Interview de Mgr Laurent Ulrich par Paris Notre-Dame
Paris Notre-Dame – 25 mai 2023
Paris Notre-Dame du 25 mai 2023
Presqu’un an jour pour jour après son installation, le 23 mai 2022 à St-Sulpice, comme archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich revient sur cette première année écoulée tout en exposant, en perspective, ses joies et préoccupations pastorales.
Propos recueillis par Charlotte Reynaud.
Paris Notre-Dame – Dans cette première année, quels sont les événements particulièrement marquants qui vous ont permis de vous « installer » dans votre mission ?
Mgr Laurent Ulrich – Pour un évêque, vivre le temps du Carême, et tout particulièrement la Semaine sainte, dans son nouveau diocèse est très important. C’est là qu’il rencontre le peuple qui lui est confié, dans le cœur et l’expression de sa foi… Et j’ai vécu comme une grâce le fait de vivre ce premier Carême presqu’au terme d’une année comme archevêque de Paris. Plus précisément, je pense aux belles célébrations des appels décisifs des catéchumènes, adultes et adolescents, qui, dans les deux cas, ont été très nombreux. Célébrer la Semaine sainte a été source d’une grande joie. Je me souviens de l’acclamation des Rameaux sur le parvis de Notre-Dame, avec la communauté paroissiale de St-Louis-en-l’Île (4e), et cette procession avec un âne en plein cœur de Paris ; il y avait, dans cette démarche de piété populaire, une ferveur qui s’exprimait avec beaucoup de simplicité et de bonhomie – malgré une météo peu clémente –, et qui laissait percevoir quelque chose de la ferveur autour de Jésus. Trois jours plus tard, je célébrais la messe chrismale à St-Sulpice (6e), célébration durant laquelle j’ai toujours le sentiment que l’Église diocésaine – à petite échelle – est rassemblée là dans sa grande variété. En plus de ces grands moments liturgiques, j’ai également apprécié des rencontres en plus petit comité, notamment celles organisées avec les prêtres de Paris, comme les petits déjeuners ou les rencontres de doyenné. Une initiative que je souhaite poursuivre l’année prochaine, non plus cette fois pour faire connaissance mais pour maintenir ce temps de rencontre informel où la parole est libre et pour lequel la seule démarche est de s’inscrire. C’est un temps précieux pour maintenir une forme de proximité malgré l’ampleur du diocèse.
P. N.-D. – Lors de l’homélie de la messe chrismale, vous avez donné des axes pastoraux pour les mois à venir. En premier lieu, vous citez l’accompagnement des prêtres. Pouvez-vous nous en dire plus ? De quel constat partez-vous ?
L. U. – Je crois en effet que c’est le bon moment, quand l’Église diocésaine est rassemblée, de lui donner quelques axes de la vie chrétienne et ecclésiale pour les mois à venir. Concernant l’accompagnement des prêtres, le constat est double et un peu paradoxal : dès qu’on évoque avec des prêtres leur vocation, ils confient leur grande joie d’avoir embrassé le sacerdoce et ils le disent avec beaucoup de force et de spontanéité, témoignant d’une conviction très profonde chez eux. Et en même temps, dans ce monde en profonde transformation, ils ont parfois le sentiment de ne plus très bien savoir ce qu’il faut faire pour être un bon prêtre, ni sur quoi ils sont attendus. Bien sûr, ce n’est pas le cas pour tous, mais certains confient leurs interrogations à ce sujet. Quelques-uns, par exemple, partagent leur crainte, comme curé, de passer leur vie à gérer une entreprise ; pour d’autres, c’est le sentiment de parler dans le désert et de ne pas avoir d’écho ; pour d’autres encore, c’est l’inquiétude de ne pas être écoutés, pas simplement dans le cercle paroissial, mais dans le monde, la parole de l’Église n’ayant plus l’air de compter, ou étant récusée à cause de la faiblesse de notre témoignage ; pour d’autres enfin, c’est la difficulté à garder toutes les initiatives qu’on faisait jusqu’alors, alors que le nombre de prêtres et les vocations presbytérales sont en baisse : est-ce que ça vaut encore la peine de consacrer sa vie comme nous l’avons fait si personne n’est prêt à prendre la suite ? Parler d’accompagnement, c’est dire qu’on a vraiment besoin de permettre aux prêtres de développer toute leur potentialité et d’être confortés et accompagnés dans leur ministère ; mais c’est aussi être prêt à assumer avec eux leurs interrogations, qui sont légitimes, pour ne laisser personne dans une forme de solitude face aux doutes et aux difficultés.
