Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe en l’église Saint-Sulpice à l’occasion de la messe de clôture du Congrès Mission

Dimanche 9 novembre 2025 - Saint-Sulpice (6e)

 Fête de la Dédicace de la basilique du Latran
 Ez 47, 1-2.8-9.12 ; Ps 45, 2-3.5-6.8-10 ; 1 Co 3, 9c-11.16-17 ; Jn 2, 13-22

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L’inconvénient du direct… c’est que parfois on oublie quelque chose qui n’était pas sans importance ! Je voulais vous apporter le salut de tous les évêques de France qui viennent d’achever leur assemblée plénière d’automne à Lourdes. Et comme elle ne s’est terminée que ce matin, il se trouve que nous ne sommes pas nombreux pour être avec vous aujourd’hui, mais simplement l’archevêque de Fort-de-France, Mgr David Macaire, l’évêque coadjuteur nommé de La Rochelle, Mgr Pierre-Antoine Bozo, et Mgr le nonce apostolique, Celestino Migliore. Je suis heureux de les saluer, je suis heureux qu’ils soient là avec nous et que nous puissions manifester cette communion que nous avions bien l’intention de vous dire.

Maintenant, je me rappelle ce que nous venons d’entendre par deux fois dans l’évangile de ce jour : « Les disciples se rappelèrent ». Premièrement, ils se rappelèrent ce que l’Écriture avait dit : « Le tourment de ta maison me tient à cœur. » Et, plus loin, « ils se rappelèrent qu’il avait dit cela », et « cela » c’était : « Je rebâtirai le temple en trois jours » et il parlait du temple de son corps. Souvenons–nous d’abord de cela : l’Évangile est fait pour nous aider à nous souvenir de ce que le Seigneur a dit et fait. Et quand nous nous rassemblons pour la liturgie, pour l’eucharistie principalement, nous lisons l’Écriture pour nous rappeler les merveilles que Dieu a faites et ce que le Seigneur Jésus a dit, ce que le Seigneur Jésus a fait, pour que nous sachions comment le suivre, comment lui ressembler, et comment davantage lui appartenir chaque jour de mieux en mieux.

Nous voulons nous rappeler que le zèle de la maison du Seigneur tourmente Jésus, tourmente les serviteurs de Dieu, tourmente l’Église tout entière. Et je suis bien sûr que si vous êtes là aujourd’hui, si vous avez été là depuis vendredi, ou quelques instants vendredi, samedi et aujourd’hui, c’est parce que le zèle de la maison de Dieu vous tourmente. Le zèle pour cette maison, pour qu’elle vive, pour qu’elle soit un signe, pour qu’elle soit inscrite dans votre cœur et dans votre amour, voilà ce que vous cherchez à vivre, voilà ce que le Seigneur vous inspire, voilà ce qu’il vous rappelle de vivre jour après jour. Mais il nous rappelle aussi, à nous tous, que le Seigneur a dit qu’il rétablirait son corps mort en trois jours. Tout le monde ne le comprend pas, il y a des contradicteurs qui disent : « Qu’est-ce que c’est que ce corps dont tu nous parles ? Qu’est-ce que c’est que ce temple que tu vas rebâtir si vite alors qu’il a fallu tant de temps pour faire ce temple de pierre ? » Mais il parlait du temple de son corps, son corps charnel bien sûr. Le corps qui a connu tout ce qu’il a vécu avec nous, tout ce qu’il a vécu avec ses disciples, avec les foules, tout ce qu’il a su par sa parole, par ses gestes, mettre dans le cœur de ceux qui l’écoutaient, de ceux qui l’écoutent encore, tout ce qu’il a su mettre dans le cœur et dans l’esprit de ceux qui veulent le suivre toujours.

Son corps charnel bien sûr, mais aussi ce que nous appelons son corps spirituel, son corps ressuscité. C’est très important que nous mettions l’un et l’autre ensemble : le corps charnel de Jésus et le corps ressuscité de Jésus. L’un lui a permis d’être en contact avec les hommes et les femmes de son temps, celui-là a dû subir l’outrage de la mort. Mais l’autre, qu’il habite aussi, lui permet d’être le Sauveur de toute l’humanité et de toute la création.

En cette année où nous fêtons le 1700e anniversaire du Concile de Nicée, qui a dit que Jésus était consubstantiel au Père, nous comprenons ce que cela veut dire. Jésus-Christ est celui qui s’est tellement approché de l’humanité puisqu’il est l’un de nous. Il a été mis au contact d’une vie humaine, il a été mis au contact des hommes et des femmes de son temps pour vivre cette vie humaine, avec tout ce qui peut habiter une vie d’homme, il est l’un de nous. Mais il est aussi pleinement Dieu, consubstantiel au Père, et c’est pour cela que nous croyons qu’il est capable de nous sauver, de sauver tous et chacun, de sauver cette Création qu’il aime et qu’il a faite, pour être portée dans l’éternité.

