Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St François de Sales pour le Centenaire de l’église – 28e dimanche du Temps Ordinaire – Année C

Dimanche 13 octobre 2013 - Saint-François de Sales (Paris XVIIe)

L’anniversaire d’une paroisse est une occasion d’action de grâce et d’une reprise de conscience des richesses que nous avons reçues et qu’il nous incombe de transmettre et de partager. Ces richesses reçues sont appelées à devenir le bien de tous.

 2 R 5, 14-17 ; Ps 97, 1-4a.6b ; 2 Tm 2, 8-13 ; Lc 17, 11-19

Frères et Sœurs,

Le message des lectures que nous venons d’entendre vise à nous faire prendre conscience que, peut-être, la richesse dont nous bénéficions est mieux reconnue par ceux qui ne la connaissent pas encore que par ceux qui en ont héritée. C’est ainsi que le prophète Élisée est sollicité par un Syrien, païen certainement, pour être guéri de sa lèpre. C’est ainsi que, des dix lépreux guéris par Jésus, un seul, un Samaritain, un étranger comme nous dit l’Évangile, est revenu pour lui rendre grâce. Ce n’est pas beaucoup ! Un seul est revenu et il était de ceux qui auraient pu ne pas comprendre, ne pas savoir, ne pas reconnaître d’où lui était venu le salut.

Cet épisode et ce message nous invitent à réfléchir à l’occasion du centième anniversaire d’une paroisse. Qui a fait vivre cette paroisse ? A qui devons-nous l’action de grâce pour que, non seulement elle ait réussi à naître, mais qu’elle ait pu prospérer, se développer à travers plusieurs générations et devenir florissante et dynamique à l’heure où beaucoup de gens nous disent, - mais ils le disent à chaque époque sous des modes différents - que le Christianisme est usé et qu’il ne sert plus à rien sinon à fournir quelques bons sentiments pour des fins de vies apaisées. Qui a réussi à déplacer ce regard sur la foi ? Qui a réussi à faire de cette communauté, dans ce quartier, un signe vivant et reconnu ? Bien sûr, les innombrables curés et vicaires, - tous de qualité exceptionnelle - qui ont servi dans cette paroisse, mais aussi des chrétiens assez attachés à la foi pour ne pas être découragés par les défauts de ces mêmes curés magnifiques… Ils ont persévéré et encouragé leurs curés et leurs prêtres à poursuivre l’œuvre. Mais il y a surtout l’Esprit de Dieu qui habite le cœur des croyants et qui nous constitue comme un peuple, et un peuple vivant ! Vous imaginez que dans le « métier » d’archevêque de Paris, il y a des moments qui ne sont pas très agréables, mais parmi les choses agréables qu’il me reste à faire, il y a les rencontres chaque dimanche des églises pleines, et je pense qu’elles ne sont pas pleines seulement en l’honneur de ma visite… mais qu’elles le sont aussi les autres jours ! Des églises vivantes, des communautés vivantes qui montrent que l’Esprit de Dieu est toujours à l’œuvre et que si nous avons parfois des difficultés pour avancer, pour que l’Église vive, Dieu ne fait pas défaut et il est toujours actif au cœur de son Église.

La première réflexion que je voulais vous transmettre, c’est donc de regarder Celui qui a fait tout pour que cette paroisse vive, c’est-à-dire Dieu. C’est pourquoi un anniversaire comme ce centenaire est d’abord un temps d’action de grâce. C’est ensuite un temps de prise de conscience de la richesse dont nous sommes dépositaires. Nous n’avons pas grand mérite, nous l’avons reçue, il nous incombe seulement d’en vivre et de la transmettre. Mais encore faut-il que nous ne la négligions pas, que nous ne soyons pas aveugles et sourds aux biens que nous avons reçus ! Vous avez vu tout à l’heure quand j’ai accueilli deux nouvelles catéchumènes, je leur ai marqué de la croix les yeux et les oreilles pour qu’elles voient la lumière de Dieu dans ce monde et qu’elles entendent sa Parole. Eh bien, tous, nous sommes appelés à ce regard et à cette écoute qui nous font comprendre que nous avons reçu une richesse extraordinaire et improbable. Il était peu probable, quand l’évêque de Rome a envoyé quelques missionnaires à travers la Gaule, dans ce monde à la fois païen à la mode romaine et païen à la mode barbare, que l’Évangile trouve des auditeurs, s’implante et se développe dans cette pointe de l’Europe. Et pourtant, c’est ce qui est arrivé. Nous avons reçu cette richesse extraordinaire, nous sommes dépositaires d’un trésor. Tout à l’heure en fermant la malle que les jeunes de la rue d’Aubigny ont préparée pour leurs lointains successeurs, je pensais que nous formions un épisode, une étape dans cette longue transmission de la richesse de l’Évangile et que nous avons reçu de quoi vivre dans la paix, la sérénité et l’espérance.

On nous dit - et ce n’est pas seulement une manière de parler, on sait bien que cela correspond à quelque chose de réel -, que beaucoup de nos contemporains sont moroses, parfois désespérés ou même révoltés par la vie qu’ils doivent mener. Est-il quand même permis de penser que dans les situations les plus difficiles dans notre pays, nous sommes encore loin de la vie misérable que mènent la plupart des hommes sur la terre ? Sommes-nous capables de reconnaître que nous bénéficions de moyens de vivre, de moyens de mettre en œuvre une réelle solidarité, de moyens d’affronter les difficultés de l’existence, de moyens culturels pour comprendre l’homme et le monde ? Et tout cela constitue une richesse extraordinaire dont nous devons non seulement profiter pour notre propre bien-être mais dont nous devons aussi assurer la communication et la transmission à ceux qui ne les possèdent pas.

Mesurer à quel point nous sommes favorisés, mesurer à quel point nous sommes dépositaires d’une richesse, c’est entendre immédiatement l’appel à la communication et au partage de cette richesse avec les hommes et les femmes qui nous entourent, avec nos contemporains. Est-ce que nous pourrions envisager un instant d’avoir reçu tout cela uniquement pour nous, uniquement pour notre confort moral et physique, et nous contenter de gérer économiquement ce trésor pour qu’il dure au moins aussi longtemps que nous, sans trop nous inquiéter de savoir ce qui adviendra de la suite ?

L’appel que l’Église nous adresse génération après génération, c’est de devenir les témoins, les porteurs de cette bonne nouvelle : Dieu est venu pour que les hommes puissent guérir, pour que les hommes puissent être sauvés et Il nous demande simplement de reconnaître qu’Il est la source du salut, Il nous demande simplement d’ouvrir nos esprits, nos cœurs, nos mains pour que cette richesse reçue puisse devenir le bien de tous.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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