P. N.-D. – Est-ce que ce rôle d’accompagnement incombe à l’archevêque ?
L. U. – Le rôle de l’archevêque, c’est de manifester sa sollicitude à l’égard des prêtres et de faire en sorte qu’une médiation s’exerce au bénéfice du plus grand nombre. Mais si ma porte reste ouverte aux prêtres, ou même aux diacres, je n’ai pas, matériellement et malheureusement, les moyens d’assurer cet accompagnement personnellement. J’ai besoin, pour ça, de collaborateurs. Et de m’appuyer, aussi, sur l’expérience du monde d’aujourd’hui en matière d’accompagnement mutuel et fraternel. Puisque nous évoquons le lien entre l’archevêque et ses prêtres, j’aimerais redire ma joie à l’idée de vivre ce pèlerinage de Lourdes (Hautes-Pyrénées) avec tous les prêtres de Paris, au mois de novembre prochain. Pendant cinq jours, du dimanche après-midi au jeudi soir, il faudra que les Parisiens se passent de leurs prêtres et qu’ils prient pour eux tandis que nous prierons pour les fidèles. Je crois qu’il se vivra là quelque chose de très fort et de très beau, et cette perspective de passer ces cinq jours avec eux me réjouit très profondément.
P. N.-D. – Vous évoquez aussi « le grand intérêt des visites pastorales ». Qu’avez-vous pu constater à ce sujet ? Qu’est-ce qui vous semble particulièrement pertinent dans cette formule ?
L. U. – J’ai participé, cet hiver, à une soirée de retour d’expériences des visites pastorales, telles qu’elles ont été lancées l’année dernière, c’est-à-dire se déroulant sur une semaine et menées par le vicaire général territorial accompagné de deux autres personnes extérieures à la paroisse (laïcs, religieux ou consacrés). J’ai pu percevoir plusieurs points très positifs. Premièrement, la visite en elle-même : non seulement elle rappelle que la paroisse n’est pas simplement une île dans la vie de l’Église, mais elle donne de l’importance à ce qui se vit dans cette paroisse. Un autre point important, c’est le fait d’être trois visiteurs : ce n’est pas une affaire de spécialistes ! À six yeux et six oreilles, on est attentif de façon multiple à ce qui se passe et on est rendu attentif à la vie de l’Église en allant chez les autres ; et, dans un cercle vertueux, les visiteurs regardent, à leur tour, leur propre paroisse avec d’autres yeux. Dernier point, et pas des moindres, ces visiteurs – à commencer par le vicaire général ! – rentrent tout joyeux, comme dans l’Évangile ! Voilà le signe d’un beau fruit pastoral.
P. N.-D. – Vous annoncez également une nouvelle catéchèse sur l’importance de la vie sacramentelle. Qu’est-ce qui motive cette volonté ?
L. U. – Pour nous, chrétiens, le sacrement est le mystère de la présence de Dieu au monde des hommes, qui se révèle à travers ce don qu’il fait ; don qui n’a pas été simplement donné une fois pour toutes autrefois, mais qui est renouvelé chaque jour pour le monde entier. À travers l’expérience sacramentelle se vit cette proximité de Dieu qui choisit des gestes et des moyens simples – l’eau, le pain, le vin, l’huile, la lumière et la Parole – pour nous manifester l’inouï du don qu’il nous fait. C’est une expérience unique, propre à la vie chrétienne. C’est un joyau extraordinaire, qui nous envoie de lui-même en mission. Je pense qu’on a besoin de redécouvrir cela, de prendre conscience de ce don gratuit qui nous est fait, et qu’on ne réduise pas les sacrements à une seule logique d’adhésion ou à une forme de nourriture portative pour chacun. J’ai donc confié à des théologiens la mission d’imaginer une catéchèse accessible et simple, dont les paroisses, chacune avec leurs aptitudes et leurs capacités, pourront se saisir l’année prochaine. Il ne s’agit pas de refaire une théologie, mais d’être en mesure de dire ce bonheur, de rendre compte de l’expérience sacramentelle.