Il parlait du « temple de son corps », et nous pensons nous aussi que son corps charnel et spirituel est présent par le biais de l’Église. Nous savons que son corps ecclésial, son corps qui est l’Église, c’est dans ce corps-là que nous vivons. Et c’est comme cela que nous pouvons appartenir au Christ : nous vivons dans le Corps de l’Église, il est là avec nous, nous sommes là au milieu de lui, il est là au milieu de nous. Nous le croyons. Et, dans quelques instants, la grande partie d’entre nous, tous ceux qui sont baptisés et qui désirent le manifester, s’approcheront pour recevoir son Corps vivant pour faire de nous, avec lui, son Corps.

L’apôtre Paul, dans la lettre que nous avons entendue tout à l’heure, le dit autrement. Il parle bien sûr de son corps qui est l’Église, il en parle comme du temple que Dieu construit au milieu des hommes, et il dit : « Personne ne peut mettre une autre pierre de fondation que celle qu’il a mise, lui le Christ, et c’est lui-même. » C’est une invitation à considérer que le Christ ne cesse de travailler pour l’unité de son corps. Il sait, et il en a donné bien des exemples : le plus beau peut-être ce sont ses derniers mots dans le chapitre 17 de saint Jean, où il prie pour l’unité de tous ses disciples, parce qu’il sait que son Église est menacée sans cesse, par la désunion, par la division, par les querelles, par les jalousies, par tout ce qui fait une vie dans l’histoire des hommes, des histoires de conflits qui portent parfois très longuement des traces dans l’histoire. Il le sait, c’est lui qui bâtit l’unité pendant que nous nous nous acharnons bien souvent à la défaire. Mais il ne cesse de prier pour que l’unité l’emporte sur le conflit, pour que la communion l’emporte sur la désunion et la division.

Et je sais que vous avez prié, que vous avez non seulement échangé et réfléchi, non seulement senti à l’intérieur de l’Église les variétés, les diversités et même les oppositions, mais ensemble vous avez prié déjà pour cette unité. Et nous ne pouvons jamais cesser de le faire parce que c’est le Seigneur qui fait notre unité. C’est autour de lui que se bâtit l’Église : nous ne faisons pas l’Église tout seul, elle n’est pas notre œuvre à nous, mais il nous y associe quand même, il sait que nous sommes capables de briser cette unité, mais il sait aussi qu’il ne cessera jamais de nous la faire désirer : l’unité et la communion.

Alors nous nous tournons vers lui sans cesse, et vous avez bien fait de le faire de bien des manières au cours de ces trois jours, pour illuminer tous les jours qui suivent dans votre vie et dans le désir que vous avez de témoigner de lui.

Et puis la première lecture, tirée d’Ézéchiel, un livre qui date de bien longtemps avant Jésus, dit déjà quelque chose de ce que c’est que le temple. Dans le temple, on pense bien sûr au Temple de Jérusalem, et dans la traduction que nous avons entendue aujourd’hui nous avons entendu la « maison », la maison que Dieu habite, la maison que Dieu nous fait habiter. De ce temple coule une eau vive qui régénère même les eaux les plus mortifères. Voilà une espérance formidable qui se trouve chez le prophète. Il sait, en effet, que du temple naît ce que Dieu veut faire naître, pour nous faire vivre avec lui, pour nous purifier, pour nous transformer, pour nous rendre la vie là où nous allons vers la mort. De ce temple-là, le Temple de Jérusalem, dans une vision, le prophète voit cela et se dit : Il n’est pas possible que nous allions toujours vers la mort et vers le mal, le Seigneur sans cesse réalimente les terres les plus infertiles pour les tourner vers la vie, pour les tourner vers le bonheur, pour les tourner vers la joie de sa présence.

Aussi nous sommes instruits par ce qui est dans l’Écriture que nous avons entendue aujourd’hui, et par les événements que nous vivons, comme je l’ai dit au début de cette eucharistie : le dixième anniversaire du Congrès Mission, mais aussi les 1700 ans du Concile de Nicée. Un moment de source et de lumière au milieu de conflits très importants dans l’Église, un moment capital et vers lequel peuvent se tourner toutes les confessions chrétiennes qui savent que l’expression profonde de la foi, malgré l’histoire qui nous a opposés les uns aux autres, se trouve dans les mots que nous disons et que nous partageons dans l’ensemble des confessions chrétiennes. Ce Credo est le moment, le lieu, les mots, la parole autour desquels nous pouvons nous rassembler.

