« Fiducia supplicans redit l’attachement de l’Église catholique au mariage »
Paris Notre-Dame du 4 janvier 2024
La déclaration Fiducia supplicans publiée le 18 décembre par le dicastère pour la Doctrine de la foi et approuvée par le pape François, autorise, sous condition, la bénédiction des « couples en situation irrégulière » – dont les divorcés remariés et les couples de même sexe. Analyse avec le P. Emmanuel Petit, recteur de l’Institut catholique de Paris (ICP), professeur de droit canonique et spécialiste en droit matrimonial.
Paris Notre-Dame – Fiducia supplicans suscite beaucoup d’émotions et d’interprétations. Que dit exactement ce texte au sujet des couples en situation irrégulière et des couples de même sexe ?
P. Emmanuel Petit – Fiducia supplicans redit avant tout l’attachement de l’Église catholique au mariage et à sa doctrine qu’il ne s’agit donc, en aucun cas, de faire évoluer. Le pape François autorise seulement la possibilité d’une prière pour les personnes dont la situation maritale les empêcherait de se marier religieusement. Dans des circonstances où beaucoup ont le sentiment que l’Église est trop dure, le dicastère pour la Doctrine de la foi esquisse des propositions en faveur des couples “en situation irrégulière” et des couples “de même sexe”. Le document reste néanmoins assez ferme et rappelle que si une bénédiction est possible, celle-ci ne peut être ni ritualisée ni institutionalisée par des normes et encore moins liée à une célébration religieuse. La distinction par le pape François à ce sujet est très claire. Mais une bénédiction étant une prière, son acception est très large et c’est d’ailleurs ainsi que le pape l’entend : une prière pour des personnes qui demandent, dans la situation particulière où elles se trouvent, d’être aidées et accompagnées par Dieu et par l’Église catholique.
P. N.-D. – « Il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage » (31), dit le texte. De quelle bénédiction s’agit-il exactement et quel sens lui donner ?
E. P. – Le texte ne le précise pas, sans doute parce que le pape souhaite justement éviter des positions trop tranchées et arrêtées. C’est là toute la subtilité de Fiducia supplicans, à l’image de ce qu’entretient souvent le pape François qui conserve le souci que l’Église reste ouverte et accueillante envers tous. En l’occurrence, il précise seulement que ces bénédictions ne doivent pas être semblables aux cérémonies de mariage ni comporter de rites qui sont le propre de la célébration d’un mariage religieux. Sa ritualité, à laquelle les gens sont encore très attachés, est d’ailleurs l’une des richesses et des forces du mariage célébré à l’église. Le pape admet donc une bénédiction beaucoup plus informelle pour les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, même s’il n’interdit pas que celle-ci se déroule dans une église. Par ce document, il semble avoir à cœur qu’aucune rejetée par l’Église. Mais ces demandes de bénédiction seront à voir au cas par cas, avec le pasteur concerné, en fonction des couples, des demandes et des situations particulières. Elles ne pourront se faire sur simple sollicitation d’un prêtre ; il faut que ce dernier soit lui-même à l’aise avec cette bénédiction. Les clercs sollicités pourront d’ailleurs se tourner vers leur évêque, dans une démarche de communion ecclésiale. Cela va donc, en grande partie, dépendre de la relation personnelle qui existera entre le couple et son pasteur – ce qui sous-entend un travail préalable d’accompagnement et d’une connaissance mutuelle, les couples étant invités à cultiver eux-mêmes une réelle volonté d’appartenance à l’Église et un désir d’ouverture à son enseignement.
P. N.-D. – On lit partout que cette bénédiction n’a pas vocation à se substituer au mariage. Que rajoute le sacrement du mariage à la seule bénédiction d’un couple ?
E. P. – Le mariage, comme tous les sacrements, est un moyen institué par le Christ pour communiquer sa grâce aux hommes. Lorsqu’une personne est baptisée, elle reçoit réellement la grâce du Christ ; et sa vocation d’enfant de Dieu s’accomplit dans le baptême. De la même manière, dans le mariage, la vocation de l’homme et de la femme, en tant que baptisés, s’accomplit dans ce lien qui sera pour eux une manière de vivre leur vocation chrétienne. Dans le sacrement, nous assistons à la réalisation de la vocation surnaturelle de l’homme. Ce qui n’est pas le cas dans les bénédictions qui sont une simple prière. Quelles que soient les situations que nous rencontrons, il est heureusement toujours possible de s’adresser à Dieu et de lui demander son aide. Il ne s’agit donc pour l’Église ni d’approuver en soi ces situations irrégulières ni d’enfermer les personnes dans une sorte de jugement moral dont elles ne pourraient sortir mais, d’un point de vue pastoral, d’encourager ces couples à continuer à cheminer et conserver un lien avec l’Église.
P. N.-D. – « Il n’est pas licite de donner une bénédiction aux relations ou partenariats, même stables, qui impliquent une pratique sexuelle hors mariage (c’est-à-dire hors de l’union indissoluble d’un homme et d’une femme ouverte en soi à la transmission de la vie), comme c’est le cas des unions entre personnes du même sexe », affirmait le même dicastère en février 2021. Comment interpréter son évolution sur ce sujet ?
E. P. – Si l’évolution est évidente, je ne vois pas de contradiction absolue entre les deux positions du dicastère pour la Doctrine de la foi. La première décision de 2021, en réponse à un dubium au sujet de la bénédiction des unions de personnes du même sexe, avait de fait refusé la possibilité de bénédiction ritualisée de ces unions. De ce point de vue, la nouvelle prise de position du dicastère, approuvée par le pape François, maintient cette position et la répète de manière insistante. Cependant, dans une acception plus approfondie de ce qu’est une bénédiction, il accepte tout de même que l’on puisse prier avec et pour ces couples. Il n’y a donc, en ce sens, aucune contradiction entre ces deux textes mais une précision et une certaine ouverture envisagée dans Fiducia supplicans.
P. N.-D. – Quelle est la valeur d’un tel document et comment le recevoir en tant que catholique ?
E. P. – C’est là toute la question des textes magistériels. En tant que catholiques, nous sommes évidemment tenus d’accueillir ce docu¬ment – surtout que rien n’apparaît comme étant en contradiction avec la doctrine de l’Église sur le mariage. Nous pouvons cependant reconnaître que Fiducia supplicans peut nourrir une certaine confusion pour le peuple de Dieu. De ce point de vue, chacun reste libre de ses opinions face à ce qui n’est d’ailleurs qu’une possibilité. D’aucuns vont trouver que le document ne va pas assez loin, d’autres que l’on soulève le couvercle d’une boîte dont on ne maîtrise pas l’évolution. Autrefois, le discours de l’Église était sans doute plus ferme et certains pourraient le regretter, mais en vérité tenir cette position serait aujourd’hui contre-productif. Il nous faut réussir à faire progresser le peuple de Dieu autrement et trouver un terrain sur lequel se rencontrer sans que se cristallisent des oppositions qui finiraient par diviser – ce qui serait contraire au message évangélique. Ce n’est pas à nous de placer les bons d’un côté et les mauvais de l’autre… cela appartient à Dieu au jour du jugement dernier ! La mission de l’Église catholique, celle de ses pasteurs – le pape le premier – est d’unifier et d’amener au Christ.
Propos recueillis par Mathilde
– Lire la déclaration Fiducia supplicans sur le site du Vatican.
– Lire le Communiqué du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France au sujet de la déclaration Fiducia Supplicans.