« Il y a urgence à créer du lien »
Paris Notre-Dame du 13 juillet 2023
Au lendemain des émeutes qui ont secoué la France à la suite de la mort de Nahel, le P. Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien et éducateur spécialisé, coordinateur du réseau Don Bosco Action sociale, nous partage son regard sur les événements, en rappelant l’importance de la médiation.
Paris Notre-Dame – Quel est votre regard – d’homme de foi et de terrain – sur les dernières émeutes ?
P. Jean-Marie Petitclerc – Il nous faut décoder la violence, qui est à la fois mode d’expression d’une colère, mode d’affirmation de soi (volonté de se faire reconnaître) et mode d’action, choisie par les pillards. On voit bien comment la réaction très émotionnelle à la mort d’un jeune a été, dans un deuxième temps, instrumentalisée. Je regrette vivement ce discours politique scindé en deux, avec, d’un côté, les partisans d’un laxisme irresponsable, et, de l’autre, ceux qui veulent juger ces jeunes, sans se mettre à l’écoute de cette colère qui a des racines profondes. Comme salésien, je choisis la voie montrée par Don Bosco, qui exhorte à concilier la bienveillance vis-à-vis des personnes et la fermeté vis-à-vis des actes. Cette bienveillance ne va pas sans un jugement des actes. Poser ces jeunes uniquement en victimes, c’est les déresponsabiliser, et donc renoncer à les faire grandir.
P. N.-D. – Diriez-vous qu’on fait face à un défaut d’éducation ?
J.-M. P. – Bien sûr, mais il ne se limite pas à la seule défaillance des parents, même si leur responsabilité est engagée. C’est plutôt la faillite de la génération des adultes, de l’école et d’une politique de la ville qui n’en est pas une : les actions dans les quartiers pour les quartiers n’ont en rien enrayé le phénomène de ghettoïsation. Au contraire, cela favorise une culture d’entre-pairs qui ne permet pas de se sentir appartenir au peuple de France. Ce qui favorise également la culture de l’entre-soi, c’est l’importance des réseaux sociaux. Les adolescents d’aujourd’hui ne quittent jamais la sphère des amis et répondent plus volontiers aux injonctions des réseaux qu’aux demandes de leurs parents ; le lien entre jeunes devient prioritaire sur le lien intergénérationnel et familial.
P. N.-D. – Quel peut être le rôle de l’Église ?
J.-M. P. – Le Christ nous dit : « accueillez les enfants », écoutez ce que disent les plus petits de nos sociétés. Les jeunes ont soif de reconnaissance. Saccager son propre quartier, ses propres infrastructures, c’est aussi exprimer une grande souffrance, une détestation de soi-même. Le rôle de l’Église, c’est de travailler à la reconnaissance de tous ces jeunes, de les considérer et les accueillir comme le Christ. Les choses ne seraient-elles pas différentes si on était capables de reconnaître en eux leurs talents, leurs dons, afin de les orienter vers une dynamique positive ? Il y a du bon dans chaque homme, c’est ce que rappelle Don Bosco, et ce que je crois fermement.
P. N.-D. – Vous qui avez œuvré toute votre vie à la médiation sociale, diriez-vous que nous vivons une rupture du dialogue ? Une médiation existe-t-elle toujours, mais à bas bruit ?
J.-M. P. – On pourrait s’interroger sur ce qui a permis un relatif retour au calme : le rôle de la police ? Bien sûr, en partie. Celui des dealers ? Peut-être, mais je ne crois pas à leur aura démesurée. La vérité, c’est que les médiateurs ont aussi joué leur rôle ; à la cité Pablo Picasso, ils ont fait un travail admirable. Ils ont permis de renouer le dialogue, d’apaiser, de ramener à la raison. C’est d’ailleurs la grande leçon des émeutes : s’appuyer sur les médiateurs – et je parle ici de professionnels – qui savent créer les conditions de dialogue et comprennent, à la fois, le langage des institutions et celui des jeunes. On gagnerait à mettre en lumière ce travail au service du lien, tant médiatiquement – enfin un message positif ! – que politiquement : combien de millions sont investis pour les bâtiments dans les quartiers, alors qu’on ne débloque jamais un tel budget pour la médiation ! Or il y a urgence à créer du lien, en témoignent les émeutes et la fracture observée dans certaines villes de province. Il nous faut réapprendre à vivre les uns avec les autres, et cela ne pourra pas se faire sans recourir à la médiation sociale.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud
Sommaire
Consulter ce numéro
Acheter ce numéro 1 € en ligne sur les applications iOs et Android