P. N-D. – Plus douloureusement, vous appelez également à « sortir du silence au sujet des abus ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
L. U. – Avant d’être à Paris, j’ai été archevêque de Lille (Nord), et, avant cela, archevêque de Chambéry (Savoie) et évêque de Maurienne et de Tarentaise. Au cours de ces différents ministères, j’ai été amené à rencontrer des personnes victimes de prêtres ou de personnes œuvrant au sein de l’Église ; j’ai été profondément marqué par ces rencontres. J’ai écouté ces personnes et je ne les ai pas oubliées. Je veux qu’il soit clair que, lorsque des personnes se plaignent d’abus, elles aient le sentiment qu’on les a non seulement écoutées, mais qu’on a pris des mesures et que la personne impliquée a été sanctionnée. C’est la responsabilité de l’évêque et c’est mon intime conviction. C’est pour cela que nous avons déployé des moyens en ce sens, avec l’embauche, en septembre dernier, d’un délégué épiscopal chargé du suivi et de la prévention des abus et avec la création d’une cellule pour me conseiller, au cas par cas, dans la publication des sanctions canoniques.
P. N.-D. – Les lycéens étaient à Lourdes pour le Frat, et les étudiants et jeunes pros sont appelés à vivre les JMJ cet été. Que souhaitez-vous dire à cette jeunesse ?
L. U. – Si la vie de tous les jours d’un chrétien ne passe pas uniquement par ce genre de grands rassemblements, elle ne peut pas tout à fait s’en passer… En vérité, la vie chrétienne s’exerce à plusieurs niveaux. Le premier, c’est d’être inséré dans un petit groupe de chrétiens avec qui on peut prier, partager, échanger sur des choses profondes de la vie personnelle et partager l’Évangile. Un petit groupe, c’est fondamental pour la vie de foi ! Le deuxième niveau, c’est de rencontrer la communauté chrétienne dans une assemblée régulière, celle du dimanche par exemple, dans laquelle je ne rencontre pas seulement mes amis chrétiens mais aussi d’autres personnes que je ne connais pas ; je suis avec elles sur le chemin et j’ai besoin de cela. Le troisième niveau, extrêmement important aussi, c’est celui de l’engagement de chaque chrétien au service des autres. Enfin, le dernier niveau est l’approfondissement spirituel et théologique, y compris dans des moments de solitude comme des retraites… Et de temps en temps, nous sommes appelés à vivre des moments exceptionnels comme ces grands rassemblements, source d’une grande joie ! Le prochain qui s’adresse à tous, après les JMJ, c’est la venue du pape François à Marseille. J’y serai, et j’invite les Parisiens à se joindre nombreux à cet événement !
P. N.-D. – Concernant la cathédrale Notre-Dame, quelles sont les prochaines échéances vous concernant ?
L. U. – Je vais recevoir, dans quelques jours, les épreuves des cinq candidats retenus pour le mobilier liturgique et je me donne un mois de réflexion pour choisir le projet définitif. Ma préoccupation est que ce mobilier réponde à différents critères, c’est-à-dire qu’il puisse honorer la dimension symbolique propre à Notre-Dame et s’intégrer dans son héritage architectural, qu’il soit apte à la célébration des sacrements et de la prière et qu’il ait l’ambition de passer les époques… Pendant longtemps, on a continué à célébrer sur des autels du XVIIIe siècle. Ils ont bien affronté le temps ! Je ne veux pas d’un mobilier trop marqué dans son époque ; nous sommes, nous aussi, capables de proposer un mobilier d’aujourd’hui qui soit en mesure de passer les siècles !
P. N.-D. – Pour le mot de la fin, quels rendez-vous donnez-vous aux Parisiens ?
L. U. – Avant l’accueil du pape à Marseille, le 23 septembre prochain, je les invite à vivre un grand moment de joie de notre Église de Paris, à savoir l’ordination du samedi 24 juin, afin qu’ils viennent prier et entourer leurs nouveaux prêtres !
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