Ciel, purgatoire, enfer : comment parlons-nous des fins dernières ?
Intervention de Sr Christiane Hourticq, religieuse Auxiliatrice des Âmes du Purgatoire, lors de la rencontre annuelle 2013 de la Pastorale des Funérailles.
Introduction
La démarche choisie consiste à partir des questions qui nous sont couramment posées par les familles et amis des défunts, pour réfléchir à la manière dont nous y répondons. Quand il y a un deuil, on se demande ce qu’est devenu le défunt et quelle relation on peut avoir avec lui. Où est celui que j’aime et qui vient de mourir ? Comment savoir s’il est auprès de Dieu ? L’enfer existe-t-il ? A quoi sert la prière ? Le purgatoire c’est quoi ? Qu’est-ce que le paradis ?
Dans un premier temps il s’agira de situer les questions posées dans le cadre plus vaste de la foi de l’Eglise. Ces questions ne peuvent être traitées qu’à la lumière d’affirmations fondamentales qui sont au cœur de notre foi.
Dans un second temps nous aborderons plus directement les questions concernant le devenir dans l’au-delà des personnes qui nous ont visiblement quittés et nos relations avec eux.
I. L’espérance chrétienne
L’espérance chrétienne est théologale.
Ce qui caractérise les vertus théologales, c’est d’avoir directement Dieu pour objet. L’accomplissement, le terme de la vocation humaine, c’est l’union à Dieu, le partage de la vie de Dieu.
En un sens c’est déjà donné. En Jésus-Christ ressuscité la mort est déjà vaincue. Notre humanité est définitivement entrée dans la vie de Dieu.
Le chrétien et l’au-delà :
Dans ce domaine je ne sais rien. Je n’ai d’autre expérience que celles de la finitude et du deuil. Dire que je ne sais rien ne signifie pas que je ne crois rien ni que je n’espère rien. Je crois et j’espère en Dieu qui a ressuscité Jésus et vaincu la mort. Je fais mienne la tradition catholique avec le sentiment qu’elle dit des choses très importantes, mais que nous devons nous la réapproprier pour pouvoir y adhérer vraiment et être capables de l’exprimer, de la transmettre.
Cela suppose une attitude spirituelle : il faut renoncer à savoir, à s’assurer. Il faut lâcher prise, s’en remettre. Nous ne pouvons faire de nous-mêmes la mesure de Dieu. Autrement dit : décider de ce que sera le don de Dieu en fonction de notre « croyable disponible ». Nous n’avons d’autre assurance qu’une Parole à entendre, à approfondir dans la confiance avec cette espérance théologale qui a Dieu pour objet.
Ce que dit le Credo :
Nous confessons que Jésus-Christ est assis à la droite du Père d’où il viendra juger les vivants et les morts. Nous ajoutons : je crois à la communion des saints, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle. Il est à noter que ces affirmations concernent avant tout l’achèvement de l’histoire en sa globalité.
Le jugement dernier :
Dieu fera à nouveau irruption dans notre histoire en la personne du Christ glorieux venant juger les vivants et les morts. C’est le jour où justice sera rendue par Dieu et selon Dieu. De nombreux textes bibliques et d’innombrables prédications ont fait de ce jour un jour de colère et de frayeur, redoutable pour les pécheurs, c’est-à dire pour nous tous. Mais en réalité un jugement a pour but de rétablir la vérité et la justice, de les faire triompher en les séparant du mensonge et de l’injustice. C’est une œuvre de salut. Une société ne peut se passer de jugement. On y aspire : cela permet de sortir du mensonge et de guérir la mémoire. Dans cette perspective l’idée que le monde et l’histoire appellent un jugement est pleine de sens. Nous faisons l’expérience d’une histoire ambiguë. L’annonce du jugement est une bonne nouvelle : Dieu sauvera définitivement ce monde par un jugement qui tranchera et libèrera ce qui et juste et vrai. Au terme de l’histoire ce sera, comme la création, une séparation salutaire.
