Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’obsèques de Mgr Pierre Gervaise à St Thomas d’Aquin
Jeudi 15 mai 2014 - St Thomas d’Aquin (Paris VII)
En se présentant comme étant lui-même la porte des brebis, Jésus apparaît dans son rôle de médiateur : celui par qui les hommes peuvent accéder et recevoir la vie. Par le sacrement de l’ordre, les prêtres ont la garantie sacramentelle qu’à travers leur ministère, c’est vraiment Dieu qui agit. Mgr Pierre Gervaise a été associé à cette mission ; il a exercé ce ministère de médiation au service de la vie du monde. Nous en rendons grâce.
Mot d’accueil du cardinal André Vingt-Trois
Frères et Sœurs, nous sommes rassemblés aujourd’hui dans cette église Saint Thomas d’Aquin afin d’accompagner Mgr Pierre Gervaise pour ce dernier passage, en lui rendant hommage, en rendant grâce pour ce qu’il a vécu comme prêtre et aussi pour nous réconforter les uns les autres, selon la manière dont nous l’avons connu, nous qui avons pu apprécier la qualité de sa vie personnelle et de son ministère. L’archevêque de Paris ne peut pas oublier les services importants qu’il a rendus dans le diocèse, qu’il s’agisse de son rôle d’éducateur durant la première partie de son ministère puis au service de la catéchèse, comme vicaire épiscopal du cardinal Marty, et enfin comme vicaire général pour les Orientaux qui n’ont pas d’Ordinaire en France. Je vois que beaucoup de prêtres sont venus aujourd’hui pour l’accompagner dans cette dernière démarche. Je voudrais aussi évoquer les deux grandes paroisses dont il a été curé, Saint François-Xavier et Saint Pierre de Montrouge. Je me permets d’ajouter, non pas comme archevêque de Paris mais à titre personnel, qu’il y a 60 ans, alors que j’étais jeune collégien, Pierre Gervaise a été l’une des figures sacerdotales à travers lesquelles j’ai appris à découvrir mon chemin de vie chrétienne. Je lui en suis très reconnaissant.
Pierre Gervaise était d’abord un chrétien. Baptisé dans le Christ, il a reçu la lumière de la foi et il a gardé cette lumière tout au long de sa vie. Nous allons évoquer cette lumière en allumant les cierges qui sont de part et d’autre de son cercueil.
Chrétien, Pierre Gervaise est devenu un prêtre de l’Église. En posant sur son cercueil l’aube et l’étole, nous évoquons le ministère qu’il a accompli au service du peuple de Dieu : « Seigneur regarde avec miséricorde ton serviteur, il a porté ce vêtement, signe de vie et de joie dans ton amitié. Il a porté l’étole parce qu’il rassemblait les hommes pour partager ton pain et ta parole. Il se présente devant toi aujourd’hui délivré du péché, avec le vêtement de fête de tes amis. »
Homélie du cardinal André Vingt-Trois
– Rm 5, 6-11 ; Ps 15 ; Jn 10, 1-10
Frères et sœurs,
Ce passage de l’évangile de saint Jean que nous avons déjà entendu et médité dimanche dernier, et qui nous est proposé à nouveau dans le souvenir de la proclamation que Pierre en avait fait au cours de l’eucharistie, dévoile à nos yeux l’objectif de la mission de Jésus. Il est venu « pour que les hommes aient la vie et pour qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10, 10). Mais cette mission de Jésus s’accomplit dans la mesure où lui-même est la porte, c’est-à-dire le passage, celui par qui la vie nous rejoint et celui par qui nous sommes appelés à entrer dans la communion de Dieu. Nous discernons ainsi la double dimension de la mission du Christ d’être au service de la vie des hommes et d’être l’intermédiaire, le médiateur par lequel les hommes peuvent accéder à la vie et par lequel ils peuvent recevoir cette vie.
