Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Vigile Pascale à ND – Année A

Samedi 19 avril 2014 - Notre-Dame de Paris

Comment vivre en vrais témoins de la Résurrection ? D’abord par la conviction que Jésus est le Fils de Dieu qui a offert sa vie pour le monde, et a été ressuscité par la puissance de Dieu. C’est l’histoire de l’alliance de Dieu avec l’humanité qui donne la clef d’interprétation ultime de l’histoire du monde, au-delà des sagesses et des sciences humaines. La vigile de Pâques permet de faire mémoire de cette histoire pour nous et d’y associer les nouveaux baptisés.

 7 lectures de la Vigile ; Rm 6, 3b-11 ; Mt 28, 1-10

Frères et Sœurs,

L’annonce de la Résurrection qui a été faite par l’Ange aux femmes lorsqu’elles sont venues au matin pour préparer l’embaumement du Seigneur, retentit depuis ce jour, Pâques après Pâques, dans toutes les communautés chrétiennes. Cette annonce de la Résurrection nous l’avons entendue proclamée dès l’ouverture de notre célébration, et nous venons de l’entendre à nouveau dans la langue originale de l’Évangile qui nous unit à nos frères orthodoxes dans la confession de la même foi, et nous l’avons entendue dans notre langue.

Les femmes qui ont entendu les paroles de l’Ange sont parties, nous dit l’évangile de saint Matthieu, « toutes tremblantes et joyeuses » et nous sentons bien, à travers la répétition de l’appel de l’ange puis dans la parole de Jésus « ne craignez pas », qu’il y a une sorte de sentiment double quand on accueille l’annonce de la Résurrection, un sentiment de crainte, d’effroi, et une joie intense. La joie intense de découvrir que le Christ que nous avons accompagné tout au long de cette semaine, en particulier au cours de la passion, du chemin de la croix, est ressuscité comme il l’avait annoncé, et en même temps la crainte d’avoir à être les dépositaires de ce témoignage.

Comment allons-nous être de vrais témoins de la Résurrection ? Et témoin de quoi d’abord ? Parce qu’évidemment, comme le suggère l’évangile, il y aura tout de suite des tentatives pour expliquer la disparition du corps autrement que par la Résurrection. Déjà par précaution, les chefs des prêtres avaient demandé à Pilate d’autoriser que l’on dispose une garde au tombeau pour empêcher que le corps ne soit enlevé par les disciples de Jésus, et qu’ils prétendent qu’il était ressuscité. La suite de l’évangile de saint Matthieu nous dira que les chefs des prêtres ont donné comme consigne aux gardes de dire qu’ils s’étaient endormis, et que c’était pendant leur sommeil que l’on était venu enlever le corps… Nous mesurons donc très bien à quel point la réalité de la Résurrection est un événement et une information dangereuse qu’il faut manier avec précaution ! Si seulement on pouvait arranger les choses autrement ! Si seulement on pouvait transformer Jésus en un prophète, en un sage, en quelqu’un qui a laissé un grand souvenir à l’humanité, un message admirable, mais qui a disparu dans les brumes de l’histoire ! Si seulement on pouvait se contenter d’une explication par l’évolution des pensées, par la confrontation des groupes religieux, qui se serait peu à peu transformée, et en particulier sous l’impulsion de saint Paul, dans la création d’une religion dont Jésus n’aurait jamais eu l’idée ! Si nous voulons comprendre ce qu’il s’est passé au moment de la Résurrection, il nous faut accepter de trouver un autre modèle d’explication : Jésus n’est pas le fondateur d’une religion, Jésus n’est pas un grand sage qui a laissé un message admirable, Jésus est le Fils de Dieu, serviteur souffrant qui a offert sa vie et qui a été ressuscité par la puissance de Dieu comme il l’avait annoncé, puissance de Dieu manifestée à travers cet ange venu rouler la pierre du tombeau pour que les femmes puissent constater qu’il était vide.