L’évangile nous dit que le jugement a été remis au Fils (Jn 5,22-30). Il faut prendre la chose très au sérieux, mais ne pas vivre dans l’angoisse (encouragée par tant de prédications affolantes et culpabilisantes). Celui qui nous juge, c’est celui qui s’est donné lui-même pour nous sauver (Rom 8, 31-34). Le texte de l’évangile de Matthieu qui évoque le jugement dernier (Matth 25, 31-46) est à bien comprendre. Il ne s’agit pas d’une information en général. Les textes bibliques n’ont de sens que si on les accueille personnellement, comme des appels à la conversion.
La résurrection des morts (ou de la chair) :
La foi en la résurrection des morts est déjà présente dans l’Ancien Testament. A son propos il y a plusieurs points à souligner :
– Il s’agit d’un acte de Dieu. La résurrection n’est pas une propriété de l’homme. C’est Dieu qui est en cause : si l’homme ne peut plus être totalement anéanti, c’est parce qu’il est connu et aimé de Dieu.
– Il s’agit de la résurrection des morts ou de la chair. La résurrection concerne le tout de la condition humaine, le corps étant essentiel en cette condition.
– Cette résurrection est attendue pour le dernier jour. Elle concerne non seulement le tout de la condition humaine, mais tous les hommes. Voir l’homme dans sa totalité, c’est aussi le voir dans sa solidarité avec tous les autres.
II. Les dimensions personnelles de l’eschatologie
Notre réflexion est allée d’emblée à l’essentiel : l’acte par lequel Dieu porte à leur accomplissement la création et l’histoire humaine : jugement dernier, résurrection des morts. Reste la question des personnes entre leur mort biologique et la fin des temps. A la mort la relation à Dieu ne peut être supprimée.
Que penser du jugement particulier ?
C’est au 12ème siècle que la personnalisation de l’espérance conduit à envisager un jugement particulier antérieur au jugement dernier et survenant dès le moment de la mort. Cette conception s’était esquissée pendant la période patristique. Elle n’est pas biblique.
Ce que nous croyons, c’est que la relation de chacun avec Dieu subsiste à travers l’épreuve de la mort. Les modalités changent. Pour chacun cette relation est unique. L’amour de Dieu agit envers chacun dans le respect de ce qu’il est et de sa liberté.
Sans mettre en cause le caractère unique de la relation de Dieu avec chaque être humain on peut distinguer trois grandes possibilités que la tradition désigne sous les noms de ciel, enfer et purgatoire.
Le ciel
C’est une représentation liée à la station verticale de l’homme. De nombreuses cultures ont imaginé un univers à étages tel que le ciel apparait comme la demeure de Dieu. C’est dans cette direction qu’on cherche la communion avec Dieu.
Le ciel c’est le fait d’être avec Dieu et avec le Christ. C’est identiquement la vie éternelle et en un sens c’est déjà commencé (cf Jn 17,3 : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ »).
Quant au ciel par- delà la mort, nous ne pouvons nous en faire aucune représentation qui ne soit très déficiente. Il faut consentir à une chute des images, à une purification des représentations. Nous ne savons rien de la manière dont les morts vivent leur union à Dieu. Mais nous croyons que Jésus est entré dans la vie divine avec sa pleine humanité. Or les morts sont membres du corps ecclésial du Christ. Leur union à Dieu est portée par le corps du Christ.
L’enfer
Aujourd’hui nous éprouvons un malaise. L’enfer évoque pour nous une imagerie inacceptable ainsi que les exagérations oratoires et le chantage à la peur qui ont marqué bien des prédications. Comment des peines éternelles sont-elles compatibles avec un Dieu d’amour ? L’enfer paraît indigne et de Dieu et de l’homme.
En fait le Nouveau Testament comporte deux séries d’affirmations :
– l’une parle de géhenne de feu, de ténèbres extérieures, de châtiment éternel, de feu qui ne s’éteint pas,
– l’autre semble envisager un salut pour tous.
De ces deux séries d’affirmations nous ne sommes pas en situation de faire la synthèse. La tradition chrétienne penche tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre.
Que penser de tout cela ?
