Texte de la Conférence de Carême à Notre-Dame de Paris du 1er mars 2015
“Consacrée pour donner la Vie”, par Mlle Marie Laetitia Calmeyn, ordre des vierges.
La virginité consacrée apparaît comme une des formes de vie les plus mal connues à notre époque. Elle plonge pourtant ses racines dans l’Ecriture. Comment cet appel de Dieu retentit-il dans l’histoire d’une personne ? Que signifie aujourd’hui la consécration que l’Eglise attache à cette vocation ? De quoi est-elle le signe prophétique ? La virginité nécessite aussi d’être reconsidérée à travers l’histoire de l’Alliance et du salut offert à l’humanité. La figure de Marie nous aide à découvrir comment s’articulent dans sa virginité sa vocation d’épouse et de mère. La virginité consacrée symbolise finalement en sa radicalité la vocation baptismale ; elle est une source de vie pour le monde comme le manifeste le rite liturgique de cette consécration.
Conférence à 16h30 suivie d’un temps de prière et de l’adoration du Saint-Sacrement à 17h15, vêpres à 17h45 et messe à 18h30.
Les conférences sont retransmises en direct sur France-Culture et sur KTO, en différé à 21h sur Radio-Notre-Dame et RCF.
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Texte de la conférence
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Les conférences seront publiées dans un livre à paraître le dimanche 29 mars 2015 aux éditions Parole et Silence.
Consacrée pour donner la Vie
Juste avant la célébration eucharistique au cours de laquelle je reçus la consécration, Alix courut vers moi. Elle était suivie par sa maman qui, d’un air un peu gêné, me dit : « Elle a une question et je n’ai pas pu lui répondre ». Le regard d’Alix était franc et profond. Il exprimait cette grande et noble autorité que peut avoir une enfant de quatre ans, en particulier lorsqu’elle est traversée par une pensée qui lui vient comme d’au-delà d’elle-même, et qui bouleverse la perception des réalités qui l’entourent. J’ignorais ce qu’elle allait me dire, mais je me sentis d’emblée concernée. Toutes les questions de préparation de dernière minute avaient disparu devant ce qui m’apparut comme une urgence existentielle. Très à propos, la demande d’Alix était simple et directe : « Pourquoi veux-tu te marier avec Jésus ? Il est mort sur la croix. » Quelques idées de réponse me traversèrent l’esprit. Elles sombrèrent cependant très vite dans un silence qui me fit réaliser que l’abîme exprimé par Alix était aussi le mien. Sa recherche de lien logique entre l’alliance et la croix aboutissait à une impasse : comment « conjuguer » la vie et la mort, la mort et la vie ? Elle reflétait « les espoirs et les angoisses [1] » de notre société par rapport à la question que pose la limite, cette finitude que l’on voudrait pouvoir maîtriser, sur laquelle on veut avoir une emprise, cette vie et cette mort dont le sens échappe, comme pour orienter au-delà d’elles-mêmes : mais, où est Dieu ? Pas de réponse, juste un silence, dont l’écho retentit à travers une autre question, une autre recherche : « Et toi, ô homme, où es-tu ? » (cf. Gn 3, 9). Si le don de la vie, les contingences liées à notre existence, le scandale de la mort suscitent en nous – qu’on soit croyant ou non – la question de Dieu, ne serait-ce pas parce que cette quête est précédée par celle-là même d’un Dieu qui cherche l’homme, et qui, en se révélant, laisse apparaître une réalité plus décisive que celle de la mort : la liberté de choisir la vie ? En m’indiquant la croix de Jésus, Alix m’invitait à signifier ce chemin emprunté par Dieu pour rejoindre et chercher l’humanité, susciter sa liberté jusque dans l’épreuve même de sa finitude, et lui communiquer cette vie plus profonde que la mort. A sa manière Alix me faisait entendre l’appel de l’Épouse [2], l’appel de cette humanité qui, face à la croix, aspire de tout son être à la vie divine, cette vie qui lui donne pleinement accès à son humanité.
Comment cet appel à la vie retentit-il dans l’histoire d’une personne ? L’évocation de quelques étapes du chemin parcouru nous conduira à aborder cette étonnante vocation de « vierge consacrée ». Peut-être s’agit-il de la forme de vie qui suscite le plus de questionnements : quel type d’obéissance et de vie communautaire, quel habit et quelle forme de pauvreté ? Comment comprendre cette apparente indépendance si moderne ? Certes, il s’agit d’une vocation originale ; pourtant elle est très ancienne. Intérieure à la loi mosaïque, annoncée par les prophètes, signifiée par les psaumes, elle plonge ses racines dans l’Évangile. C’est donc à la lumière de l’Écriture qu’il convient d’expliciter ce qui caractérise cet état de vie, la manière dont cette consécration est vécue concrètement comme le signe d’une fécondité promise par Dieu à toute vie humaine [3].
L’appel de Dieu
C’est à l’âge d’Alix, lors de ma première communion, que s’éveilla l’intuition d’un don total possible. Cette intuition s’exprima d’abord à travers deux grands désirs, des rêves d’enfant : soigner les gens et apprendre à connaître la Parole de Dieu pour l’annoncer. Ce qui me surprend le plus aujourd’hui, c’est la fidélité du Seigneur à sa promesse.