Au début de cette semaine, à l’assemblée de la Conférence des évêques de France, nous avons reçu le Patriarche de Constantinople, Bartholomée, qui nous a donné un enseignement magnifique non seulement par des paroles que nous allons relire, mais aussi par son geste de répondre à l’invitation de la Conférence des évêques. C’est un geste qu’il avait déjà accompli il y a trente ans, invité par la Conférence d’alors : un geste d’unité, qui témoigne qu’entre catholiques et orthodoxes, chrétiens d’Occident malheureusement séparés pendant des siècles des chrétiens d’Orient, il y a la possibilité d’un chemin. Alors nous vivons tout cela et nous le gardons très fort dans notre cœur. Et nous nous disons, parlant de l’Église, qu’elle est d’abord ce lieu vers lequel convergent tant d’hommes et de femmes qui peuvent, parce qu’ils demandent le baptême par exemple, trouver un chemin de salut. Et les églises de pierre et ailleurs de bois, les églises sont ces lieux que nous respectons justement parce que tant d’hommes et de femmes y trouvent quelque chose qui les attire vers le Seigneur. Tous ceux qui entrent dans les églises y entrent parfois comme des visiteurs simplement, et y trouvent une atmosphère qui ouvre un chemin dans le cœur et les transforme. Ces églises nous les aimons et les respectons et nous savons qu’elles sont des lieux formidables si nous les laissons ouvertes et accueillantes pour que chacun puisse y trouver ce que le Seigneur a besoin de lui dire.

Un récent sondage d’un institut d’opinion a exprimé que 40% des Français savent que, dans une église, ils peuvent trouver la paix intérieure et quelque chose qui ouvre leur cœur vers le Seigneur. Ce n’est pas rien ! Nous le constatons dans cette église-ci, comme à Notre-Dame et dans les milliers d’églises de notre pays et d’ailleurs.

Par parenthèse, dans ce même sondage, il était indiqué qu’entendre parler de Dieu à travers les réseaux sociaux ne concernaient que 3% des Français. Cela veut dire que nous avons grand intérêt à entretenir le réseau de nos églises comme un réseau de lieux où l’on trouve quelque chose qui parle du Seigneur.

Mais cela nous invite aussi à une attitude profonde au sujet de l’Église et que vous êtes venus vivre : l’Église n’est pas quelque chose en dehors de nous, elle n’est pas un objet posé devant nous, nous sommes dedans, nous sommes le Corps du Christ. Nous ne pouvons pas dire notre relation avec l’Église comme si elle était autre chose que ce dans quoi nous vivons. Nous ne pouvons pas dire : « Quelle est ma relation avec l’institution de l’Église, la hiérarchie ? » Cela n’est pas juste de parler ainsi puisque nous sommes dedans, nous sommes capables de vivre chacun notre vocation et être, les uns pour les autres et les uns avec les autres, pour tous ceux du dehors, pour tous ceux qui entrent, pour tous ceux qui ressortent, pour tous ceux qui cherchent un chemin, pour tous ceux qui attendent des mots de Salut, pour tous ceux qui se sentent perdus, qui sont comme des brebis sans berger et qui ont besoin d’être aimés et de le savoir, nous ne pouvons pas dire autre chose que l’Église est ma mère, une mère aimante, une mère qui m’a fait grandir. Une mère qui, avec tous les défauts de son humanité, m’a fait découvrir l’amour de Dieu. Elle est cette mère aimante à l’image de la Vierge Marie qui est figure même de l’Église. Ainsi qu’on vient de nous le rappeler, elle est la « mère du peuple » [1] fidèle et nous sommes dans le peuple fidèle, nous ne pouvons pas nous en extraire, nous ne pouvons pas imaginer qu’elle est quelque chose d’autre que nous : elle est à la ressemblance de Dieu et elle est à notre ressemblance. Dieu nous en fait la grâce.

Qu’il nous permette de croire que nous engageons toujours l’Église nous-même, parce que nous croyons que nous faisons un avec elle, même quand nous nous en éloignons.

Que la grâce de ces trois journées, que la grâce de notre baptême, que la grâce de notre prière nous fassent aimer de plus en plus cette Église à l’image de ce qu’elle est, de ce que Dieu la veut, de ce que le Christ la fait jour après jour, tout au long des siècles, et jusqu’à la consommation des siècles et à son retour.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

[1« Mère du peuple fidèle » est le titre d’un document récent du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, au sujet des titres que l’on peut donner à la Vierge Marie. On trouve ce texte, actuellement, sur le site du Vatican : vaticaninfo.com.

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