Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Ignace à Rome, avec les pèlerins parisiens venus à l’occasion de la canonisation des Papes Jean XXIII et Jean Paul II. – 2e Dimanche de Pâques – Année A – Dimanche de la Miséricorde
Samedi 26 avril 2014 - ROME - Eglise St Ignace
Le don de l’Esprit est source de réconciliation et de paix. Jean XXIII et Jean-Paul II ont été des acteurs de la force de Dieu qui agit dans le monde pour le sauver et le libérer. Leur canonisation nous rappelle qu’à notre tour, nous sommes appelés à poser sur le monde une vision croyante : Dieu domine l’histoire des hommes.
– Ac 2, 12-47 ; Ps 117, 1.4.13-14.19.21-25 ; 1 P 1.3-9 ; Jn 20, 19-31
Frères et Sœurs,
L’Esprit Saint que Jésus a donné à ses disciples pour qu’ils deviennent les ministres de la Miséricorde de Dieu et qu’ils pardonnent aux hommes leurs péchés, cet Esprit Saint est celui qui met dans la bouche du Christ la bénédiction de la paix. Bien sûr on peut comprendre que la formule « la paix soit avec vous » (Jn 20, 19) soit simplement une salutation habituelle, mais plus profondément, on peut comprendre aussi que c’est la promesse du Christ que ceux qui vont recevoir le don de l’Esprit seront réconciliés avec Dieu et qu’ils connaîtront la paix, la paix entre eux. Nous le voyons dans la première communauté chrétienne telle qu’elle nous est décrite par les Actes des Apôtres : les croyants partageaient tout et mettaient tout en commun. Il s’agit aussi de la paix avec le monde dans la mesure où ils savent que la puissance du Christ est plus forte que le mal dans le monde, et qu’ils n’ont donc pas à vivre leur relation au monde dans la crainte et l’agressivité mais dans la confiance et la sérénité. Et enfin la paix avec eux-mêmes parce que s’ils savent qu’ils ont quelque chose à se reprocher, ils croient aussi que Dieu est plus grand que leur cœur et que l’amour de Dieu déborde de toute façon le règlement simplement moral de l’existence pour toucher à la profondeur du cœur et mettre une espérance nouvelle en nous.
Les deux papes dont nous allons célébrer demain la canonisation, ne sont pas saints parce qu’ils étaient papes, heureusement ! Cela nous laisse quelques espérances : il n’est pas nécessaire d’être pape pour être saint ! D’ailleurs, le petit nombre de papes qui ont été canonisés montre que c’est peut-être plus difficile d’être saint quand on est pape ! Mais en tout cas, Jean XXIII et Jean-Paul II qui vont être canonisés demain, chacun dans la différence de leur personnalité, ont été des messagers de cette miséricorde et de cette paix. La figure de Jean XXIII au moment où il est élu à la succession de Pie XII apporte une image de bonté et d’accueil. On peut imaginer, mais il l’a lui-même exprimé à plusieurs reprises, que cette attitude de bienveillance, de bonté et d’accueil n’est pas simplement un trait de caractère ou une composante de sa personnalité, mais que c’est en lui vraiment l’exercice de l’amour de Dieu qui lui permet de regarder les autres et le monde avec un regard de foi, d’espérance et d’amour. Rien, et en tout cas rien dans la vie de Jean XXIII avant qu’il ne soit pape, ne permet de croire que tout va s’arranger dans le monde. Il a été suffisamment longtemps représentant du Saint-Siège en différents pays pour avoir eu l’occasion de mesurer à quel point la violence et la haine pouvaient déchirer le cœur des hommes. Il a suffisamment vécu pour savoir de quoi l’humanité est capable. Le signe de foi qu’il donne à travers son attitude n’est pas l’inconscience ou la naïveté, mais c’est profondément la certitude que Dieu peut renouveler le monde, que Dieu peut transformer le cœur des hommes, que Dieu peut mettre l’amour là où est la haine. C’est avec cette conviction qu’il aborde sa mission dans ses relations avec les différentes personnalités qu’il est amené à rencontrer, toujours dans l’espérance que la confiance en Dieu peut faire surgir quelque chose de bon du cœur de l’homme, que la confiance en Dieu mise en pratique dans l’attitude qu’il adopte dans ses relations, peut réveiller au cœur de l’homme des sentiments de sympathie, de solidarité, de respect qui ont été enfouis par l’histoire ou par les événements, et qui n’apparaissent plus. Pape dit « le bon », « Jean XXIII le bon pape », il est le pape de la confiance en Dieu, pape de la charité de Dieu manifestée à travers sa manière d’être et de voir les hommes. Cette confiance, cette espérance et cette charité vont se mettre en œuvre par la décision de convoquer le Concile Œcuménique Vatican II, en lui donnant parmi ses objectifs de jeter sur le monde un regard d’amour, de se placer devant les événements, devant les personnes, devant les situations, non pas comme quelqu’un qui est venu pour condamner le monde, mais « pour que le monde soit sauvé », pour reprendre l’expression de l’évangile de saint Jean. C’est ainsi que ce dynamisme de bienveillance, d’empathie, de bonté à l’égard du monde, va éclairer la réflexion des pères conciliaires et leur permettre de formuler un certain nombre d’objectifs pour la vie et la mission de l’Église. C’est d’ailleurs aussi pourquoi le résultat de ce travail du Concile sera tellement difficile à accepter et à mettre en œuvre, parce qu’il s’appuie non pas sur les forces obscures de l’être humain, mais sur l’espérance du dynamisme de Dieu à l’œuvre dans sa création.