Les aléas de l’histoire, nos propres errances nous donnent l’impression d’avoir toujours encore un peu de temps avant de répondre à l’appel de Dieu ; aussi, tout simplement, parce qu’on ne voit pas très bien comment répondre, jusqu’au jour où… apparaît de façon extrêmement tangible la possibilité d’un choix décisif : « Aujourd’hui, je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie… » (Dt 30, 19-20).
Il y a quelques années, en Belgique, au moment où je commençais à travailler comme infirmière, la question se posait de dépénaliser l’euthanasie. Ce que les débats autour de cette question révélaient avec force, c’est que la réponse ne se situe pas seulement dans l’argument philosophique. Le raisonnement ne peut suffire s’il ne s’ajuste à une présence réelle, c’est-à-dire à une présence qui suscite en l’homme ce qu’il y a de plus profond en lui : sa responsabilité, cet appel à répondre du don de la vie. Comment témoigner de cette vie à laquelle Dieu nous appelle jusqu’à l’extrême, jusque dans la mort ? J’eus alors l’intuition qu’il fallait étudier la théologie. C’est là que je découvris à quel point les mots sont liés à la réalité qu’ils signifient. Comment communiquer cette réalité, cette vie, ce salut, sinon en s’y conformant ? Les concepts théologiques n’ont de portée véritable que grâce au témoignage rendu. C’est en tant qu’elle réfère à une réalité vécue que la parole rejoint la personne en vérité. Je décidai de me spécialiser en théologie morale, d’étudier ce qu’est un véritable engagement pour en rendre raison. Si les discours humains peuvent avoir un certain intérêt intellectuel, peuvent éveiller l’affectivité, l’imaginaire et les sens, ce qui caractérise le langage proprement théologique, c’est qu’il est capable de communiquer le donné de la foi et, par là-même, de rejoindre l’être en profondeur, toute la personne. Mais cela ne s’avère possible que si le théologien communie à la personne du Christ, fait sien l’objet, le sujet de la foi, que s’il s’associe au mystère de Pâques. Il n’y a, face aux questions que le monde lui pose, face aux situations et aux impasses dans lesquelles l’humanité se trouve, de réponse que celle qui jaillit de la manière dont il s’unit ici et maintenant à la mort et à la résurrection du Christ [4].
En me centrant sur la croix, la question posée par Alix me donna d’éprouver une nouvelle fois qu’il ne suffit pas de redire ce qui a été dit, de se référer aux discours les plus éclairants, aux paroles les plus pertinentes, aux affirmations les plus audacieuses. La réponse ne pouvait pas simplement faire l’objet d’un dialogue argumenté. Elle devait être à la hauteur de l’exigence du questionnement.
Il y fallait un « oui » nouveau et entier, un engagement réel qui réfère à l’origine des réalités, à ce don de vie plus profond que la mort, à cet au-delà d’où venait la question. Les maîtres en théologie m’avaient appris à confesser la sagesse des petits, à écouter ce silence d’où jaillit la Parole à partir de laquelle la tradition se renouvelle ; Alix me demandait de l’expliciter personnellement. Sa voix se faisait l’écho de tant de questions et d’appels que j’avais laissés derrière moi sans réponse. Comme quelqu’un qui cache le trésor qu’il a trouvé, je les avais déposés au creuset de ma propre recherche de vérité. A travers leurs questions ou leurs contradictions, leurs réponses ou leurs confirmations, les hommes et les femmes rencontrés (je pense en particulier aux personnes souffrantes) m’avaient préparée à cet instant où toutes les questions posées ne se résumaient plus qu’en une seule : « Pourquoi veux-tu te marier avec Jésus ? Il est mort sur la croix. »
Il n’y avait pas d’autres réponses à donner à Alix que le fait même d’entrer dans la consécration. La réponse ne pouvait jaillir qu’à partir de ce lieu où la vie elle-même devient parlante, devient « parole », où la parole devient capable d’exprimer ce don de vie qui nous précède et que l’on peut choisir et faire nôtre pour le donner : « Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté ». Il fallait donc entrer dans la liturgie de l’Église, dans la consécration du Christ en la faisant mienne.
Centrons-nous à présent sur la consécration. Que nous dit-elle aujourd’hui de ce rapport à la mort et à la vie, à la vie et à la mort ?
La consécration de l’Église
En avançant, ce jour-là, dans la procession d’entrée vers l’autel, je ne pouvais pas ne pas penser à tous ceux qui m’ont transmis la vie, d’une manière ou d’une autre. Parmi eux, il y a ces hommes et ces femmes très proches ou plus lointains et qui nous interpellent « où est-il ton Dieu ? ». Il y a aussi ces visages contemplés dans l’Écriture et la Tradition, cette « nuée de témoins » (cf. He 11, 40), qui à travers leur vie de foi nous permettent de découvrir ce qu’est l’action de la grâce, cette grâce, ce salut, cette vie à laquelle j’aspirais et aspire de tout mon être pour la communiquer. Avec eux, je voulais rendre grâce de toute ma personne. La consécration des vierges à laquelle l’Église m’appelait et m’appelle signifie « cette action de la grâce ».
