ISEO : Colloque du Jubilé – Nouveaux territoires de l’œcuménisme (J.C. Cochery)
Comme par le passé nous présentons un résumé du colloque annuel de l’ISEO. Cette année, à l’occasion des 50 ans de l’Institut, il a pris pour thème le présent et l’avenir.
Pour fêter les cinquante ans de sa création, l’Institut Supérieur d’Etudes Œcuméniques (ISEO) a choisi comme thème de son colloque annuel (13 au 15 mars 2018) les Nouveaux territoires de l’œcuménisme : déplacements depuis 50 ans et appels pour l’avenir. Les communications des différents intervenants auront largement justifié l’intitulé choisi ; ce cinquantenaire fut en effet l’occasion d’une rétrospective de l’histoire du mouvement œcuménique et de la création de l’ISEO au sein de l’Institut catholique de Paris (ICP), en partenariat avec l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge (ITO) et l’Institut protestant de théologie (IPT). Il a donné lieu à un examen prospectif de la situation présente et des nécessaires évolutions à mener pour faire face aux défis auxquels la démarche œcuménique est aujourd’hui confrontée. Le contexte a, en effet, profondément changé par rapport à 1967, année effective de la création de l’Institut. Enfin ce cinquantenaire fût également l’occasion d’une action de grâce commune au cours d’une célébration œcuménique particulièrement émouvante en l’église Saint-Joseph des Carmes.
Après l’accueil des participants par le doyen du Theologicum, Jean-Louis Souletie, Luc Forestier et Katherine Shirk Lucas, respectivement Directeur et Responsable des Études de l’ISEO, ont rappelé en introduction les quatre principes clés énoncés par ses Pères fondateurs dès sa création, sur lesquels l’ISEO devait s’appuyer pour mener à bien sa tâche :
• l’enracinement christologique de l’œcuménisme,
• le rapport entre théologie et vie chrétienne,
• la place de la prière,
• l’importance du témoignage
L’existence d’un lien intrinsèque entre théologie et pratique, de même qu’entre rigueur scientifique et réalité du terrain, avait en effet été clairement énoncée dès l’origine par les responsables de l’époque, Mgr Haubtmann et le Père Marie-Joseph Le Guillou, respectivement recteur de l’ICP et premier directeur de l’ISEO, le travail œcuménique ne constituant pas une fin en soi, mais étant une voie par laquelle devait être recherchée la communion des Églises.
Sur ces bases, cinq thèmes correspondant aux cinq demi-journées du colloque ont été retenus :
• les déplacements depuis 50 ans : les événements marquants,
• les Églises interpellées : les remises en question,
• les accélérateurs et freins du dialogue œcuménique : étude sans complaisance des attitudes des Églises,
• les nouveaux territoires du dialogue œcuménique,
• les appels pour l’avenir : bilan du colloque.
Nous allons donner un bref aperçu des thèmes abordés.
1 - Les déplacements depuis 50 ans
Chacune des trois grandes traditions, orthodoxe par la voix de Mgr Job de Telmessos, protestante par la voix d’André Birmelé, catholique par la voie d’Hervé Legrand, s’est attachée à présenter un bref bilan de son itinéraire œcuménique et des étapes marquantes de celui-ci, caractérisées par l’évolution de ses propres convictions en fonction des rencontres avec les autres traditions. Mais, au préalable, Jane Stranz, pasteure chargée des relations avec les autres Églises chrétiennes, retenant le symbole de l’eau constamment présent dans la Bible (eau baptismale, eau du lavement des pieds), a retracé l’histoire du mouvement œcuménique en ayant recours à la métaphore du fleuve qui s’écoule depuis sa source jusqu’au delta. Alimenté progressivement tout au long de son cours par des ruisseaux qui représentent les Églises qui ont rejoint successivement le mouvement et se sont réunies au sein du COE, le fleuve débouche sur un delta dans lequel nous nous situons aujourd’hui ; c’est un milieu fragile et fluctuant caractérisé par la difficulté de trouver un chemin d’unité qui ne peut être qu’une communion dans la diversité.