Dans la compréhension du rôle de la médiation, il y a plusieurs interprétations possibles. Il peut y avoir une vision négative de la médiation, celle qui empêche de passer ; ce serait, dans le cas de l’image de la porte que choisit Jésus, une porte close. Et puis il y a une vision positive, celle qui permet de passer, c’est-à-dire la porte ouverte. Et le Christ se présente comme celui qui ouvre la porte sur le chemin de la vie. Vous avez sans doute présent à la mémoire ce verset du Livre des Actes des apôtres où les apôtres s’émerveillent de voir que Dieu ouvre aux païens la porte de la foi. Mais dans cette médiation, il y a toujours une question qui est plus ou moins formulée, plus ou moins expliquée, et qui demeure toujours : la médiation est-elle fiable ? Il y a beaucoup de gens qui se présentent comme les intermédiaires obligés pour nous permettre d’arriver au but. De ces intermédiaires très dévoués et généreux, on s’aperçoit souvent au bout du compte que leur médiation a coûté plus cher que le résultat obtenu... Ce sont ceux que Jésus désigne comme des voleurs et des bandits. Ils sont les acteurs d’une médiation fausse. Et la grande question à laquelle nous sommes confrontés dans notre existence humaine est de savoir ce qui nous garantit l’authenticité de la médiation. Qu’est-ce qui fait que nous pouvons croire que le médiation ouvre vraiment la porte sur le chemin de Dieu, ou bien au contraire qu’elle est une sorte d’échappatoire pour nous entraîner vers la mort ? C’est la mission du Christ d’être la porte, ou, comme Jésus le dira dans un autre passage de l’évangile de saint Jean, du même chapitre, d’être « le vrai berger » (Jn 10, 11), c’est-à-dire non pas un berger illégitime, illicite, mais un berger authentique.
Dans la tradition de notre Église, cette mission de médiation au service de la vie du peuple de Dieu n’est pas garantie simplement par des cautions morales. On ne fait pas confiance aux intermédiaires parce qu’ils se conduisent mieux que les autres, ou parce qu’ils sont plus intelligents. On leur fait confiance parce qu’ils ont la garantie sacramentelle, c’est-à-dire que ce qu’ils font, ce n’est pas simplement eux qui le font. Ce qu’ils disent, ce n’est pas simplement eux qui le disent. Mais à travers ce qu’ils font et ce qu’ils disent, c’est Dieu lui-même qui agit. C’est ce qu’on appelle le ministère apostolique. Ce que Jésus a voulu mettre en place pour le moment où il ne serait plus là, c’est une garantie que ceux qui agiraient en son nom seraient légitimes.
Pour donner la vie au monde, Jésus a donné sa propre vie. C’est en donnant sa vie qu’il donne la vie au monde. Et s’il nous demande de prendre le même chemin que lui, pour être des vrais bergers, des berges légitimes, il attend aussi de nous que nous donnions notre vie pour ce ministère. C’est pourquoi, malgré toutes nos faiblesses, malgré les erreurs, malgré les fautes qui peuvent être commises, le ministère pastoral dans l’Église est garanti par l’autorité du Christ lui-même : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et qui vous ai envoyés pour que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). Si nous n’avions pas cette garantie du choix de Dieu, nous serions bien présomptueux d’accepter le rôle de pasteur et d’intermédiaire car nous serions de faux pasteurs, de mauvais pasteurs.
Au moment où nous rendons grâce pour le ministère et la vie du Père Pierre Gervaise, qui a exercé ce ministère de médiateur, de pasteur, au service de la vie du monde, nous rendons grâce pour la disponibilité, la générosité, la simplicité, la pauvreté, avec lesquelles il a reçu cette mission, et avec lesquelles il les a exercées dans la paix, parce qu’il savait qu’il ne s’agissait pas de son œuvre, mais de l’œuvre de Dieu.
C’est pourquoi nous sommes dans la joie en rendant grâce pour cette belle vie sacerdotale, nous sommes dans la consolation en croyant que Dieu accueille son serviteur, nous sommes dans la fraternité en nous aidant les uns les autres à vivre ce moment. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.