Les gestes liturgiques posés par la personne qui demande la consécration sont certes significatifs du désir qu’elle porte, du discernement opéré, du choix qu’elle pose, de sa détermination irrévocable de vivre le célibat pour le royaume. Mais ce désir, ce discernement, ce choix, cette détermination, ne prennent sens que dans la consécration de l’Église, par ce don que le Christ fait de lui-même dans l’Eucharistie pour nous unir encore davantage à Sa Personne.
Dans l’Évangile selon saint Jean, c’est dans la consécration de Jésus au Père que les disciples sont consacrés : « Consacre-les dans la vérité, ta parole est vérité. Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés dans la vérité » (Jn 17, 17-19). Ainsi en est-il lorsque l’Église, corps du Christ, consacre. C’est du lieu même de son offrande in persona Christi au Père que notre offrande prend sens. Unie au Fils dans son offrande au Père, l’Église est consacrée et consacre, elle donne la vie. L’expression liturgique s’en trouve transfigurée. Les mots peuvent être les mêmes, et c’est peut-être précisément parce qu’ils sont les mêmes, que l’on découvre mieux encore la nouveauté de vie dont ils sont porteurs et qu’ils communiquent : la Parole de vérité à laquelle nous sommes configurés et dont l’Église témoigne à chaque époque de façon nouvelle, en guérissant, en relevant, en consolant, en pardonnant. En consacrant, l’Église donne à la personne de s’unir à cette Parole de vérité qu’est le Christ. Elle fait sienne cette parole de Jésus adressée au Père : « Je leur ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux » (Jn 17, 26).
Si la vierge consacrée a pour lieu d’enracinement l’Église, corps du Christ, c’est pour être comme elle, envoyée au monde ; c’est pour être, comme le rappelle la prière d’envoi à l’issue de la célébration, « signe et témoin de l’amour de Dieu ». C’est en communiquant ainsi la vie divine que l’on s’y conforme davantage encore. C’est pourquoi la consécration ne prend tout son sens qu’à travers cet envoi, c’est-à-dire dans la mission. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile » (1 Co 9, 16), dit saint Paul aux Corinthiens. Annoncer l’Évangile, annoncer cette vie donnée par Dieu à l’homme, est le lieu même à partir duquel on la reçoit pour la donner encore.
Jean-Paul II décrivait la vocation des vierges consacrées en ces termes : elles « constituent une image eschatologique de l’Épouse céleste et de la vie future [ou à venir], dans laquelle l’Église vivra finalement en plénitude l’amour pour le Christ son Époux [5]. » La dimension eschatologique réfère non pas tant à un « après » la vie, mais à ce qu’il y a de définitif en elle [6]. Et qu’y a-t-il de définitif dans notre vie ? Le salut que Dieu nous donne en son fils Jésus Christ. Le baptême confère à l’homme la plénitude de ce salut. Le chrétien est sans cesse appelé à entrer dans la mort et la résurrection du Christ, à témoigner de cette grâce de salut dont il bénéficie. La consécration des vierges, reçue des mains de l’Évêque, exprime en sa radicalité la consécration baptismale. « En sa radicalité » ; cela veut dire qu’elle réfère à la racine même de cette grâce qui sauve. En s’unissant au Christ époux, la personne consacrée s’engage à vivre le célibat pour le Royaume. Son offrande intègre la racine de toute vie humaine, cet appel premier et profondément inscrit en l’homme et la femme et qui consiste à être féconds (cf. Gn 2, 28). Ce choix ne peut se vivre qu’à la lumière du Christ qui se donne dans ce célibat, qui rejoint la personne dans les profondeurs de l’être, dans sa solitude originelle, au cœur de son humanité, cœur duquel jaillit alors une source de fécondité qui ouvre à la communion. La chasteté vécue par celui qui a choisi le célibat reflète la chasteté du Christ à qui il s’unit. Elle signifie l’intégralité du don, l’union au Christ, et laisse par surcroît apparaître une intégrité, quelque chose de nouveau : un salut accordé à tous. La virginité consacrée signifie cette vie nouvelle dont elle est appelée à témoigner.
Cette vocation ancienne renvoie ainsi aux commencements toujours actuels de l’Église. Elle s’exprime à travers une vie communautaire et fraternelle semblable à celle vécue par les vierges à l’époque apostolique. La consécration des vierges est consécration en acte. L’amour du Christ résonne perpétuellement comme un appel à reconnaître cette Vie en laquelle tous sont engendrés, pour s’y conformer là où on se trouve, que ce soit en paroisse, dans les lieux de missions, d’engagements, dans la vie quotidienne, avec les voisins, les commerçants du quartier, etc. Comme vous le savez, sans doute, la vierge consacrée n’a ni règle de vie, ni constitution : c’est la consécration même de l’Église qui est la règle de sa vie, qui est le principe de sa vie communautaire.
Reprenons l’essentiel de notre réflexion sur la consécration :
La consécration de l’Église dans laquelle la personne consacrée s’inscrit est eucharistique. Il ne s’agit pas seulement de vivre un célibat pour le royaume mais plus encore de signifier par la consécration, dans l’intégralité du don, l’intégrité du don : la virginité [7]. Mais d’où vient cette intégrité, cette virginité ? Que signifie-t-elle ?