Nous retiendrons de cette histoire parmi les principaux points positifs soulevés par les intervenants : l’engagement des Églises de plus en plus nombreuses à s’impliquer dans le mouvement, la multiplicité des rencontres et des dialogues bilatéraux qu’elles ont suscitée, non seulement au niveau interconfessionnel mais aussi intra-confessionnel, les rapprochements auxquels ceux-ci ont plus ou moins conduit, leur complémentarité avec les dialogues multilatéraux de même qu’entre dialogues régionaux et internationaux ; le résultat de ces dialogues a permis une évolution des positions doctrinales de chacun des acteurs qui a conduit à la notion de consensus différencié, consistant à dissocier la doctrine de son expression verbale ; ceci a permis la signature de bon nombre d’accords, parmi lesquels on peut citer La Déclaration commune sur La Doctrine de la Justification entre l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale en 1999, à laquelle se sont ralliées depuis d’autres Églises.
Mais on ne doit pas non plus occulter les points de désaccord qui subsistent, comme le problème de l’uniatisme entre catholiques et orthodoxes, le différend sur le baptême qui demeure avec la Fédération baptiste, et surtout la question de l’ordination et des ministères qui, si celle-ci a pu être résolue avec leur interchangeabilité entre les grandes traditions issues de la Réforme, reste un point d’achoppement entre protestants et catholiques / orthodoxes, de même que la question de la succession apostolique et de la primauté de l’évêque de Rome.
Il semble, malgré cela, que la doctrine apparaisse aujourd’hui moins séparatrice que les questions éthiques, qui conduisent à des prises de position tranchées et différenciées. Paradoxalement sur ces questions, les positions entre traditions de confessions différentes peuvent être plus proches qu’entre les différents courants au sein d’une même confession.
2 - Les Églises interpellées
C’est précisément dans un tel contexte de recomposition auquel sont confrontées les Églises, notamment entre chrétiens évangéliques et catholiques, que s’inscrit la communication de Sébastien Fath, chercheur au CNRS, à propos d’un œcuménisme de la piété kérygmatique. Faisant suite aux avancées de la démarche œcuménique au niveau des théologiens et des institutions, et en même temps face au défi de la sécularisation et de la recrudescence des persécutions anti-chrétiennes, on observe un triple recentrage :
• sur le message dont la référence centrale est le kérygme chrétien porté par l’Evangile,
• sur les pratiques dans l’expérience partagée de la prière et de la lecture de la Bible comme lieu de mise en pratique de la foi,
• sur les espaces avec l’investissement de nouveaux territoires à travers lesquels s’exprime un témoignage évangélique et éthique commun ; les rassemblements à caractère ponctuel, les groupes musicaux, le cyberespace font partie de ces espaces qui réunissent les jeunes.
Un autre lieu d’interpellation des Églises provient de leur origine même, le Judaïsme, comme l’a si bien rappelé le Grand Rabin de France, Haïm Korsia, en citant la Déclaration conciliaire Nostra Aetate. N’importe quelle religion a besoin du face-à-face avec l’autre pour approfondir sa raison d’être, et le dialogue interreligieux en obligeant à reformuler à cause de l’autre ce qui paraît évident est source d’enrichissement ; ceci est d’autant plus vrai entre Juifs et Chrétiens dans la mesure où il y a une antériorité des premiers, les Juifs étant « nos pères dans la foi » selon le pape François.
