Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe pour les 150 ans de la paroisse de l’Immaculée Conception
Dimanche 28 septembre 2025 - Immaculée Conception (12e)
– 26e dimanche du Temps Ordinaire — Année C
- Am 6, 1a.4-7 ; Ps 145 (146), 6c.7, 8.9a, 9bc-10 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31
Les lectures que nous venons d’entendre ce dimanche nous permettent de comprendre ce que c’est que l’esprit de prophétie et la nature même de la parole du prophète : à quoi sert un prophète ? Qui est-il ? Vous n’oubliez pas que nous avons été baptisés dans le Christ, « prêtre, prophète et roi », et que nous sommes donc invités à partager le ministère prophétique du Christ. Le prophète Amos, que nous avons entendu dans la première lecture, dénonçait déjà, dans celle de la semaine dernière, « ceux qui vendent le pauvre pour le prix d’une paire de sandales », c’est-à-dire ceux qui méprisent le pauvre, qui le considèrent comme rien du tout : ce sont des enrichis qui se sont enrichis injustement. Et ces mêmes enrichis dont il était question au texte précédent, il nous est dit aujourd’hui qu’ils ne se soucient pas de l’état dans lequel se trouve le peuple, la nation, ce peuple au milieu duquel ils sont. Et comme ils exercent des responsabilités, et parce qu’ils sont au pouvoir, ils croient pouvoir simplement utiliser les biens qu’ils ont acquis, peut-être de façon malhonnête, mais pour eux-mêmes, dans une sorte d’entre soi qui ne dépasse pas leur groupe qui a l’air très satisfait de lui-même. Cela ce n’est pas ce que Dieu veut. Ce que Dieu veut, c’est que tous puissent vivre paisiblement, fraternellement, heureusement, au milieu d’un peuple où chacun se soucie des autres. Cela c’est la marque de l’esprit de prophétie, j’y reviendrai dans quelques instants.
L’évangile d’aujourd’hui dit, d’une certaine façon, la même chose. Jésus parle dans la suite des prophètes et il raconte une histoire, une parabole, ce qui n’est pas le cas du prophète Amos qui juge des personnes qui sont au pouvoir et qui ont la capacité, parce qu’ils sont riches, de dominer les autres. Là Jésus raconte une histoire que nous connaissons bien, en choisissant le moment où on peut juger la vie d’un homme, c’est-à-dire quand elle est terminée. Comme le dit le Livre des Proverbes : « Ne juge pas un homme avant qu’il soit mort, » c’est-à-dire juge sur une vie entière, ne juge pas sur des actes partiels. Et c’est donc ce que Jésus fait : au terme de la vie terrestre, l’un et l’autre ayant fini leur vie, on aperçoit ce qu’elle a produit. Et pour Lazare, dont le nom signifie « Dieu aide », cette vie a produit une attention à Dieu et une remise de sa vie à Dieu et aux autres qui peuvent quelque chose pour lui s’il ne les maltraite pas. Dans la vie de Lazare, ses amis semblent être les chiens : il est aimé des chiens qui s’approchent de lui sans difficulté, sans craindre la puissance. Tandis que l’autre, dont on ne dit pas le nom, est une sorte d’anonyme mais qui représente beaucoup car Jésus ne cherche pas à juger une personne. Comme les satisfaits du Livre d’Amos, ce riche a été rendu aveugle et sourd à la détresse des autres, rendu aveugle à la parole prophétique, à la parole qui lui disait : « Voilà ceux que Dieu aime. » Et ceux que Dieu aime, ce sont ceux qui font attention aux autres, ceux qui comptent sur Dieu, ceux qui savent que l’on peut s’émouvoir devant la détresse, ceux qui savent que l’on peut se laisser transformer le cœur quand on voit, autour de soi, des plus pauvres, des plus malheureux que soi, et que l’on a envie non seulement de partager mais d’être aimé d’eux et d’être ami avec eux.