Être vierge, épouse et mère dans l’Alliance
La virginité dans l’Alliance
Lorsque la Bible parle de virginité [8], c’est pour désigner la part réservée à l’époux, que seul l’époux peut découvrir (cf. Dt 22, 19-29). Ainsi, selon le code de l’Alliance, « si quelqu’un séduit une vierge non encore fiancée et couche avec elle, il versera le prix et la prendra pour femme. Si son père refuse de la lui donner, il versera une somme équivalente au prix fixé pour les vierges. » (Ex 22, 15-16) Le livre de l’Exode nous apprend qu’il y a un prix fixé pour les vierges, mais sans en mentionner le montant. Jusqu’où l’Écriture porte-t-elle cette énigme ? L’Apocalypse nous livre une indication précieuse. Au sujet des 144000 hommes vierges qui, avec l’Agneau, chantent un cantique nouveau sur le Mont Sion, saint Jean précise : « ils ont été pris d’entre les hommes, achetés comme prémices pour Dieu et pour l’Agneau » (cf. Ap 14, 1-4). Il y a donc un prix fixé qui, au terme de l’histoire, semble avoir été payé. Mais quel fut le montant de ce rachat ? Quelle est donc, selon la Bible, la valeur de la virginité ?
Aux yeux des prophètes, la virginité se présente comme un point de repère pour évaluer la fidélité ou l’infidélité à l’Alliance de Dieu. C’est ainsi qu’Amos dénonce l’idolâtrie du peuple : « Elle est tombée, la vierge d’Israël, elle ne se relèvera plus » (Am 5, 2). En s’adressant à Jérémie, le Seigneur parle d’une grande blessure qui blesse la vierge : « Tu leur diras cette parole : que mes yeux ruissellent de larmes, nuit et jour, sans s’arrêter, car d’une grande blessure est blessée la vierge fille de mon peuple, d’une plaie profonde » (Jr 14, 17). La vierge tombe, elle est blessée, elle souffre d’une grande plaie et le prophète se lamente : « A quoi te comparer… fille de Jérusalem ? Qui pourra te sauver et te consoler, vierge, fille de Sion ? Car il est grand comme la mer ton brisement ; qui donc va te guérir ? » (Lm 2, 13). Si la mer symbolise la mort, quel est donc ce brisement ? S’agit-il de celui du corps de Rachel déchiré jusqu’à la mort par les peines de l’enfantement, ou du brisement de cette femme qui, selon le livre des Juges, après avoir été livrée au bon plaisir des impies, fut coupée en douze morceaux : un morceau pour chaque tribu d’Israël ? La brisure de ce corps et sa distribution provoquera l’assemblée d’Israël. Et le livre précise : « Tous ceux qui virent cela dirent : "Jamais chose pareille n’est arrivée et ne s’est vue depuis que les enfants d’Israël sont montés du pays d’Egypte jusqu’à ce jour ; réfléchissez-y, consultez-vous et prononcez-vous." Tous les enfants d’Israël sortirent, depuis Dan jusqu’à Bersabée et au pays de Galaad, et l’assemblée se réunit comme un seul homme devant le Seigneur » (cf. Jg 19, 30 - 20, 1). Il pourrait aussi s’agir de cette brisure, qui depuis le premier péché, traverse chacun d’entre nous, cet abîme à partir duquel la « nudité », c’est-à-dire « ce que l’on est vraiment » n’est plus immédiatement accessible (cf. Gn 3, 7).
C’est en se référant à la vierge que le Seigneur révèle, par la voix du prophète, l’épreuve du péché, l’abîme dans lequel se trouve le peuple, la brisure d’une humanité, la mort à laquelle elle est vouée. Ce qui surprend, c’est qu’après sa chute, même blessée, brisée, il est en effet toujours question de la vierge. Plus profondément que le péché, à travers cette brisure aussi grande que la mer, il y a quelque chose qui apparaît, une parole qui vient comme éclairer les abîmes. La Parole de Dieu portée par les prophètes, le regard divin dont ils sont les témoins, nous révèlent une création nouvelle. Ainsi entendons-nous par la voix de Jérémie : « De nouveau je te bâtirai et tu seras rebâtie, vierge d’Israël. De nouveau tu te feras belle, avec tes tambourins, tu sortiras au milieu des danses joyeuses. » (Jr 31, 4) Et le prophète Isaïe annonce : « Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur t’épousera. Et c’est la joie de l’époux au sujet de l’épouse que ton Dieu éprouvera à ton sujet » (Is 62, 5). Blessée, brisée la vierge d’Israël sera guérie, rebâtie et épousée par son créateur. Malgré la blessure du peuple, de l’humanité, ce que la virginité exprime, c’est l’espérance d’un salut, la portée toujours actuelle du Verbe créateur. Créé, l’homme ne cesse d’être donné à lui-même. Nous n’avons pas toujours conscience de ce don. Cette non-conscience est la part secrète, cachée, virginale de notre humanité que seul Dieu peut révéler, annoncer, féconder et transfigurer.