Pour conclure sur ce thème, le Cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et les relations avec le judaïsme, a rappelé que l’Église catholique poursuit un dialogue œcuménique avec toutes les Églises chrétiennes, mais que celui-ci était de nature différente avec chacune d’elles, en fonction de l’origine des scissions passées. Il a dressé en une brève synthèse historique un tableau très clair de la position de l’Église catholique face aux différents issus des séparations passées qui subsistent entre elle et les autres familles chrétiennes : essentiellement sur la question christologique avec les Églises préchalcédoniennes, sur la question de la primauté et de la synodalité avec les Églises orthodoxes ayant conduit aux anathèmes réciproques de 1054, sur les questions ecclésiologiques et le rôle de l’évêque de Rome avec les Églises issues de la Réforme ; il a rappelé également que dans la mesure où les communautés catholique et orthodoxe étaient les plus proches doctrinalement, il leur appartenait d’établir en premier leur unité.
Mais aujourd’hui, l’Église catholique est engagée dans un quatrième type de dialogue, notamment avec les Églises pentecôtistes, qui, hors des questions dogmatiques, porte sur la façon d’appréhender le christianisme : ces Églises, en effet, avant de se concevoir comme telles, se présentent davantage comme des mouvements charismatiques. Se pose alors la question du but du mouvement œcuménique, c’est-à-dire de la compréhension du sens de l’unité recherchée : si pour les catholiques et les orthodoxes il s’agit de la recherche de l’unité visible fondée sur la pratique des sacrements, telle n’est pas la conception de ceux qui prônent une ecclésiologie différente, influencés par la réalité postmoderne qui érige le pluralisme en valeur s’opposant à une unité considérée comme néfaste ; mais la foi chrétienne n’est pas plurielle, et ne subsisterait pas sans l’expression de son unité, dont le meilleur témoignage est porté aujourd’hui par les martyrs victimes des persécutions. Dans ce contexte qui entraîne la nécessité d’une nouvelle réflexion sur le sens de l’œcuménisme, l’Église catholique maintient qu’il ne peut y avoir d’alternative à la recherche de l’unité hors des trois dimensions sur lesquelles est fondée la démarche œcuménique :
• la prière,
• la conversion intérieure avant d’exiger la conversion de l’autre,
• la mission
3 - Les accélérateurs et les freins du dialogue œcuménique
Nicolas Cernokrak doyen de l’ITO (Institut de Théologie Orthodoxe St-Serge) a présenté ce thème en mentionnant quatre voies d’accès au dialogue œcuménique qui peuvent se révéler à la fois comme frein mais aussi comme facteur d’accélération du dialogue œcuménique :
• la Bible,
• l’éthique,
• la vie sacramentelle,
• la vie en communauté.
C’est particulièrement le cas de la Bible, qui fut par le passé et encore aujourd’hui sous certains aspects (canon des Ecritures, traduction, lecture littérale/ herméneutique, statut Ecriture/Magistère) un sujet d’achoppement entre les Églises de confessions différentes, mais qui est devenue, surtout depuis Vatican II, un facteur de renouveau œcuménique et de rapprochement. Valérie Duval-Poujol, théologienne baptiste, et Christophe Raimbault, maître de conférences au Theologicum, ont développé successivement ce thème en montrant que la lecture de la Bible non plus individuelle, mais en commun (groupes de lecture interconfessionnels), et a fortiori son étude, constituaient des chemins d’unité : par son contenu, par le travail exégétique qu’elle suscite et la recherche d’une traduction commune, la Bible est, en effet, un lieu de rencontre et de débat entre les différentes Traditions chrétiennes, ayant grandement contribué au développement du dialogue œcuménique. La traduction œcuménique de la Bible (TOB) en est le fruit, de même que les résultats des recherches bibliques qui ont, en outre, bénéficié des retombées du dialogue judéo-chrétien. Mais chacune des Traditions doit faire face dans sa propre famille à ceux qui prônent une lecture fondamentaliste qui est un défi contre la foi elle-même.
