Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St JB de Belleville – 3e dimanche de Pâques – Année A
Dimanche 4 mai 2014 - St Jean-Baptiste de Belleville (Paris XIXe)
Les échanges de paroles entre les disciples d’Emmaüs et Jésus ressuscité révèlent un changement intérieur radical qui doit être le nôtre : passer de la déception à la foi. Le Christ ressuscité n’arrange pas magiquement les difficultés de notre vie mais nous donne la certitude et la force de sa présence.
– Ac 2, 14.22b-33 ; Ps 15, 1-2a.5.7-10.2b.11 ; 1 P 1, 17-21 ; Lc 24, 13-35
Frères et Sœurs,
Nous devons essayer de suivre avec attention le chemin de ces deux disciples qui retournent dans leur village après les événements qui se sont passés à Jérusalem, car ces deux disciples sont évidemment une figure de l’humanité sur sa route à travers l’histoire, ils sont aussi une figure de chacune de nos propres vies.
On pourrait dire que ces deux hommes sont des « déçus » de Jésus. Ils ont cru en lui, ou plus exactement, ils ont cru qu’il allait rétablir le Royaume d’Israël, c’est-à-dire qu’il allait arranger les choses. Nous sommes tellement heureux quand nous pouvons nous imaginer qu’il y a des personnages exceptionnels qui peuvent arranger les choses, corriger ce qui ne va pas, et si possible sans que cela soit trop douloureux pour nous. Nous sommes tellement avides d’avoir des solutions magiques aux problèmes de l’histoire, aux difficultés de notre propre vie. Peut-être à certains moments de notre existence nous est-il arrivé d’imaginer Jésus comme ce personnage magique qui peut tout arranger… Alors, nous aussi, nous devenons des « déçus » de Jésus. Nous avons mis en lui un certain nombre d’espoirs, pour ne pas parler d’espérance… Nous avons cru qu’il pourrait nous éviter un certain nombre d’ennuis et de souffrances, nous avons cru peut-être, même, qu’il pourrait nous changer sans que nous ayons à nous convertir, et tout cela n’est pas arrivé ! Nous sommes toujours les mêmes, les difficultés se renouvellent, et nous devenons des « déçus » de Jésus. Il n’a pas fait ce que nous attendions. Alors nous avons besoin, nous aussi, que nos yeux, nos esprits et nos cœurs s’ouvrent pour découvrir ce que Jésus peut et veut vraiment faire dans l’histoire des hommes, pour ajuster nos attentes à ce qu’il veut nous donner.
C’est pourquoi, nous nous identifions à ces deux hommes qui marchent vers Emmaüs, mystérieusement accompagnés par Jésus. Je dis mystérieusement car celui qui marche avec eux, le long du chemin, n’est pas reconnu. Ils sont des déçus de Jésus mais quand Jésus est avec eux ils ne le voient pas ! Comme nous pouvons être des déçus de Jésus et ne pas voir qu’il marche avec nous chaque jour tout au long de notre vie, qu’il est toujours proche de nous et prêt à nous aider. Comment va-t-il pouvoir aider ces deux hommes ? Comment va-t-il pouvoir déplacer leurs attentes ? Comment va-t-il pouvoir renouveler leur regard ? Il va leur expliquer, à partir de ce qu’ils connaissent, c’est-à-dire de toutes les Écritures qu’ils ont reçues dans leur tradition juive, quelle était la mission du Messie. Il va essayer de leur faire comprendre que Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour le raccommoder, pour arranger les choses selon leurs désirs, pour restaurer la puissance d’Israël, mais pour autre chose. Laquelle ? Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils non pas pour que le monde soit condamné mais pour que le monde soit sauvé. C’est ce salut qu’il veut essayer de leur faire comprendre, ce salut dont Pierre nous disait dans son épître : « qu’il ne nous vient ni de l’or ni de l’argent » (1 P 1, 18), ni des moyens de puissance que nous connaissons par notre expérience, ce salut nous vient de l’amour livré et manifesté dans le sang versé par le Christ.