Le Pape Jean-Paul II, venant des pays de l’Est, après l’expérience double de la dictature nazie et de l’occupation soviétique, arrive à Rome comme un témoin de la foi. Tout au long de ces années, de la Deuxième guerre mondiale à 1978 – au moment où il a été élu Pape - c’est-à-dire pendant près de trente ans, il a vécu sa vie de chrétien et de prêtre comme un combat et témoignage quotidiens contre les forces du mal qui cherchaient à réduire la liberté de l’homme et finalement à détruire l’humanité de l’homme. Cette expérience de foi, il l’a investie totalement dans son ministère pour l’Église universelle et il est devenu, pour tous les chrétiens à travers le monde, un signe vivant de la foi. C’est pourquoi, à travers son ministère, beaucoup de chrétiens ont repris courage, beaucoup de chrétiens qui peut-être doutaient que la foi et la vie de Dieu puissent transformer le monde, ont été touchés non seulement par le témoignage personnel de Jean-Paul II mais par les effets sociaux et politiques de sa foi. Nul ne doute aujourd’hui combien ont compté l’implication et l’engagement de Jean-Paul II dans le combat de Solidarnosc, ainsi que son implication et son engament dans les changements survenus en Europe de l’Est jusqu’à la chute du Mur de Berlin. Contrairement à la question que Staline se posait « le Pape, combien de divisions ? », Jean-Paul II qui n’avait rien, disposait d’une force que rien ne pouvait abattre et d’une conviction que rien ne pouvait ébranler : Dieu veut voir l’homme debout, libre et capable de conduire sa vie. C’est ce combat qu’il a mené pendant tout son pontificat, c’est ce combat aussi qu’il a voulu exprimer en faisant de ce deuxième dimanche de Pâques, le dimanche de la Miséricorde. Il avait la certitude que dans la vie humaine ni les erreurs, ni les fautes, ni les péchés ne peuvent subvertir la miséricorde de Dieu. Rien ne peut dépasser la puissance de la miséricorde, et c’est cette foi dans la miséricorde qui le conduit à appeler l’Église entière à une méditation sur le pardon au cours de ce deuxième dimanche de Pâques.
C’est donc un choix très providentiel que le Pape François a fait de canoniser ces deux papes en ce jour de la Miséricorde, un choix providentiel aussi parce qu’en canonisant simultanément Jean XXIII qui a été à l’initiative de l’ouverture du Concile Vatican II et Jean-Paul II qui en a été l’artisan le plus convaincu à travers sa mise en œuvre durant son pontificat, c’est aussi une manière de rappeler le sens et l’orientation fondamentale du Concile : appeler les chrétiens à se rassembler dans une vision de l’histoire du monde et de la réalité humaine qui n’est pas une vision optimiste ou pessimiste, mais qui est une vision croyante, c’est-à-dire fondée sur la conviction que tout ce qui survient concourt au plan de Dieu qui domine de toute façon l’histoire des hommes, de son origine à son terme.
Notre travail, notre conversion, notre engagement, ce n’est pas d’écraser les adversaires, c’est de correspondre à cette vision créatrice et rédemptrice de Dieu et d’investir toute notre capacité d’amour pour toucher le cœur des hommes et les aider à découvrir que le vrai bonheur n’est pas ce que l’on peut prendre mais ce que l’on peut donner.
Frères et sœurs, en ce jour où nous allons vivre intensément la communion universelle de l’Église, du mieux que nous pourrons, nous serons particulièrement attentifs à accueillir ce don de l’Esprit qui fait de nous aussi, aujourd’hui, des témoins de la miséricorde. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.