Avec l’éthique, on aborde par ailleurs un sujet sociétal beaucoup moins consensuel, qui est également source de différents intra-confessionnels. Les questions éthiques sont devenues, en effet, aujourd’hui incontournables dans le débat entre chrétiens, primant même sur les questions dogmatiques. Philippe Girardet a évoqué un protestantisme multiple et divisé sur ces questions, en citant par exemple la fracture entre Églises historiques et évangéliques qu’a entrainée au sein du protestantisme la possibilité de bénir les couples homosexuels ; par contrecoup on assiste à un rapprochement entre catholiques et évangéliques sur ce sujet. Il en est de même sur les questions de bioéthique et de fin de vie, peut-être encore plus clivantes, par rapport auxquelles chacun des croyants développe une vision personnelle qui peut être en contradiction avec la position officielle de sa propre Église. Nicolas Kazarian, pour les orthodoxes, a précisé que le débat sur les questions éthiques qui touche à la nature même de l’homme est intrinsèque au christianisme, en tant que religion incarnée : il doit être pensé en termes de salut de l’humanité récapitulé par le Christ sur la croix, et donc par rapport à la nature humaine incarnée par le Christ ; celle-ci définit une anthropologie qui, au-delà du religieux, a une dimension sociale et politique (comme par exemple la défense du modèle traditionnel de la famille en tant que projet politique). Pour Philippe Girardet le grand défi pour le christianisme réside dans la possibilité ou non de s’exprimer d’une seule voix dans une société déchristianisée, ce qui pose pour Nicolas Kazarian la double question des recompositions au sein du dialogue œcuménique et des possibilités de témoigner ensemble.
La vie sacramentelle, voie de communion avec Dieu et avec les frères et sœurs, se manifeste dans la liturgie et en premier lieu dans l’eucharistie. André Lossky, professeur à l’ITO Saint-Serge, a particulièrement souligné la dimension sacramentelle de la Parole de Dieu proclamée dans la liturgie et son lien avec l’eucharistie qui manifeste également la dimension communautaire de cette Parole ; l’eucharistie est en effet une union à Dieu inséparable de l’union avec les autres hommes. Pour Isaïa Gazzola, professeur à l’ISEO, il s’agit de rechercher comment donner une visibilité œcuménique aux actes de la liturgie pour exprimer tout ce qu’ils sont sensés être, tel que défini notamment dans la constitution de Sacra Liturgia du concile Vatican II, à savoir la poursuite dans le temps de l’œuvre de salut accomplie par le Christ ; il a souligné le lien entre l’Église et la liturgie, non seulement par laquelle elle se manifeste, mais aussi dans laquelle elle s’édifie pour s’ouvrir à tous ceux qui n’en font pas partie. La liturgie doit donc donner à voir la dimension historique de l’avènement de JC, sa dimension salvifique révélée dans le mystère pascal dont il est fait mémoire dans l’eucharistie, et aussi sa dimension communautaire dans l’Église rassemblée pour la célébrer. Les sacrements pratiqués au sein de chaque communauté doivent être vécus en communion avec les autres communautés chrétiennes.
C’est précisément enfin l’expérience pratique d’un partage total du vécu, que permet la vie en communauté comme signe œcuménique de réconciliation déjà donné : vivre ensemble pour témoigner ensemble. Anne-Cathy Graber, pasteure, et Frère Richard ont respectivement relaté les expériences des communautés du Chemin Neuf et de Taizé.
D’origine catholique, fondé en 1969 dans le cadre du renouveau charismatique, Le Chemin Neuf avait pour objet de rassembler des familles dont le désir était de partager leur quotidien et leurs biens au sein d’une communauté chrétienne, hors de toute congrégation religieuse. Ayant pris conscience qu’il n’y avait pas à attendre l’unité doctrinale pour faire l’expérience œcuménique d’une vie communautaire, Le Chemin Neuf veut être un signe déjà donné de réconciliation entre chrétiens. Les principales orientations concrètes qui doivent animer les membres de la communauté portent sur la prière quotidienne pour l’unité des chrétiens, la visite de chacune des Églises chrétiennes de son environnement, en se présentant aux responsables respectifs de ces Églises, le travail en commun sur les textes en vue de la formation de chacun. Mais il est bien spécifié que la communauté n’a pas à s’ériger au-dessus des Églises et que chaque membre doit rester en communion avec sa propre Église ; cela peut avoir pour conséquence de freiner la démarche œcuménique, et d’entraîner des tensions entre membres d’Églises différentes qui toutefois peuvent s’avérer fécondes et doivent être vécues comme telles. Le chemin d’unité suppose d’éprouver la souffrance de la séparation.
