Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 2e dimanche de Carême – Année A

Dimanche 16 mars 2014 - Notre-Dame de Paris

Pour la transfiguration de Jésus sur la montagne, la divinité de Jésus est manifestée de façon transitoire. Le Père le désigne comme son Fils bien-aimé. Si les disciples ne voient plus que Jésus seul au terme du miracle, nous sommes à notre tour invités à chercher la présence invisible de Dieu en ce monde à travers ce qui se voit.

 Gn 12, 1-4 ; Ps 32, 4-5.18-20.22 ; 2 Tm 1, 8b-10 ; Mt 17, 1-9

Frères et Sœurs,

Chaque année, dans le chemin qui conduit l’Église vers la célébration de la Pâques au temps du Carême, le deuxième dimanche est consacré à ce que nous appelons la transfiguration de Jésus. Après avoir médité sur les tentations du Christ au désert, nous sommes maintenant invités à mieux découvrir et à essayer de comprendre quel est ce chemin dans lequel Jésus est entré pour aller à Jérusalem et dans lequel il nous appelle à le suivre en prenant nous aussi notre croix et en vivant avec lui.

Pour cet événement extraordinaire, Jésus choisit Pierre, Jacques et Jean son frère, qui seront les trois disciples qu’il appellera à le suivre dans le jardin de Gethsémani au moment de l’épreuve finale, quand il va accepter de faire la volonté du Père et qu’il va supporter, dans sa sensibilité, dans son humanité, l’horreur de la mort vers laquelle il s’avance, mais qu’il choisit par amour.

Évidemment, en faisant de ces trois disciples les témoins de son épreuve, il veut aussi leur donner, par cette vision exceptionnelle, les forces et les lumières nécessaires pour ne pas faillir dans l’épreuve. Celui qu’ils verront pleurer des larmes de sang et se décomposer devant la décision à prendre, c’est le même qu’ils ont vu sur la montagne, le visage rayonnant comme le soleil, revêtu d’habits blancs comme la neige. Cette vision anticipée de la gloire de la résurrection est destinée à leur donner le moyen de vivre l’épreuve de la Passion sans douter de la fidélité de Dieu. Nous savons, pour connaître les récits de l’Évangile, que ces moyens ne seront pas suffisants, parce que l’épreuve sera trop forte et qu’il faudra à nouveau que Dieu leur donne des signes pour qu’ils comprennent que la mort du Christ sur la croix n’est pas l’échec définitif de la mission du Messie. En tout cas, cette expérience qu’ils vivent sur la montagne avec le Christ nous fournit plusieurs enseignements.

Dans le premier temps de la vision, les disciples voient le visage du Christ illuminé, ses vêtements blancs comme la neige et l’entretien qu’il a avec Moïse et Élie. Cette vision leur donne à comprendre que Jésus est bien le Messie, car la présence de Moïse et d’Élie l’atteste. Et c’est pourquoi Pierre est rempli de joie et voudrait que cet instant ne finisse jamais. Les grands témoins de la foi de la première Alliance et du premier Testament viennent confirmer ce qu’ils avaient déjà pressenti, Jésus est le Messie promis, l’héritier de David, celui qui va sauver son peuple.

Mais il y a un deuxième temps à cette vision, où il ne s’agit plus simplement du témoignage de Moïse et d’Élie mais d’un témoignage beaucoup plus important, « la voix qui descend de la nuée » (Mt 17, 5). Évidemment nous pouvons comprendre que la voix qui descend de la nuée, c’est la voix de Dieu, c’est Dieu lui-même qui parle. La nuée lumineuse les couvre de son ombre, et une voix se fait entendre : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour : écoutez-le ! » (Mt 17, 5). Ce que nous appelons en termes savants une théophanie, c’est-à-dire une manifestation de Dieu, provoque chez les disciples un sentiment d’effroi, car ils savent que l’on ne peut pas voir Dieu sans mourir. Cette expérience qui a toutes les caractéristiques d’une manifestation de Dieu devient pour eux quelque chose d’effrayant, et c’est pourquoi Jésus « les relève et leur dit : n’ayez pas peur » (Mt 17, 7).