D’abord il faut noter que l’enfer n’est pas symétrique du ciel. Ce n’est pas une réalité de même niveau. L’enfer c’est le non-sens. Alors, y a-t-il une approche possible ?
Pour moi il y en a une qui s’impose : on ne peut parler de l’enfer qu’à la lumière du Christ en croix. Il s’agit de prendre avec un extrême sérieux ce dont le Christ nous rachetés. Le Christ s’est fait péché pour nous (2Co 5, 21). Il a éprouvé du dedans ce que cela implique : la croix. Devant le Christ en croix on entrevoit ce qu’est l’éloignement de Dieu et que cet éloignement est possible, parce qu’on voit où il a conduit Jésus-Christ. La croix atteste en même temps la réalité de l’enfer et la victoire sur l’enfer. L’enfer n’est pas d’abord ce qui nous menace, mais ce dont nous sommes délivrés.
Néanmoins la question reste angoissante : y a-t-il des hommes en enfer, éternellement damnés ? Nous ne savons pas. Pas de savoir qui réponde à la curiosité. Ne nous est donné à connaître que ce qui importe pour le salut. Le rapport d’autrui, quel qu’il soit, avec Dieu est le secret de Dieu. Il est vain de se oser abstraitement la question : y a-t-il des damnés ? qui est damné ? Se placer à ce niveau serait usurper la place du juge eschatologique. L’Eglise n’a jamais déclaré aucun homme damné. Les textes du nouveau Testament qui nous parlent du jugement ne sont pas destinés à nous livrer un savoir qui serait de l’ordre de la généralité Ces textes sont pleins de sens, mais comme appels à la conversion. Pour moi je dois maintenir la vigueur de l’enjeu qui porte sur le sérieux de la relation à Dieu. Dieu ne s’impose pas. L’enfer est une « possibilité réelle ». Mais n’oublions pas que notre juge, c’est celui qui, pour nous tirer de l’abîme, a pris sur lui notre péché.
Je fais mienne cette réflexion du P. Léon-Dufour : « La possibilité de l’enfer ma foi l’affirme, mon espérance la rejette pour moi, ma charité l’écarte pour qui que ce soit » (dans Jésus et Paul devant la mort, p. 49-50).
Le purgatoire
Existe-t-il encore ? Ce n’est pas ainsi que se pose la question. Le purgatoire fait partie de la tradition catholique et il a tenu une place considérable dans les croyances et les pratiques des siècles passés. Tout cela n’avait-il aucun sens ? ou bien, à travers cette représentation, l’Eglise dit-elle quelque chose d’important ?
Pendant onze siècles l’Eglise a tenu deux affirmations :
– il convient de prier pour les morts
– pour beaucoup d’entre eux l’union à Dieu suppose un processus de purification.
C’est seulement au 12ème siècle qu’on peut parler d’une « naissance du purgatoire » et au 20ème siècle on a assisté à ce qu’on pourrait considérer comme une « mort du purgatoire ».
Il est vrai que la figure historique prise par le purgatoire est en voie d’effacement. Mais la foi de l’Eglise qui s’exprime à travers cette représentation garde toute sa valeur. La doctrine du purgatoire permet de tenir ensemble des données de foi :
– Dieu, qui veut le salut de tous, n’abandonne jamais le pécheur.
– Les êtres humains, pour s’accomplir dans l’union à Dieu, doivent passer par une étape où il leur faut s’en remettre radicalement à l’action transformante de Dieu.
– Nous sommes tous solidaires, au-delà même des frontières de l’Eglise visible.
La communion des saints
L’expression renvoie à deux réalités indissociables : les biens spirituels et les êtres humains unis à Dieu. Les biens spirituels sont destinés à être partagés entre tous et ils opèrent la communion.
La célébration eucharistique est le lieu par excellence où nous actualisons cette communion avec tous les êtres humains unis à Dieu (et pas seulement avec les chrétiens). La prière pour les défunts prend tout son sens dans le cadre de cette universelle communion, laquelle n’exclut pas le caractère unique des relations existant entre les êtres humains.