On ne peut rien comprendre si l’on n’a pas présent à l’esprit ce que notre longue veillée nous a permis de redécouvrir : l’histoire de l’alliance entre Dieu et l’humanité. Depuis l’instant initial de la création jusqu’à ce moment de la résurrection du Christ, Dieu a mis en œuvre tous les moyens possibles pour susciter la vie de l’homme, pour entretenir la vie de l’homme, pour arracher l’homme à la mort et pour finalement lui permettre de vivre. Cette victoire finale de Dieu sur la mort, nous ne pouvons la croire que si nous avons le témoignage de cette longue fidélité au long des siècles. Il y a eu beaucoup d’explications de l’histoire du monde, y compris de ses origines, et on n’a pas fini puisqu’il semble que cette origine du monde soit un des mystères les plus séduisants pour l’esprit inventif de notre temps. On continue d’imaginer que l’on pourra reconstituer le moment initial et cela suffit pour faire de l’information sur le big-bang… Cela est toujours intéressant, mais au fond, qu’est-ce que cela nous apprendrait que nous ne sachions déjà ? L’histoire du peuple de Dieu dans sa relation avec son créateur nous donne toutes les clefs nécessaires pour notre vie. Cela ne veut pas dire que cela n’a pas d’intérêt de mieux comprendre et de mieux connaître ce qu’il s’est passé, mais cela n’est pas là que l’on trouvera la clef d’interprétation !

La clef d’interprétation, c’est cette fidélité de Dieu inlassable depuis le moment originel jusqu’à nos jours et jusqu’à la fin des temps. Cette fidélité le pousse à inventer, génération après génération, des moyens pour sauver l’humanité. Nous en avons entendu quelques-uns et en ces temps qui sont les derniers, il a envoyé son Fils, son unique, non pas pour condamner le monde mais pour que le monde soit sauvé. La victoire du Christ sur la mort est non seulement la plus grande espérance qui puisse être donnée aux hommes, mais c’est la seule. Il n’y a pas sous le ciel d’autre nom que l’on puisse invoquer pour être sauvé, parce qu’il est le seul à avoir traversé la mort et à être revenu vivant, à être apparu à ses disciples, à avoir répandu sur eux la plénitude de son esprit, et ouvert devant eux les chemins d’une vie nouvelle. Notre célébration de Pâques, c’est l’annonce de cette espérance, depuis ce matin, après le shabbat où les femmes ont découvert le tombeau vide, reçu l’annonce de la résurrection et rencontré Jésus lui-même.

Comment se fait-il que malgré toutes les péripéties de l’histoire, malgré les difficultés dans lesquelles se débattent les hommes, malgré la pauvreté de notre témoignage, le don que Jésus a fait de sa vie continue d’être un événement référent ? Comment se fait-il que la croix du Christ soit devenue parmi les hommes le signe de l’espérance ? Sinon justement parce que Dieu l’a arraché à la mort et sinon parce que nous espérons bien nous aussi participer à sa résurrection et nous relever de la mort.

Alors frères et sœurs, en cette nuit où nous faisons mémoire de la résurrection du Christ et où nous célébrons cette résurrection, c’est notre baptême qui est au cœur de la célébration : le geste par lequel nous sommes plongés dans la mort du Christ pour nous relever vivant avec lui. C’est ce baptême que je vais conférer à quelques-uns d’entre nous qui s’y préparent depuis longtemps, et c’est la profession de foi de ce baptême que je vais vous inviter à renouveler au moment même où eux la feront pour la première fois.

Oui, dans cette nuit, qui n’est pas seulement la nuit qui succède au jour mais qui est aussi la nuit de l’humanité, la lumière du Christ apporte une espérance nouvelle. Nous ne pouvons pas vivre comme si rien ne s’était passé, nous ne pouvons pas vivre comme si nous étions destinés à mourir, nous ne pouvons pas vivre comme si la totalité du réel se réduisait à ce que nous sommes. Nous ne pouvons vivre que parce que Dieu nous donne la vie, parce qu’il nous relève de la mort et parce qu’il nous appelle à vivre en lui.

Frères et sœurs, que le renouvellement de notre profession de foi soit l’occasion de raviver en nous cette certitude : Dieu n’abandonne jamais l’humanité, il est toujours avec elle. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Homélies

Homélies