C’est Dieu qui désigne Jésus non plus simplement comme un rabbin, comme un prophète, ni même comme le Messie promis de la descendance de David, mais comme le Fils bien-aimé du Père. Cet homme, Jésus de Nazareth, qu’ils ont appris à connaître, avec lequel ils ont vécu, dont ils ont entendu les enseignements, dont ils ont vu les signes et les miracles, cet homme est le Fils de Dieu. Cette affirmation est la réponse à une question qui parcourt tout l’Évangile : Qui est cet homme qui fait des choses aussi extraordinaires ? Voilà que Dieu lui-même nous dit qu’il est son Fils bien-aimé.

Et puis, ils lèvent les yeux, et ils ne voient plus que Lui, Jésus, seul. La théophanie est terminée, ils sont ramenés à l’humanité du Christ, à ce qui est perceptible par tout le monde, à cet homme de chair et d’os. Mais eux savent ce que l’on ne voit pas. Ils savent que cet homme est le Fils de Dieu, ils savent que derrière ce qui est visible, la personne de Jésus de Nazareth, il y a ce qui est invisible, le Fils unique de Dieu envoyé pour le salut du monde. Ils savent que derrière ce que l’on voit, il y a une réalité plus importante que l’on ne voit pas et qui est apparue miraculeusement à leurs yeux pendant quelques instants.

Nous aussi nous sommes confrontés continuellement à la question de l’identité du Christ. Nous aussi nous sommes confrontés continuellement à la question de savoir quel est le cœur du changement dans le monde ? Est-ce que ce sont des projets humains ? Les projets économiques ? Les projets politiques ? Ou bien est-ce que c’est une force d’un autre ordre, que Dieu nous a appris à connaître et qui se nomme l’amour ? Sommes-nous capables de comprendre que derrière ce qui se voit, ce que nous voyons de nos yeux, il y a ce que nous ne voyons pas et qui est la présence de Dieu à ce monde. Il y a ce qui demeure caché, mais qui travaille le cœur des hommes par la présence de son Esprit. Il y a la relation paternelle de Dieu avec l’humanité et la relation filiale des hommes avec Dieu. Cette épreuve de la foi nous permet, non pas d’échapper à la multitude des événements visibles qui se présentent à nos yeux, mais de déchiffrer comment ces événements visibles, et le spectacle qu’on en donne à travers les images et les discours, reflètent quelque chose du mystère de la présence de Dieu au monde.

Ici, nous avons quelque chose à voir. Nous avons quelque chose à entendre. Vous entendez mes paroles qui sont des paroles humaines. Vous voyez la beauté de cette cathédrale qui est une beauté humaine. Vous verrez tout à l’heure le pain qui est une réalité humaine. Mais notre foi nous conduit à ne pas nous arrêter à ce que nous voyons ou à ce que nous entendons. Notre foi, ce n’est pas les mots que je prononce, ce n’est pas la beauté de cette église, ce n’est pas l’apparence du pain ou du vin. Notre foi, c’est que derrière, au cœur de ces réalités humaines que nous voyons et que nous entendons, il y a une parole de Dieu qui nous est adressée, il y a une réalité de Dieu qui nous est partagée et donnée en nourriture. La présence de Dieu au monde reste invisible mais la grâce de Dieu est manifestée de manière visible dans le Christ, elle est manifestée de manière visible dans l’Église et dans ses sacrements, elle est manifestée de manière visible dans l’appel que Dieu nous adresse par sa parole. C’est pourquoi il nous dit que celui qui est son Fils bien-aimé, nous devons l’écouter. C’est à travers la Parole du Christ que nous découvrons la présence invisible de Dieu dans le monde. C’est dans le Christ que la Parole de Dieu a pris chair et qu’elle vient visiter chacune de nos vies et chacun de nos cœurs.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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