Peu à peu, ces paroles commencent à toucher leur cœur, au point qu’ils hésitent et regrettent d’être obligés de se séparer de lui, ils lui demandent de rester avec eux : « Reste avec nous, car déjà le soir tombe » (Lc 24,29). Le soir tombe pour chacun de nous à tout moment de notre vie, à chaque moment de notre vie nous nous approchons de la fin du jour, à chaque moment de l’histoire les hommes s’approchent de la fin du jour, et ils ont besoin que le Seigneur ne les abandonne pas en restant présent avec eux. Et ce sera le deuxième signe que Jésus va leur donner pour ouvrir leurs yeux. Le signe de la fraction du pain, ce signe que nous célébrons chaque dimanche quand nous participons à l’eucharistie où Jésus bénit le pain et nous le partage en nous disant, ceci est mon corps livré pour vous. Sans doute, ou bien ils ont participé eux-mêmes ou bien ils ont entendu le récit des disciples qui ont participé à la Cène, mais quand ils voient le Christ refaire les gestes mêmes de la Cène, quand ils l’entendent prononcer les mots de bénédiction prononcée au moment de la Cène, alors leurs yeux s’ouvrent et ils comprennent d’où venaient cette chaleur et cet attrait qui les habitaient tandis que Jésus leur parlait en chemin. Et au moment où leurs yeux s’ouvrent, il n’y a plus rien à voir, il a disparu. Ils sont entrés dans le chemin de la foi. Ce chemin de la foi ne consiste pas à tenir Jésus par la main, à le toucher, à parler avec lui comme avec quelqu’un d’autre. C’est au contraire d’entrer en communion avec lui alors que nous ne le voyons pas. Leurs yeux se sont ouverts, et ils ont compris que Celui qu’ils avaient vu cloué sur la croix, mort par amour du Père et par amour des hommes, est maintenant ressuscité.
Alors frères et sœurs, pour chacun d’entre nous, cet homme inconnu qui marche à nos côtés sur le chemin de notre vie, celui qui nous aide à faire mémoire de ce que nous avons appris tout au long de notre vie sur l’histoire de l’alliance entre Dieu et l’humanité, celui que nous découvrons comme l’envoyé du Père, celui qui nous fait découvrir comment l’amour de Dieu depuis la Création jusqu’à nos jours n’a pas cessé de venir à la rencontre des hommes, comme nous en avons fait mémoire au moment de la Vigile pascale, celui-là est présent dans chacune de nos vies. Et cette présence mystérieuse, invisible, imperceptible, commence à réchauffer nos cœurs et à les rendre brûlants, quand nous faisons mémoire de sa parole, quand nous l’accueillons, quand nous la méditons jour après jour. Nous n’avons pas besoin d’une grande bibliothèque pour méditer la Parole de Dieu. Cette Parole, nous l’avons dans nos cœurs, nous l’avons dans nos mémoires. Tous nous avons entendu et gardé dans la mémoire des paroles de Jésus qui étaient fortes pour nous. Elles sont simples, chacun a les siennes, mais ce qui nous est demandé, ce n’est pas d’en trouver de nouvelles, mais c’est de revenir à la source permanente de la parole du Christ en nos cœurs. Jour après jour, se mettre sous la lumière d’une parole du Christ qui va éclairer le chemin du jour, et quand le soir tombe lui demander qu’il reste avec nous, qu’il soit présent à notre vie, et vérifier, expérimenter cette présence du Christ dans notre vie par la célébration de l’eucharistie que nous vivons chaque dimanche.
Oui, le Seigneur est ressuscité comme les douze le diront à ces deux disciples, ils l’ont vu et ils en témoignent, ils en sont les témoins. Ce témoignage éclaire chacune de nos existences, chacun de nos jours, chacune de nos attentes et nourrit notre espérance.
Le Christ ressuscité ne va pas arranger magiquement notre vie, mais il nous donne la certitude et la force de sa présence pour que nous soyons capables d’affronter les difficultés, de les porter avec confiance et avec espérance. Il est celui qui illumine nos ténèbres, comme le cierge pascal nous le manifeste au milieu de notre assemblée. Il est celui qui nourrit notre faiblesse comme le manifeste le pain consacré qui est son corps et que nous recevons de sa main. Il est celui qui nous rend capables de rester debout et serein au milieu des difficultés de la vie.
Frères et sœurs, que cette présence du Christ soit un réconfort et une force pour chacune et chacun d’entre nous et que nous en devenions les témoins pour nos frères. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.