La communauté de Taizé, quant à elle, répond à une autre expérience de vie communautaire œcuménique, dont l’amour fraternel est le préalable. Elle se vit comme microcosme de l’Église universelle, à l’image d’une cellule partie infime d’un corps, mais partie prenante d’un rapport organique avec toutes les autres cellules de ce corps qu’est l’Église. Comme pour le Chemin Neuf, il ne s’agit pas de prétendre réaliser l’unité, mais d’être un signe préalable de sa possibilité dans l’unité vécue, qui est un lieu de vérité ; il en coûte pour chacun des membres de perdre ses particularismes et de vivre l’œcuménisme comme une expérience douloureuse, mais qui simultanément peut apporter la sérénité et la joie dans la louange à Dieu.
4 - Les nouveaux territoires du dialogue œcuménique
Si les questions dogmatiques ont longtemps prévalu dans les débats œcuméniques, ce sont aujourd’hui davantage les pratiques et les questions comportementales et sociétales qui constituent ces nouveaux territoires de dialogue. Parmi eux figurent des sujets comme le rôle des femmes dans l’Église, particulièrement à propos de l’exercice de ministères, ou encore la coexistence avec les autres religions ; c’est ainsi que peuvent interférer dialogue œcuménique et dialogue interreligieux.
Goran Sekulovski, professeur à l’ITO Saint-Serge, a justement montré ce que ce dernier pouvait apporter au premier à propos du dialogue islamo-orthodoxe, tout en prenant soin de bien différencier la nature de ces deux types de dialogue. Les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes : dans un cas, c’est la recherche de l’unité qui s’impose comme impératif de la volonté du Seigneur, tout en acceptant la diversité pour autant qu’elle ne brise pas la communion entre chrétiens ; dans l’autre cas il ne peut s’agir de recherche d’unité, mais d’une reconnaissance mutuelle de la validité de la religion de l’autre et des valeurs humaines dont elle est détentrice, en vue d’une coexistence pacifiée. Ainsi entre chrétiens orthodoxes et musulmans on peut faire le double constat d’une méconnaissance mutuelle de la religion de l’autre, et du fait qu’il existe malgré des cultures différentes des valeurs communes issues d’une même civilisation. Un des buts du dialogue sera donc d’améliorer la vision que chacun a de l’autre dans un esprit d’autocritique de ses propres manquements par rapport à cet autre, chacun se reconnaissant porteur du même message d’un Dieu unique dans un monde dominé par le matérialisme. Cela exclut évidemment toute tentative d’imposer sa religion de même que toute recherche de synthèse entre les deux religions, qui n’aboutirait qu’à un syncrétisme effaçant les identités mutuelles de chacune ; mais cela permet aussi à chacune de ces religions se reconnaître comme non autosuffisante.
Par voie de conséquence, les principes mis en œuvre dans ce type de dialogue peuvent être transposés dans les dialogues œcuméniques, notamment par rapport à l’acceptation d’une coexistence, qu’elle soit interreligieuse ou interconfessionnelle, au respect de l’identité de chacun, et au nécessaire travail de conversion sur soi-même qu’il implique. Mais le dialogue interreligieux conduit également les chrétiens à se situer par rapport aux autres religions en mettant en avant ce qui les unit, laissant de côté leurs motifs de séparation.
