Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à l’occasion de la messe des familles
Dimanche 9 février 2014 - Notre-Dame des Champs (6e)
Sommes-nous vraiment convaincus que l’évangile du Christ nous permet de devenir lumière pour le monde et sel de la terre ? Paradoxalement c’est dans la faiblesse humaine que se révèle la force de Dieu. Nous sommes concrètement appelés à entrer dans ce dynamisme par le partage et le service auprès des plus démunis.
– 5e Dimanche du Temps Ordinaire – Année A
– Is 58, 7-10 ; Ps 111 ; 1 Co 2, 1-5 ; Mt 5, 13-16
Frères et Sœurs,
Laissez-moi d’abord vous dire combien votre assemblée est réconfortante et encourageante ! Je sais bien que c’est la messe des familles et que cela nous donne la chance de pouvoir célébrer avec toutes les générations réunies depuis les plus anciens jusqu’aux plus jeunes. Vous manifestez ainsi que l’Évangile rejoint toutes les générations humaines. « Vous êtes le sel de la terre … Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 13.14) Vous êtes le sel de la terre dans ce quartier de Notre-Dame des Champs qui persiste à garder son titre pour ne pas devenir le quartier de la gare Montparnasse ! D’autant que le sel de la tour n’est pas très sain... Alors, il nous faut garder notre nom, notre objectif, notre mission d’être lumière et sel de la terre dans ce quartier.
Pour répondre à ce que le Christ attend de nous dans ce discours adressé à ses disciples, il faut d’abord que nous soyons fortifiés, mieux convaincus, plus éclairés sur le fait que notre participation à la vie du Christ et l’accueil que nous avons fait de l’évangile, apporter quelque chose d’unique dans le monde. Il n’y a de lumière qui se perçoive que si elle brille dans les ténèbres, il n’y a de sel qui s’apprécie que s’il apporte du goût à une certaine fadeur. Nous ne pouvons pas espérer être la lumière du monde et le sel de la terre si nous ne sommes pas d’abord convaincus que l’évangile est une source d’espérance pour les hommes, et pas simplement pour nous, et que notre fidélité à l’évangile et notre désir de suivre le Christ est quelque chose d’important non seulement pour chacune et chacun d’entre nous, mais c’est quelque chose d’important pour l’humanité tout entière. Si nous laissons s’éteindre la lumière de l’évangile, si nous laissons s’affadir le sel de la parole de Dieu, nous ne sommes pas seulement des gens peu prudents renonçant à ce qui pourrait leur être utile, mais nous sommes des traîtres par rapport à l’attente des personnes qui nous entourent.
Il faut que nous soyons convaincus que l’évangile du Christ, que notre foi chrétienne est une ressource importante pour l’équilibre et pour l’accomplissement de la vie du monde. Nous ne sommes pas une hypothèse parmi d’autres hypothèses, nous ne sommes pas une idéologie parmi d’autres idéologies, nous sommes le corps ressuscité du Christ et nous sommes porte-paroles du Christ lui-même. Et c’est parce que nous avons à porter cette parole du Christ, c’est parce que nous avons à vivre cette vie de l’évangile, que nous devons espérer de toutes nos forces que l’Esprit de Dieu habite nos cœurs et mobilise nos énergies.
Mais voilà : comment être la lumière du monde ? Comment être le sel de la terre ? Comment briller dans les ténèbres ? Comment apporter du goût dans la morosité ? Comment être témoins de l’espérance et de la joie ? Saint Paul nous donne une première indication dans l’épître aux Corinthiens. Il ne s’agit pas de convaincre par le prestige du langage humain ou de la sagesse, de démontrer que nous sommes plus forts, plus intelligents que les autres, ou que nous avons mieux que d’autres, la capacité de nous adresser à l’intelligence humaine. Certes, nous le pouvons, nous sommes capables de le faire, et nous le faisons, mais ce n’est pas de là que vient l’énergie de l’annonce de l’évangile. Cette énergie vient de la personne du Christ lui-même : « Parmi vous, je n’ai rien voulu connaître d’autre que Jésus-Christ, ce Messie crucifié » (1 Co 2, 2) et c’est la folie de la croix qui vient être confrontée à la sagesse du monde. Nous serions assez facilement, du moins le croit-on, enclins à suivre une Église qui serait une puissance parmi les puissances, nous serions assez facilement enclins à nous rallier au succès. Mais ce qui nous est demandé, ce n’est pas de suivre ce qui est le plus fort et le plus facile, c’est de communier au Christ crucifié et ressuscité, c’est de mesurer que la véritable sagesse de Dieu ne se manifeste pas dans la puissance humaine mais dans la faiblesse humaine, c’est de reconnaître que cette faiblesse n’est ni une honte, ni un handicap, mais qu’elle est au contraire la force sur laquelle nous pouvons nous appuyer.