Le questionnement d’Alix, l’abîme qu’il signifiait, l’attente humaine qu’il révélait se trouvent éclairés par la voix des prophètes qui oriente notre regard vers cette vierge d’Israël. C’est à la lumière de l’Alliance que la blessure de la vierge, de l’humanité, apparaît comme un chemin de réconciliation de l’homme avec Dieu, de consécration [9]. Si la consécration nous donne part à la virginité de la fille de Sion, cela ne se vit qu’en acceptant de se laisser traverser par sa blessure, par cet abîme que la venue de l’époux révèle, par sa mort sur la croix : c’est le choix du célibat pour le Royaume. La virginité apparaît ainsi comme la part de notre humanité, de l’humanité, que le Seigneur se réserve malgré toutes les fautes commises. Cette part est le reflet du choix de Dieu, l’annonce d’un salut déjà là et à venir. Elle nous renvoie à la non-conscience de cette Présence divine qui nous précède, en nous l’indiquant par-là même. Elle signifie ce lieu secret, caché, où l’humanité se reçoit de Celui qui la crée et la recrée.
Un peu comme les ermites et les moines qui choisissent le désert pour chercher Dieu, la virginité signifie la part la plus désertée de notre humanité : là où on se retrouve seul avec le Seigneur, là où, tout en le cherchant, on se laisse trouver, ou plus précisément, « séduire », selon l’expression du prophète Osée (cf. Os 2, 16). Comment cela peut-il se faire ? Pour tenter une réponse, ou pour éclairer davantage encore la question, je vous propose de nous référer à ce moment fondateur pour l’Ordre des vierges, à ce passage de l’Écriture qui laisse apparaître à nouveau le sens de la virginité. Il s’agit du récit de l’annonciation selon saint Luc [10]. Cette histoire aux allures exceptionnelles est au fond très réaliste. Elle décrit à merveille ce que représente la consécration au quotidien : « Réjouis-toi comblée de grâce, le Seigneur est avec toi » (Lc 1, 28). La présence du Seigneur, la consécration, s’exprime à travers la joie qu’il communique. La joie de Dieu prophétisée par Isaïe (cf. Is 62, 5) devient celle de l’épouse à qui l’époux créateur se révèle.
Bouleversée, Marie se demande ce que signifie cette salutation (cf. Lc 1, 29). Le bouleversement exprime comment la nature humaine se laisse surprendre par la grâce qui lui est faite, par cette nouveauté qu’elle perçoit tout à coup autour d’elle, qu’elle éprouve en elle. Si les sciences, la poésie, la musique ou l’art sont capables d’éveiller notre attention sur une réalité que nous n’avions pas encore perçue, ô combien la Parole de Dieu nous éclaire-t-elle à partir du fond de cette réalité. Puisqu’elle est au principe de toute création, de notre propre création, elle suscite notre responsabilité, cette capacité que nous avons de répondre non seulement de notre humanité, mais aussi de la grâce qui lui est faite. Marie exprime sa liberté non pas à travers une forme de connaissance du bien et du mal (cf. Gn 2-3), mais plus simplement en cherchant la signification de la salutation, c’est-à-dire en s’accordant à la parole de Salut qui résonne en chacune des réalités qui l’entourent. C’est après que l’ange lui a annoncé l’incarnation du Verbe et son règne sans fin que Marie évoque sa virginité : « Comment cela peut-il se faire puisque je suis vierge ? » Parce qu’elle se porte déjà sur la manière dont le dessein divin se réalise, la demande de Marie se présente comme une réponse ; une réponse qui laisse apparaître sa virginité, qui est aussi « la forme de vie que le Fils de Dieu prend en entrant dans le monde [11] ». « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 35). Il y a quelque chose de beau, de grand, d’incompréhensible qui se vit, quelque chose d’entier, de réel, de plus profond que l’abîme du mal dénoncé par les prophètes. Cette ombre à laquelle Marie a dû être confrontée représente la dimension mystique, cachée des noces. Il s’agit du secret de Dieu, de ce Verbe qui se fait chair et à la lumière duquel la jeune femme ne cesse d’accéder à la grâce de salut faite à l’humanité. Depuis Eve jusqu’à Élisabeth, il y a tant de signes qui révèlent cette grâce qui la comble, ce Verbe qui se fait chair. Le consentement de Marie au dessein de Dieu sur elle est réel : « Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta Parole » (Lc 1, 38). C’est cette Parole qu’est Jésus qui, comme un glaive, transpercera l’âme de la Vierge (cf. Lc 2, 35). Cette blessure, prophétisée par Siméon dans le Temple, n’exprime plus d’abord la souffrance humaine provoquée par le péché, mais l’amour de Dieu qui s’y révèle.
L’adhésion de toute sa personne au salut donnera à la Vierge de magnifier le Seigneur (cf. So 3, 12), c’est-à-dire d’annoncer ce qui lui apparaît à l’ombre du Puissant, tout comme au cœur de son être, et qui jusque-là n’avait peut-être pas été assez perçu : « … [la] miséricorde [de Dieu] s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent… » (Lc 2, 50). Ainsi se vit la consécration au quotidien : dans la joie du salut et la grâce du service. On ne peut témoigner de la miséricorde que si on se laisse traverser, non pas d’abord par l’abîme du péché, du mal, mais par Celui qui le porte en chacun de nous et dont on découvre le visage en s’abaissant, en écoutant toujours plus profondément cette Parole de vérité désormais inscrite dans le cœur de tout homme. Telle est l’obéissance quotidienne vécue par la vierge consacrée, une obéissance qui lui donne d’être elle-même, d’être libre. Ce qui décide de tout dans sa vie, c’est cette relation d’Alliance avec Celui qu’elle « préfère à tout » et en qui « elle possède tout [12] ».