Le ministère des femmes dans l’Église est un autre sujet devenu essentiel aujourd’hui, car il est apparu facteur de division non seulement interconfessionnel, mais aussi intra-confessionnel. Élisabeth Parmentier, professeur à la Faculté de théologie protestante de Genève, a rappelé l’historique du débat sur le sujet au sein du Conseil Œcuménique des Églises (COE), et la position pas toujours univoque des différentes Églises par rapport à l’ordination des femmes. En ce qui concerne notamment l’Église catholique et l’Église orthodoxe, les arguments principaux à la non-ordination des femmes au ministère ordonné sont :
• le choix du Christ pour ses disciples ne porte que sur des hommes,
• le prêtre représentant le Christ dans l’eucharistie ne peut être qu’un homme,
• la Tradition
• le risque de schisme au sein de ces Églises qu’entrainerait l’ordination des femmes.
Toutefois, l’Église orthodoxe admet l’ordination des femmes au diaconat, et dans l’Église catholique les femmes exercent aujourd’hui de nombreuses fonctions.
La position de ceux qui défendent l’accès des femmes au ministère, Églises issues de la Réforme notamment, repose sur des arguments à la fois bibliques (la vocation baptismale du peuple de Dieu ne fait pas de différence entre les hommes et les femmes), d’ordre naturel et liés aux réalités contemporaines (rôle de la femme dans la société aujourd’hui, absence d’hommes pour exercer le ministère) ; il y a aussi la critique du recours à la Tradition qui selon eux n’est qu’une tradition relevant de l’usage temporel et non de la Tradition originelle de l’Église ; il faut donc relativiser la question de l’ordination des femmes par rapport à l’acceptation ou non d’un changement du visage de l’Église qui en résulterait au niveau des ministres du culte.
Pour conclure, Élisabeth Parmentier pose la question d’un possible recours à la méthode du consensus différencié pour permettre d’éventuels accords œcuméniques sur ce sujet.
Enfin Michel Sidibé, Secrétaire général adjoint des Nations Unies, a évoqué la situation des sociétés fragilisées, principalement en Afrique mais pas seulement, par les nombreux fléaux que constituent la drogue, l’alcool, le SIDA ou encore l’afflux de migrants. Pour y remédier, il y a tout un domaine d’action dans lequel les Églises peuvent collaborer au-delà de leurs différences, pour faire évoluer ces sociétés dont la stabilité est menacée par cette fragilité ; par exemple, par des prises de position communes sur le droit à la santé pour tous, le refus d’exclusion des drogués ou des malades du SIDA et la nécessaire prise en compte de leurs besoins en matière de soins, ou encore en agissant au niveau de l’éducation pour une meilleure prise en compte de ces problèmes par les familles.
5 - Appels pour l’avenir, bilan du Colloque
Le dernier thème abordé par le Colloque était destiné à ouvrir une réflexion sur le devenir de la démarche œcuménique et les nouvelles pistes à emprunter à partir d’expériences concrètes. Face aux différends, non seulement interconfessionnels mai aussi intra-confessionnels, tels ceux qui divisent les Églises anglicanes, comment progresser sur le chemin de l’unité malgré les blocages qu’ils suscitent ? Plusieurs réponses ont été apportées à cette question selon le contexte dans lequel elle se pose.
Pour la Communion anglicane précisément, Meurig Williams, archidiacre de l’Église d’Angleterre, a parlé de la Sagesse du Différend qui n’est autre que la reconnaissance du différend comme dimension nécessaire à la recherche de la Vérité. Dans la mesure où ces Églises n’ont pu trouver de consensus sur des sujets essentiels comme la présidence de l’eucharistie, le mariage homosexuel ou l’ordination des femmes, il s’agit d’en prendre acte, en tant que “bon désaccord“, comme élément d’un dialogue permanent jamais abouti ; celui-ci constitue en soi un processus de conciliarité qui implique une attention de chacun des membres aux vues des autres. Un tel processus est propre à la nature multidimensionnelle de l’Anglicanisme qui a façonné des communautés distinctes qui ont divergé sur différentes voies en fonction du contexte dans lequel elles se sont développées ; il traduit une “complexité d’appartenance“ à une histoire commune. L’image d’une polyphonie, qui permet à des voix distinctes et indépendantes de tisser une harmonie générale, rend compte de cette appartenance complexe au Corps du Christ qui fait entendre ses résonances et ses dissonances à travers un chant commun.