Ainsi, qu’est-ce que nous apportons ? Comment pouvons-nous éclairer le monde ? Comment pouvons-nous donner du goût à la vie humaine ? Comment pouvons-nous être témoins de cette lumière de l’évangile ? Le prophète Isaïe nous donne la clef du témoignage de la foi : « partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abris, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront rapidement » (Is 58, 7-8) La première lumière qui peut éclairer le monde, ce n’est donc pas la puissance de notre discours, ce n’est pas la supériorité de notre argumentation, ce n’est pas l’excellence de tout ce que nous pouvons dire, c’est ce que nous pouvons faire : partager notre pain avec ceux qui ont faim. Nous le savons, aujourd’hui, dans notre société développée et industrialisée, le nombre des personnes qui ont recours à des distributions de nourriture, non seulement pour des personnes complètement marginales, mais pour des familles, des enfants, des parents, des personnes âgées, est en croissance constante. Il y a aujourd’hui, chez nous, des gens qui ont faim, et à plus forte raison à travers le monde entier, des populations entières qui sont décimées par la famine. Partager notre pain avec ceux qui ont faim, c’est retrousser nos manches non pas pour nous nourrir de bons sentiments en regardant la télévision, mais pour nous mettre réellement, effectivement, au service de ceux qui ont faim, qui sont sans abri, qui sont sans vêtement, et coopérer par notre force, réunis dans la communion ecclésiale, à l’amélioration de la vie de ces gens.
Comment pouvez-vous imaginer qu’on va leur annoncer le Salut de Jésus Christ s’ils ont le ventre vide, s’ils couchent dehors et s’ils sont nus ? Avant de leur annoncer la Bonne nouvelle de l’évangile, il faut leur faire toucher les fruits de cette Bonne nouvelle, il faut qu’ils perçoivent à travers notre présence, et pas simplement à travers notre argent, notre disponibilité, notre attention, que chacune de leur vie est précieuse aux yeux de Dieu, et précieuse à nos propres yeux. Ainsi, être la lumière du monde, être le sel de la terre, c’est répondre aux attentes de celles et ceux qui nous entourent. C’est chacun, selon ses possibilités, ses moyens, ses disponibilités, mettre tout en œuvre pour qu’aujourd’hui la violence de l’existence humaine ne soit pas destructrice, mais devienne le lieu d’une espérance pour l’avenir. « Si tu appelles, le Seigneur répondra ; Si tu cries, il dira « Me voici. » » (Is 58, 9) Combien de fois ne nous sommes-nous pas complus dans nos états d’âme et nos problèmes de conscience alors que Dieu répond à celui qui met en œuvre sa parole. Les questions que nous pouvons nous poser, et qui sont légitimes, les réflexions que nous pouvons nous faire, et qui sont nécessaires, ne peuvent pas recevoir la lumière du Christ si nous ne mettons pas cette lumière au service de nos frères. Les solutions à nos questions, ce sont les solutions que nous apportons aux drames du monde. Répondre à nos interrogations, c’est d’abord nous mettre en marche pour faire quelque chose au service de nos frères. « Si tu donnes de bon cœur, si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi » (Is 58, 10).
Frères et sœurs, en vous invitant il y a quelques années à entrer dans un long chemin de mission, je voulais d’abord que chacune et chacun d’entre vous qui participez chaque dimanche à la messe dans votre paroisse, soyez convaincus que cette mission repose sur votre capacité à donner de bon cœur à celui qui a faim, à combler les désirs du malheureux. Alors vous pourrez être une véritable lumière dans les ténèbres, alors vous pourrez aller au-devant de toute femme et de tout homme pour lui annoncer que Jésus Christ est le Sauveur, et vous serez entendus parce que le Salut sera devenu une réalité grâce à votre présence et à votre générosité.
Frères et sœurs, puisque nous avons la joie de célébrer ensemble l’eucharistie, puisque nous avons la joie de recevoir ensemble la parole de vie et le pain de vie, ouvrons notre cœur et notre vie pour partager avec ceux qui nous entourent la richesse que nous avons reçue.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.