Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame avec les diacres permanents et leurs épouses – Baptême du Seigneur – Année A

Dimanche 12 janvier 2014 - Notre-Dame de Paris

Après être apparu Sauveur à Noël et roi à l’épiphanie. Jésus est révélé dans la théophanie du baptême comme Fils bien-aimé du Père. L’humanité toute entière est appelée à entrer dans cette filiation. Par le baptême, les chrétiens sont invités à manifester spécialement cette filiation, en particulier par la valeur inestimable que prend toute vie humaine à leur yeux. Les diacres permanents sont étroitement associés à cette mission par leur ordination.

 Is 42, 1-4.6-7 ; Ps 28, 1-4.9-10 ; Ac 10, 34-38 ; Mt 3, 13-17

Frères et Sœurs,

Avec la célébration liturgique du baptême du Christ, nous atteignons la troisième étape des manifestations du Seigneur. La première étape fut la naissance à Bethléem au cœur de la nuit, alors que l’ange allait chercher les bergers pour leur annoncer qu’un Sauveur leur était né et qu’ils le reconnaîtraient aux signes d’un enfant emmailloté, couché dans une mangeoire. La deuxième étape, ce fut l’épiphanie, avec le voyage des mages venus d’Orient représentant les nations, venus pour adorer le Roi des Juifs. Et la troisième étape, celle que nous célébrons aujourd’hui, le baptême de Jésus à la veille de l’ouverture de sa vie publique, où il est manifesté non plus simplement comme un Sauveur, non plus simplement comme un roi, mais comme le Fils bien-aimé de Dieu. Il ne suffit pas ici que des anges annoncent sa venue, que des mages désignent son emplacement, il faut que Dieu lui-même intervienne pour dévoiler son identité de Fils unique et bien-aimé. C’est pourquoi l’évangile relate cet événement du baptême de Jésus dans les termes d’une théophanie, une manifestation de Dieu qui s’exprime par l’ouverture des cieux : « les cieux se sont ouverts, et on voit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe » (Mt 3, 16). L’Esprit reposait sur Lui, comme l’Esprit repose sur le monde depuis les origines, et la voix disait, depuis les cieux, -la voix de Dieu- : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en Lui j’ai mis tout mon amour » (Mt 3, 17). Cette identité particulière du Christ, Fils unique et bien-aimé de Dieu, n’est pas simplement une distinction spéciale attachée à la personne de Jésus de Nazareth, dont Dieu va donner les manifestations à travers la vie publique de Jésus, les enseignements qu’il fera, les signes, les miracles, les guérisons, puis finalement le don de sa vie pour le salut du monde. En révélant son identité de Fils unique et bien-aimé, Dieu veut affirmer quelque chose qui concerne non seulement la personne de Jésus de Nazareth, mais aussi l’humanité tout entière, car c’est pour l’humanité tout entière que Dieu veut être Père et c’est l’humanité tout entière qu’Il appelle à vivre en relation de filiation avec Lui.

Bien sûr, notre relation à Dieu n’est pas la même que celle de Jésus. Lui qui a été engendré de Dieu et qui est de même nature que le Père, est en communion complète avec Dieu par la puissance de l’Esprit. Nous, nous entrons dans cette relation de Père à enfant, d’enfant à Père, non pas par la communion des natures mais par l’adoption que Dieu rend possible en faisant le partage de notre nature humaine dans la personne de Jésus.

À notre tour, dans le Christ, par l’Esprit que nous recevons, nous devenons enfants adoptifs de Dieu, à notre tour nous devenons les enfants bien-aimés du Père. Cette adoption révélée par l’identité de Jésus est étendue à tous ceux qui croiront en Lui par la puissance de son Esprit, et est promise à l’humanité tout entière au terme de son histoire. C’est en vertu de cette filiation partagée que ceux qui suivent le chemin du Christ, s’efforcent de découvrir l’annonce de cette filiation dans toute existence humaine. Jésus, en tout semblable aux hommes, ne se distinguait d’aucune façon par rapport à ses contemporains. D’après ce qui se voyait, Il était comme tous les autres. Et pourtant, de manière invisible mais révélée ici par la voix des cieux, nous savons qu’Il n’était pas comme tous les autres. Et de même, nous qui sommes plongés dans l’histoire des hommes, nous sommes comme tout le monde. Rien d’apparent ne distingue celui ou celle qui essaye de vivre en disciple du Christ. Rien de visible ne révèle la filiation inscrite en nos cœurs et pourtant cette filiation change tout. C’est au nom de cette filiation que nous regardons chaque existence humaine, de quelque homme ou de quelque femme que ce soit, quels que soient ses mérites ou ses torts, quelle que soit sa pauvreté ou sa richesse, quelle que soit sa réputation sociale ou l’obscurité de sa vie. Qu’elle soit en bonne santé ou malade, qu’elle soit parmi ceux qui réussissent le mieux dans la société ou de ceux qui restent au bord du chemin, toute personne que nous rencontrons prend un sens et une valeur incomparables en raison de la paternité de Dieu qui l’appelle à devenir son enfant. C’est pourquoi jamais dans le regard que nous portons sur la vie humaine, dans les réflexions que nous sommes appelés à mener à ce sujet, nous ne pouvons mettre entre parenthèses la valeur incomparable de chaque personne. Nous ne pouvons passer sous silence le fait qu’aucun être humain, quel que soit son état, quel que soit le poids qui pèse sur ses épaules, -poids physique ou le poids moral-, quelles que soient les erreurs qu’il a pu commettre, ne peut échapper à la paternité de Dieu. Ainsi, chaque être humain a une valeur inestimable, incomparable et indestructible.

C’est ce regard d’amour qui fait apparaître ce qui demeure caché, mais qui donne à la vie de chaque être humain la consigne d’un respect absolu parce que chacune et chacun est devenu précieux aux yeux de Dieu.

Quand nous annonçons cette valeur extraordinaire de l’existence humaine, quand nous défendons la dignité de l’existence humaine qui ne réside pas dans l’image que l’on se fait de soi-même, mais dans la dignité que l’on reçoit du regard du Père, nous entrons dans le ministère de Jésus qui est le Seigneur de tous -comme nous disent les Actes des apôtres-, consacré par l’Esprit Saint et rempli de sa force. Nous le suivons pour que, à sa suite, nous puissions faire le bien là où nous passons et guérir ceux qui sont sous le pouvoir du démon, car Dieu est avec nous.

Chers frères diacres, passer au milieu des hommes en faisant le bien est le premier signe de la charité dont vous êtes les ministres par votre ordination. Passer au milieu des hommes en faisant plus de bien à ceux qui sont le moins distingués, le moins reconnus, le moins estimés ; passer au milieu des hommes en portant le témoignage de cet amour de Dieu que rien ne peut effacer, c’est la pointe du service auquel vous êtes ordonnés.

Frères et sœurs, en ce jour où nous faisons mémoire du baptême du Christ, prions pour que notre propre baptême avive en nous la force de Dieu et nous permette, remplis de sa force et assurés de sa présence, de vivre comme ses enfants bien-aimés.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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