prêtres ne manquent pas. Le diocèse de Vannes peut bien se dessaisir de l’un de siens. Ce sera donc Paris et St-Jean de Montmartre (18e) où le curé de l’époque a pour projet de lancer un bar baptisé Siloé. « L’idée était d’accueillir et d’aider ceux qui frappaient à la porte, jeunes en perdition, prostituées. Et ils étaient nombreux, car Pigalle est un marécage dans lequel beaucoup sombrent facilement. » Rapidement rebaptisé le bistrot du curé, l’endroit devient une institution dans le quartier. « Paroissiens et prostituées s’y mélangeaient sans façon. C’était un havre de quiétude dans ce quartier bousculé. » De ces années à côtoyer « ceux qui sont seuls et rejetés », le P. Pinsard en a tiré la conviction que « l’évangélisation doit consister en une relation personnelle. Il faut savoir parler d’amour et de tendresse à ceux qui se sentent en marge de la communauté humaine, sans les juger. Avec respect. Que chacun bénéficie de ce regard d’amour qui l’éclaire sur lui-même, afin de recouvrir la vue, comme l’aveugle de Siloé. »
Priscilia de Selve
Mgr Claude Bressolette
83 ans, 55 années de sacerdoce
L’intérieur feutré de son petit appartement, à St-Jacques du Haut-Pas (5e), est révélateur. D’abord de sa naissance à Fès (Maroc) auprès de parents enseignants, habitant la Medina (vieille ville), dans les années 1930. Un coffre aux motifs orientalisants hérité de son père, des tapis colorés au sol… Il y a aussi ce petit coussin brodé offert par un chrétien d’Orient, souvenir de la charge de vicaire général des catholiques des Églises orientales résidant en France, que Mgr Claude Bressolette occupa de 2004 à 2014. « Ce qu’ils nous apprennent à nous, Occidentaux, c’est le souci d’avoir des relations personnelles et humaines plutôt que formelles », remarque-t-il avec douceur. Ordonné l’année de l’ouverture du concile Vatican II, en 1962, le prêtre témoigne volontiers de l’évolution des liens entre évêques dans les années 1970, avec une collaboration renforcée ; et où la nature des relations entre les prêtres et l’archevêque de Paris évolue de « très formelle » à « fraternelle ». Doyen de la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris, de 1994 à 1997, après avoir été curé à St-Honoré d’Eylau (16e), l’universitaire est également juge au Tribunal de Première instance de l’Officialité. Ce dernier traite ainsi une centaine de demandes de nullité de mariage par an ; chiffre qui a tendance à augmenter. À la retraite, il continue d’accompagner des équipes Notre-Dame, comme il le fait depuis les années 2000. Et d’en conclure humblement : « Pour un prêtre, il est très édifiant de voir un couple se donner les moyens, souvent exigeants, de progresser dans la vie chrétienne. »
Laurence Faure
P. Étienne de Mesmay
90 ans, 63 années de sacerdoce
Sa grande silhouette barre la porte de sa chambre à la Maison Marie-Thérèse (14e) où il vit désormais. À peine voûté par l’âge – 90 ans ! –, c’est avec un grand sourire que le P. Étienne de Mesmay vous accueille. Il s’étonne de l’intérêt que vous lui portez et balaie rapidement ses années de jeunesse – le scoutisme qui l’a profondément marqué, et ses années de droit avant d’entrer au Séminaire d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). « Je n’avais pas de vocation juridique particulière, mais je n’étais pas doué pour les autres matières, alors… », glisse-t-il, toujours souriant. Ordonné en 1954, il est nommé aumônier des établissements Gerson (16e) puis Claude-Bernard (16e), « condamné à l’enseignement », dit-il avec un brin de malice. Il enchaîne ensuite quatre années comme secrétaire particulier du cardinal Jean-Marie Lustiger, rencontré lors de son service militaire. Cette proximité lui permet d’attirer l’attention de l’archevêque de Paris sur la situation difficile de l’Église « au-delà du périphérique ». Il fera lui-même partie d’une des équipes envoyées en Fraternité missionnaire de prêtres pour la ville (FMPV), il a alors plus de 60 ans ! De ces six années à Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne), il parle volontiers comme « d’une belle expérience, avec une équipe de prêtres soudée ». Et soudain, devenu plus disert, il avoue : « Mais moi, ce qui me rend heureux, c’est la messe. Cela m’a été donné et c’est une grâce », conclut-il. Toujours avec ce grand sourire.
Priscilia de Selve