Ce passage de l’Écriture vous éclaire-t-il davantage ? Ce qui est certain, c’est qu’il permet d’entrevoir pourquoi cette vocation est difficilement compréhensible : « le Puissant te prendra sous son ombre ».
Être femme-épouse, mère et vierge dans l’Alliance
En évoquant dans son prologue le « commencement du Verbe » (cf. Jn 1, 1), l’évangéliste saint Jean nous invite à faire un pas de plus. Ce « commencement » ne décrit-il pas ce que la vierge vit à l’ombre du puissant, et ce que nous vivons en comprenant que l’on ne comprend pas : « … et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie » (Jn 1, 5). C’est ainsi que l’évangéliste donne à son lecteur d’entrer davantage dans le mystère de l’incarnation, dans ce mystère des noces [13]. La vierge y apparaît comme femme et mère. Qu’est-ce à dire ?
Dans le quatrième évangile, Jésus s’adresse à sa mère en l’appelant « femme ». Lors des noces à Cana, le Seigneur dira : « femme qu’y a-t-il entre toi et moi ?... ». C’est en s’adressant aux serviteurs que Marie répond : « Tout ce qu’il vous, dira faites-le » (cf. Jn 2, 1-5).
Que ce soit à Cana ou à la croix, entre Jésus et sa mère, il y a les serviteurs et les disciples. Au regard du Christ, nouvel Adam, « la femme » est l’aide assortie des commencements (cf. Gn 2, 23). Elle est celle à partir de qui, dans sa relation au Père, il va donner sa vie, il va donner la vie : « Femme, voici ton fils », « fils voici ta mère » (cf. Jn 19, 25-27).
« Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2, 5). Telle est l’unique recommandation donnée par Marie aux servants des noces de Cana. A quoi se réfère le « tout » ce qu’il vous dira ? Que signifie cette totalité liée à la parole de Jésus ? Le premier testament montre déjà comment l’écoute et la mise en pratique de la Parole de Dieu associe l’homme à la justice de Dieu, à la sainteté du Très-Haut et cela de façon de plus en plus paradoxale. La Parole de Dieu y est présentée comme un glaive qui associe celui qui l’écoute au jugement divin (cf. Ez 6, 17 ; Sg 18, 15). Plus le juste accomplit la Parole, plus il perçoit l’épreuve d’infidélité du peuple, l’abîme provoqué par le mal, la souffrance liée au péché. Mais il expérimente aussi la joie donnée à l’homme qui cherche à faire la volonté de son Dieu et cette communion de vie qui s’établit à travers les générations.
La totalité liée à la parole de Jésus nous renvoie à la Parole qu’Il est. Elle désigne notre vocation de fils ; en écoutant et en mettant en pratique tout ce que Jésus dit, le Fils reçoit en lui cette Parole vivante qu’est Jésus, cette parole qui, dans le secret de son cœur, à l’intime de l’être donne d’entendre la voix même du Père. Ecouter la Parole qu’est Jésus, c’est entrer dans l’intégralité du don qu’Il est pour nous. S’unir à son offrande, c’est découvrir en chacune des réalités qui nous entourent – comme au plus profond de nous-mêmes – l’intégrité du don, ce lieu caché, cette source secrète, cette création nouvelle.
La maternité de Marie exprime la façon dont nous sommes appelés à donner cette vie qui vient de Dieu et à laquelle nous participons dans l’offrande de Jésus. C’est en nous laissant aimer jusqu’au bout qu’il nous est donné d’aimer de l’amour même de Dieu. Communier à la soif de Jésus, c’est découvrir une manière unique de vivre la soif : dans un amour infini pour l’humanité, c’est-à-dire qui va jusqu’au bout de lui-même, qui pardonne et qui devient source de vie [14] : « de son côté sortit aussitôt du sang et de l’eau ». En se référant aux prescriptions concernant la préparation de l’agneau pascal [15], l’évangile précise : « pas un os ne lui sera brisé ». Tel est le prix du rachat des corps brisés : l’unité d’un corps livré (cf. Jn 19, 33-37).
C’est alors qu’apparaissent Joseph d’Arimathie, qui était disciple en secret, et Nicodème, celui qui venait voir Jésus de nuit. La mort de Jésus nous livre le sens du secret et de la nuit, de ces lieux cachés à partir desquels on reçoit son corps. Il y a, à travers ces gestes d’ensevelissement, comme quelque chose de nouveau, de vierge qui apparaît, une nouveauté ainsi délicatement suggérée par saint Jean : « A l’endroit où il avait été crucifié, était un jardin, et dans ce jardin un tombeau tout neuf, où personne encore n’avait été mis » (cf. Jn 19, 38-41). Le tombeau dans le jardin nous est présenté comme une réalité neuve. La mort de Jésus, son ensevelissement nous introduisent au grand Shabbat, au repos de Dieu dans sa création, à la façon dont le Seigneur achève sa création en se reposant en elle comme d’auprès du Père, en ressuscitant.