Bien sûr, dans cette paroisse, on a le souvenir de sainte Catherine Labouré qui a été là, humblement, au service des plus pauvres et sans se faire davantage connaître que cela. Je la cite bien sûr parce qu’elle vous est chère et parce qu’elle m’est chère aussi. Je la connais bien ; elle est Bourguignonne comme moi ; et j’ai souvent fait visite à sa maison natale de Fain-les-Moutiers.
L’esprit prophétique ce n’est donc pas de dire ce qui se passera plus tard, mais c’est de montrer ce que Dieu veut, ce que Dieu aime, la façon dont Dieu veut que nous nous aimions les uns les autres.
Ce n’est pas forcément facile d’avoir l’esprit prophétique : ceux qui sont animés de cet esprit ne sont pas toujours très aimés parce qu’ils se posent non pas en juges mais en interpellateurs des autres.
Nous avons entendu aussi la Lettre de Paul à Timothée, l’apôtre qui encourage son disciple à être persévérant parce que tenir bon avec cet esprit prophétique que nous voulons garder dans notre cœur, ce n’est pas si facile que cela. Il faut de la persévérance pour rester fidèle à l’esprit prophétique qui dit ce que Dieu aime, ce que Dieu souhaite pour nous, ce à quoi il nous appelle. « Sois persévérant, dit l’apôtre, dans la foi », c’est-à-dire dans la confiance en Dieu, dans la confiance que Dieu t’aide pour rester fidèle. Et le mot de Lazare reste proche pour nous : « Sois persévérant dans la foi, sois persévérant dans la charité, dans l’amour, c’est-à-dire dans la façon dont ta foi te conduit à aimer les autres et à vouloir te laisser aimer d’eux. Quelle que soit leur situation, quelle que soit leur détresse, quelle que soit aussi la joie que tu partages avec eux - car il y a de la joie à être dans la fraternité la plus simple les uns avec les autres - sois persévérant dans la foi, sois persévérant dans la charité, sois persévérant dans la piété » nous dit-il. La piété c’est l’amour de Dieu, c’est la capacité à être en sa présence tout au long de notre vie.
Tâchons de garder cela. Appliquons cela à la vie paroissiale. La vie paroissiale a commencé ici sous le vocable de l’Immaculée Conception, que lui a donné sainte Catherine Labouré, et dans une époque, il y a 150 ans, où il n’était probablement pas plus facile qu’aujourd’hui d’être des prophètes de la foi en Dieu, des prophètes de la charité de Dieu et des prophètes de l’espérance de Dieu. C’était l’époque où la France venait de subir l’échec de la guerre de 1870-1871 avec les violences qui lui ont succédé notamment à Paris. C’était le moment aussi d’un très fort anticléricalisme qui continuait après un XVIIIe siècle très rationaliste et un XIXe siècle de trois révolutions qui ont agité le peuple et le pays, les bouleversant profondément. C’était le début d’une République. Les moments n’étaient pas si simples à cette époque-là pour annoncer l’Évangile mais, la ville s’agrandissant, on a jugé utile qu’une paroisse naisse ici pour entretenir l’esprit de foi, de charité et d’espérance, l’esprit prophétique qui dit : « Il y a une façon de vivre que Dieu aime et qui rend heureux, et qui rend beau, et qui rend juste. Il y a une façon de vivre que la parole prophétique ne cessera de nous rappeler. »
Sans retracer toute l’histoire de cette paroisse, il n’est pas difficile de penser, ni de comprendre que, si cette paroisse s’est maintenue, si vous êtes là aujourd’hui, c’est que cet esprit-là a perduré, a voulu demeurer au milieu de vous et, qu’aujourd’hui où il n’est pas si facile que cela d’être témoin de la foi, de l’espérance et de la charité chrétienne, dans ce monde-ci, vous tenez le rôle des prophètes, des prophètes persévérants, des disciples persévérants, des amis du Christ persévérants, dans la foi et dans l’amour, pour que, jour après jour, dans les circonstances que vous traversez, dans le quartier où vous êtes, cette paroisse demeure un signe de la foi que Dieu met en nous, un signe de la charité vécue au quotidien et un signe de l’espérance que Dieu appelle tout homme, toute femme, à vivre dans cette simplicité, dans cette humilité et dans cette fraternité qu’il recommande.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris