Interview de Mgr Laurent Ulrich par Paris Notre-Dame
Paris Notre-Dame - 26 octobre 2023
Paris Notre-Dame du 26 octobre 2023
Alors que s’est achevée, le 29 octobre, la première session du Synode sur la vie de l’Église, Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, nous explique le sens d’un synode, ce qui s’y vit, et nous invite à poser, « dans une belle confiance », un acte de foi.
Paris Notre-Dame – En tant qu’archevêque de Paris, qu’attendez-vous de ce synode ?
Mgr Laurent Ulrich – En 2001, le pape Jean-Paul II écrivait qu’il fallait « repartir du Christ » ; en 2023, le pape François nous dit qu’il faut repartir du Christ qui nous envoie en mission. Voilà, pour moi, le cœur de ce synode : se recentrer sur la mission de l’Église. Dans les différentes situations de crises que nous sommes en train de vivre, le risque est de perdre en partie le sens de ce que nous faisons, en donnant trop d’intérêt aux querelles, aux divisions ou aux accommodements qu’on pourrait prendre les uns avec les autres ; l’essentiel n’est pas là, mais plutôt dans la nécessité de se remettre en face de la volonté du Seigneur. Et cette volonté, c’est que nous annoncions l’Évangile – qui est une Bonne Nouvelle – dans toutes les situations vécues par les gens d’aujourd’hui ; que nous les rejoignons dans leurs questionnements et leurs difficultés, au cœur des peines et des espoirs qui les habitent. On s’inscrit, en cela, dans l’esprit du Concile Vatican II qui soulignait déjà que les peines et les angoisses des hommes sont les peines et les angoisses de l’Église, comme les joies et les espoirs des hommes sont aussi ceux de l’Église.
P. N.-D. – En 2014, vous avez vous-même participé au synode sur la famille. Pouvez-vous nous donner quelques précisions de ce qui se vit lors d’un synode ?
L. U. – Le synode, c’est une prière. Le pape l’a d’ailleurs manifesté de façon très claire en ajoutant trois jours de retraite au programme habituel. Pour le dire autrement, un synode, c’est une assemblée de l’Église en prière qui demande à Dieu de l’éclairer sur ce que doit vivre son peuple pour Lui être fidèle. Ce n’est pas la même chose qu’une assemblée parlementaire qui va surtout chercher à rapprocher des points de vue et dégager une majorité, signifiant par le vote « ce que veut le peuple ». Dans un synode, on ne cherche pas la volonté du peuple, mais bien la volonté de Dieu. L’autre point qu’il faut souligner, c’est qu’on ne travaille pas à partir de rien. Il faut rappeler l’important mouvement de consultation lancé en 2021, qui s’est d’abord déroulé au sein de milliers d’églises locales à travers le monde – et à Paris, bien sûr –, et qui, ensuite, a franchi les étapes pour remonter au niveau des conférences épiscopales, puis au niveau des assemblées continentales, pour finalement être repris et synthétisé dans un instrument de travail, l’Instrumentum laboris, publié en juin dernier et qui est la base des questionnements menés en assemblée synodale.
P. N.-D. – Cet Instrumentum laboris a provoqué quelques vives réactions…
L. U. – Ce qu’on y lit, ce sont les interrogations, les difficultés exprimées par des centaines de milliers de chrétiens issus du monde entier pour vivre ou accorder l’annonce de l’Évangile avec les problématiques du temps présent ou de leurs propres vies : on y trouve, il est vrai, des questions sur la place de la femme, la gouvernance, la morale personnelle, sexuelle et familiale, mais aussi des interrogations sur la politique, la morale sociale ou encore l’écologie… Toutes ces préoccupations méritent d’être écoutées et forment la matière sur laquelle l’Église – à travers les 365 membres choisis – doit discerner et répondre à cet impératif missionnaire : comment annoncer l’Évangile au milieu de ces circonstances ?
P. N.-D. – Comment travaille-t-on durant un synode ?
L. U. – Lorsque je participais au Synode sur la famille, un tiers du temps, environ, était consacré au travail en petits groupes ; les deux autres tiers se vivaient en grande assemblée, dont le déroulé consistait à entendre chaque membre du synode sur un point particulier qu’il avait envie de développer devant les autres, afin de contribuer au discernement. Habituellement, lors d’un synode, le pape a une position particulière d’écoute et de distance ; il sollicite les avis des membres, identifie les arêtes de la réflexion commune qui surgissent, mais ne répond pas tout de suite. Nous savons déjà qu’il a instauré une deuxième session synodale l’année prochaine, dont l’ordre du jour sera sûrement élaboré sur la base des avis échangés en première session. Cette double session montre combien il faut accepter de ne pas se précipiter, mais au contraire de prendre du temps dans ce travail de discernement.
P. N.-D. – Comment comprendre le secret voulu par le pape ?
L. U. – Plutôt que le secret, je dirais qu’il a demandé le silence autour des échanges. Cela permet, à mon sens, d’échapper à la pression de l’opinion publique, qui brouille le discernement nécessaire pour se mettre à l’écoute, non pas de notre bien-être d’hommes et de femmes du XXIe siècle, mais de la volonté de Dieu, pour annoncer l’Évangile et faire du bien à cette Terre.
P. N.-D. – Comment se déroule le vote à proprement parler ?
L. U. – On vote sur des textes qui sont élaborés par des rapporteurs, des experts théologiens, etc., qui essaient de mettre au point des propositions fondées sur les différents échanges vécus en assemblée et en petits groupes. Mais il y a une double subtilité ! D’abord, les votes doivent être acquis à une majorité qualifiée des 2/3, et non pas seulement à la majorité absolue. Cela signifie qu’on admet quelque chose qui est suffisamment travaillé et discuté pour qu’au moins 2/3 des gens s’y reconnaissent. Ce point est extrêmement important. Je précise, d’ailleurs, que, pour la première fois, le pape a donné l’autorisation de voter à tous les membres du synode, laïcs compris. Le second point, c’est que les votes sont consultatifs. In fine, le pape, comme les papes l’ont toujours fait, va prendre le temps de discerner avant d’écrire ce qu’il retient, dans sa responsabilité de pasteur, des efforts à mener dans l’Église pour annoncer l’Évangile au monde d’aujourd’hui.
P. N.-D. – Ce synode provoque de l’émotion chez vos fidèles et une partie du clergé… En tant qu’archevêque, qu’avez-vous envie de dire à vos fidèles ?
L. U. – Toute assemblée de ce type crée de l’inquiétude, j’ai toujours vu cela. Les craintes sont multiples : on redoute les divisions, les dialogues impossibles, les sujets trop périlleux, les changements de doctrine, les situations insolubles ou encore une supposée fragilité de l’Église qui ne s’en remettrait pas… Ce qui nous est demandé, ce n’est rien de moins que faire un acte de foi. Un synode, un concile, c’est un acte de foi. Le Seigneur nous suggère de faire assemblée, comme on peut le lire dans les chapitres 10 à 15 des Actes des apôtres sur des sujets qui divisent : que font les apôtres ? Ils se réunissent pour invoquer le Seigneur et lui demander ce qu’il veut. C’est exactement ce qu’il se passe en ce moment. Le fait qu’il y ait des avis différents, divergents, contraires, ne doit pas nous affoler.
P. N.-D. – Mais comment recevoir le fait que ces inquiétudes aient été relayées par des hauts membres du clergé ?
L. U. – Comme beaucoup, j’ai lu la réponse du pape aux dubia, qui dit (en simplifiant) ceci : « Que vous ayez des questions, des inquiétudes, ce n’est pas incongru, mais faites confiance au mouvement de l’Église ; faites confiance à ce que l’Église, dans son droit canonique, a imposé comme règles pour tenir un synode ; soyez fidèles, soyons ensemble fidèles à cela. » On n’a pas le droit d’ignorer les questions qui se posent, et on n’a pas à s’inquiéter de ce qui va arriver. Au contraire, il nous faut être dans une belle confiance. Nous sommes devant l’inconnu, cela peut faire peur, mais le Seigneur nous dit : « N’ayez pas peur, je suis là, c’est moi qui conduis l’Église. » Car ce n’est pas nous, les évêques, qui conduisons l’Église ; notre responsabilité, c’est de faire percevoir ce que le Seigneur demande et, pour cela, nous faisons appel à la sagesse du peuple de Dieu en provoquant des conciles ou des synodes. Le peuple de Dieu va dire des choses, qui ne plairont peut-être pas à tout le monde, mais qui vont imprimer une joie pour les années à venir. Quant à moi, je peux témoigner, ayant fait cette expérience au cours d’un synode, qu’il se passe des choses qui font bouger les cœurs et les intelligences, signes d’une présence qui se manifeste.
Ce qu’il faut accepter de vivre, ici et maintenant, c’est un temps de latence – ce qui n’est jamais très confortable –, de réflexion et de prière. Et je demande aux chrétiens de prier pour ce qui est en train de se passer, qu’ils prient pour l’Église, pour l’unité de l’Église à travers ce chemin, afin que personne n’ait envie de faire amener ses propres idées mais plutôt de faire gagner le projet de Dieu. Car l’Église, quand elle cherche la volonté de Dieu avec humilité et simplicité, quand elle invoque le Seigneur, est comblée par l’Esprit Saint. Au fond, la seule question qui nous est posée est celle-ci : « Est-ce que je crois que le Christ conduit son Église ? »
Propos recueillis par Charlotte Reynaud
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