C’est à travers la figure de Marie-Madeleine que saint Jean illustre ce mystère d’engendrement à la vie éternelle. Marie cherche le Seigneur et cette recherche reflète la manière même dont le Seigneur se dit en son humanité. C’est ce que la suite du récit semble suggérer. « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le dialogue se poursuit : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et je l’enlèverai ». C’est alors que Jésus l’appelle par son nom : « Marie », comme pour répondre à sa demande. Tel est en effet le lieu de la mort et de la résurrection de Jésus : au plus intime de l’être, là où coïncident la recherche de Dieu et la recherche de l’homme. En nommant la femme, Jésus lui révèle sa vocation. Celle-ci s’exprimera dans l’annonce aux frères de sa montée vers le Père. C’est par la parole de Marie-Madeleine, à travers son témoignage, que les disciples entreront dans le mystère de l’Ascension. En allant vers Dieu et vers le Père, Jésus leur révèle qu’il s’agit aussi de leur Dieu et de leur Père (cf. Jn 20, 11-18). C’est alors qu’ils le verront (cf. Jn 20, 19-20), l’entendront, le toucheront (cf. Jn 20, 27) à nouveau, qu’il leur sera donné d’entrer dans une relation de fraternité (cf. Jn 21, 23). C’est en recevant Jésus à partir du Père que l’on accède pleinement à notre humanité, que l’on répond pleinement à notre vocation, que l’on redécouvre le mystère de la communion et de la virginité : l’intégralité du don et l’intégrité du don.
La virginité consacrée : une source de vie pour le monde
En tant qu’elle signifie le salut de Dieu, premier mystère qui touche l’être, la vocation de vierge consacrée est intérieure à toutes les autres. Elle symbolise en sa radicalité la vocation baptismale ainsi décrite par l’Apôtre des nations : « Je vous ai fiancés à un époux comme une vierge pure à présenter au Christ » (2Co 11, 2) Si elle apparaît souvent comme insaisissable, c’est précisément de par ce qu’elle signifie : « la nouveauté de l’existence chrétienne [16] », le baptême et le don de l’Esprit Saint, l’être en Dieu et l’attention au sens donné par l’Esprit à l’histoire, à cette histoire blessée, abîmée, brisée d’une grande brisure et qui, au rythme de la consécration, se laisse transfigurer, devient par pure grâce un lieu de bénédiction. Telle est, à mon sens, la spécificité de cette vocation exprimée entre autres par la très belle figure de sainte Geneviève qui, en intercédant auprès d’une cité désemparée, pour les pauvres, les malades, les pécheurs, pour les corps brisés, sera douée d’autant de grâces eucharistiques, parmi lesquelles une multiplication de pain.
La vocation de vierge consacrée est une vocation eucharistique. Cette consécration diocésaine vécue dans la cité au cœur du monde, cachée aux yeux du monde, est une source de vie pour le monde. Si, comme nous l’avons vu dans l’évangile selon saint Jean, la maternité exprime la vie de communion, la virginité nous associe à la source de vie, à cet Esprit qui nous habite et nous guide. Nous n’aurons jamais fini de nous unir au don que le Seigneur fait de sa vie et qui nous précède, de découvrir le prix fixé de notre rachat et qui fait que nous ne nous appartenons plus (cf. 1 Co, 6, 19-20). Il y a une part de notre être en lui, et plus profondément encore de son être en nous, qui nous échappe : c’est le Salut qu’il nous accorde à cette heure même. La consécration nous associe sans cesse à cette présence du Christ mort et ressuscité et qui ne cesse d’habiter les dépouillements et les effacements de notre humanité. Voilà pourquoi, Alix, « je m’unis à Jésus mort sur la croix ».
Parmi les signes remis par l’Évêque, il y a d’abord le voile ; ce voile, qui dans le Temple marquait le passage dans le Saint des saints, nous renvoie au lieu de notre engendrement à la vie éternelle, ce lieu auquel on accède particulièrement dans le service. Servir le Christ et son corps qui est l’Église, c’est à travers les attitudes et les actes laisser jaillir la vie de Dieu toujours plus profonde que la mort de l’homme, que sa finitude. Le rituel de consécration nous appelle à être « des servantes du Seigneur de nom et de fait, à l’imitation de la mère de Dieu [17] ». Il s’agit de vivre la consécration en acte, de s’unir au Christ qui nous livre le secret du Père, son Nom, et cela au cœur de nos relations, à travers nos activités, au lieu de notre repos, etc. [18]
Cette union est alliance. C’est pourquoi la consacrée reçoit de l’évêque cet autre signe qu’est l’alliance. La vierge est appelée à être épouse du Christ, premier témoin de sa mort et de sa résurrection dans le cœur de l’homme. En vivant dans le monde elle se laisse traverser par ce qui traverse l’humanité : ses inquiétudes, ses peines, ses joies, ses souffrances et ses espérances. Elle vit cela en s’unissant au Christ, en intercédant pour cette humanité qui est aussi la sienne.