Dans un autre contexte, celui de l’après-colonisation, Jean-Claude Girondin, directeur Agapé France, a traité des Chemins de Vie que doivent mettre en œuvre les Églises auprès des populations ayant été soumises à la domination coloniale. La mission des Églises dans ce monde blessé est essentiellement d’ordre prophétique ; tout en continuant à dénoncer toute tentative colonialiste toujours présente, elles ont à écouter les pauvres et à rappeler la Loi de Dieu, en aidant ces populations à faire Mémoire ; elles doivent porter un message de réconciliation, tout en étant elles-mêmes agent et signe de réconciliation.
Enfin, c’est un Œcuménisme en train de se faire que Gilles Routhier, doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Laval, a présenté : à l’œcuménisme porté par les institutions se substitue aujourd’hui un œcuménisme de terrain porté par des acteurs sociaux économiques qui ont à résoudre des problèmes concrets dans des situations de crise (pénurie de prêtres, nécessités organisationnelles, demandes des autorités publiques, etc…). Il a relaté les expériences menées au Canada dans trois secteurs : Les Forces armées, les hôpitaux, les prisons. L’analyse de la situation dans chacun de ces secteurs révèle des motivations à la fois spécifiques à chacun d’eux et communes aux trois, dans le développement de pratiques dont le caractère œcuménique n’est pas dicté par un préambule théologique. La solidarité et l’amitié entre les représentants des différents cultes qui agissent dans ces trois domaines est un facteur important, qu’impose la nécessité de s’entendre et de se coordonner pour faire face à des problèmes communs engendrés par les diverses pénuries ou l’administration (optimisation des ressources et des espaces, par exemple, ou encore développement d’une compréhension et d’une formation commune de la fonction d’aumônier militaire).
En conclusion, il est difficile de traduire sous forme synthétique le bilan de ce colloque, tant les situations et les attentes des différents acteurs peuvent être diverses et variées, comme cela a été mis en évidence par les exposés de synthèse qu’ont tentés trois des étudiants de l’ISEO.
Toutefois, il revenait à Mgr Didier Berthet, président du Conseil des évêques de France pour l’unité des chrétiens et les relations avec le judaïsme, de conclure le colloque. Pour lui, ce colloque du cinquantenaire aura été particulièrement le lieu d’échanges profonds et fraternels, et au-delà du travail de réflexion qu’il aura engendré, il apparaît comme une véritable célébration liturgique au cours de laquelle le Christ était présent. Quelques expressions utilisées par les intervenants en ont marqué l’esprit, tel “le désir d’unité“ évoqué par Jane Stranz, ou “l’obligeance“ de nous penser en lien les uns aux autres et non pas en face les uns des autres ; c’est une “intériorité mutuelle“, selon une terminologie ecclésiologique de Vatican II, qui signifie que ce que vit l’autre je le vis également. Enfin, pour terminer, Mgr Berthet a résumé l’histoire des cinquante dernières années de l’œcuménisme en trois phases :
• la phase enthousiaste de l’immédiat après-Concile correspondant à la purification des mémoires et à un travail théologique fructueux
• la phase de raidissement à partir des années 80, au cours de laquelle les dialogues œcuméniques ont buté sur de véritables barrières séparatrices, et des replis identitaires,
• la phase actuelle qui correspond à des bouleversements majeurs au plan de la société et de la position d’Églises traditionnelles par rapport à celle-ci, et face à un christianisme évangélique et pentecôtiste en pleine expansion.
Cette situation place nos Églises dans une situation de “minorités confessantes“ qui les oblige à témoigner ensemble. Il est très important de ne pas dissocier la doctrine de la spiritualité et de la vie de témoignage.
Jean-Claude Cochery (mai 2018)