Le troisième signe qu’elle reçoit est le livre de la prière de l’Église. La liturgie des heures lui offre un espace privilégié pour dialoguer avec le Seigneur, pour entrer dans sa grâce d’intercession. Nous nous y laissons éduquer par l’audace d’un peuple qui relit son histoire dans la prière, en s’adressant à Dieu, tantôt en l’évoquant, en l’invoquant, en intercédant, tantôt en laissant résonner ce silence subtil à partir duquel le Seigneur se révèle dans le secret des cœurs. A travers sa prière, Israël nous éduque à la liberté des enfants de Dieu. Le psalmiste n’a pas caché ses incompréhensions, ses colères, ses déceptions, ses échecs, ses limites, l’abîme éprouvé. Il n’a pas non plus oublié de partager ses joies, ses réussites, son bonheur, ses espérances, son amour. La prière des psaumes nous apprend ainsi à nommer tout ce que l’on vit, à en faire, à la suite d’Israël, un lieu de dialogue avec Dieu. C’est alors qu’on y découvre, par surcroît, l’être du Christ qui s’y révèle. Jésus a prié les psaumes ; dans son dialogue avec le Père, il a fait siennes tant la colère que la joie du peuple, l’épreuve d’abandon que la grâce de communion. Il enrichit chacune de ces réalités vécues de son être, de tout ce qu’il est. C’est pourquoi la prière des psaumes est un lieu privilégié pour assumer « les sentiments qui sont les siens » (cf. Ph 2, 5). Lorsque l’Église prie les Psaumes, elle s’unit à la prière du Christ et s’inscrit dans son intercession pour l’humanité. La vierge consacrée qui fait sienne cette prière, s’associe à la maternité universelle de l’Église [19]. Elle intercède de toute sa personne pour la vie du monde.
Cette vie qui jaillit est lumière et c’est pourquoi le dernier signe que la vierge consacrée reçoit est le cierge. Cette lumière éclaire la venue de l’Époux.
Comme les anges l’ont dit aux apôtres juste après l’Ascension : « Il viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller ». Saint Luc précise que Jésus fut élevé et qu’une nuée le déroba aux yeux de ceux qui étaient présents. Comment peut-Il dès lors revenir de la même manière ? De façon discrète, cachée, secrète, certes, mais l’affirmation ne fait pas seulement référence à ce qu’ils ont vu, mais bien à la manière dont ils ont vu. Comment ont-ils pu le voir partir ? Comment cela a-t-il pu se faire ? Comment Jésus, en partant, se rend-il en même temps infiniment présent, dans l’Esprit, à l’ombre du puissant, c’est-à-dire présent au principe de la création, au principe de notre être, nous donnant ainsi de participer à la grâce faite à Marie (cf. Ac 1, 1-14) : concevoir le Verbe créateur et l’annoncer ? « L’Esprit Saint surviendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; et c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu » (Lc 1, 34-35).
Marie Laetitia Calmeyn
[1] cf. Gaudium et Spes 4 ; 1 Co 7, 26.
[2] cf. Ap 22, 17 ; Jean-Paul II, Vita Consecrata 7, 25 mars 1996.
[3] Cardinal A. Vingt-Trois, courrier du 12 février 2014 au sujet des Conférences de Carême.
[4] Benoît XVI, « Le pape répond aux questions des prêtres », Rome, veillée du jeudi 10 juin 2010.
[5] Vita Consecrata 7
[6] Benoît XVI, « discours au monde de la culture », Paris, 12 septembre 2008.
[7] Jean-Paul II, Discours au Congrès international de l’Ordo virginum{}, Rome, le 2 juin 1995, 3 : « La virginité consacrée n’est pas un privilège ; elle est un don de Dieu. »
[8] Cf. La traduction de la Septante.
[9] Benoît XVI, Jésus de Nazareth{}, tome 2, 108-113.
[10] La Tradition voit en Marie le prototype des vierges chrétiennes. Selon les Pères, le désir de donner à Dieu tout leur être avait eu dans la Vierge Marie et son « oui » la première réalisation extraordinaire. Cf. Benoît XVI, Discours aux participantes du congrès de l’Ordo Virginum, le 5 mai 2009.
[11] cf. Vita Consecrata 16.
[12] Rituel de la Consécration des vierges, n. 24.
[13] Jean-Paul II, opcit. : « Le mystère de l’Incarnation a été lu par les saints Pères dans une perspective sponsale, dans le sillage de l’interprétation que saint Paul a donnée de la mort du Seigneur : « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle » (Eph 5, 25). Même l’événement de la Résurrection a été vu comme une rencontre nuptiale entre le Ressuscité et la nouvelle communauté messianique, pour laquelle la Vigile pascale elle-même a été célébrée comme « la nuit des noces de l’Église ».
[14] Cf. Jn {}7, 38
[15] Cf. Ex 12, 46
[16] Benoît XVI, Op.cit.
[17] Rituel de la Consécration des vierges, n. 29.
[18] Cela ne peut se faire qu’en se mettant à la suite du Christ chaste, pauvre et obéissant. Comme nous le rappelle Benoît XVI : « Pour vous, l’amour se fait ‘sequela’ : votre charisme comporte un don total au Christ, une assimilation à l’époux qui requiert implicitement l’observance des conseils évangéliques pour garder intègre vote fidélité à lui. » Cf. Benoît XVI, Op.cit.
[19] Rituel de la Consécration des vierges, n. 29.