L’Abbé Pierre, l’homme derrière l’icône
Paris Notre-Dame du 2 novembre 2023
Sa vie entière n’avait jusqu’alors jamais été portée à l’écran. Et pourtant, quel romanesque ! C’est ce que montre, avec justesse et émotion, le dernier film de Frédéric Tellier, L’Abbé Pierre, une vie de combats. Un biopic qui réussit la prouesse d’humaniser une icône dont le message résonne encore aujourd’hui dans les cœurs des Français et les rues de Paris.
Le visage est connu de tous. Larges lunettes cerclées de métal, regard rieur sur le côté, barbe taillée en pointe. La voix aussi. Forte, passionnée, presque chuintante par l’intensité de l’émotion, elle a tant fait grésillé les transistors les soirs d’hiver. Mais l’homme ? Cet homme qui se cachait derrière l’icône populaire Abbé Pierre, qui était-il ? Qu’est-ce qui habitait le cœur de ce prêtre aimé de toute la France, quelle était son histoire, ses doutes, ses soutiens ? C’est la question qu’a voulu creuser le réalisateur Frédéric Tellier (connu notamment pour Sauver ou périr ou encore Goliath) avec son dernier film L’Abbé Pierre, une vie de combats, dans les salles le 8 novembre. Né d’une rencontre marquante avec la Fondation Abbé Pierre, il retrace la vie d’adulte d’Henri Grouès, ce capucin lyonnais issu d’une famille bourgeoise qui décide, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, d’ouvrir une maison qui deviendra l’abri de ceux qui n’ont plus rien. Emmaüs. Parce que « perdre espoir, c’est être comme ces deux disciples sur la route d’Emmaüs pas foutus de reconnaître le Christ ». Emmaüs. Parce que cette maison aidera et permettra de « retrouver l’espoir et le courage ».
Découverte d’une relation humaine fondatrice
On y (re)découvre ses débuts chez les capucins, son départ forcé dû à une santé fragile, son implication au sein de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, l’édification d’Emmaüs, et puis son mandat de député de Meurthe-et-Moselle, ses nombreux, et vibrants, appels à la solidarité… jusqu’à une relation fondatrice, et pourtant si peu connue, avec Lucie Coutaz – jouée par Emmanuelle Bercot, très juste dans ce rôle – jeune femme très active elle-aussi au sein de la Résistance. Premier soutien – elle donna le nom « Abbé Pierre » à Henri Grouès pendant la Résistance – cheville ouvrière de l’œuvre, c’est elle, qui, dans l’ombre, fit beaucoup et qui modéra l’homme au tempérament trempé en l’accompagnant jusqu’à sa propre mort. Cette relation amicale et fraternelle occupe une grande partie de l’écran, et permet, à Frédéric Tellier, d’être fidèle à sa volonté initiale. Car c’est en voyant l’Abbé Pierre en relation qu’on comprend l’homme, qu’on décèle ses forces, ses faiblesses, les limites de ses qualités et de son tempérament. Incarné par un Benjamin Lavernhe éblouissant par la minutie et la précision de son jeu, l’Abbé Pierre apparait en creux et en force, dévêtu de toute idéalisation.
Ce biais du film est une jolie réussite. Il n’entache en rien le prêtre, ni l’œuvre. Au contraire, il l’humanise et le remet à sa juste place, à sa place d’homme qui fait son possible avec ce qu’il est pour répondre à l’appel pressant qui pousse en son for intérieur. Même si l’on peut regretter l’absence d’un volet spirituel davantage développé, L’Abbé Pierre, une vie de combats est un film (bien produit et réalisé) qui illumine cet automne et offre une grande respiration au sein du temps troublé que traverse l’Église.
Isabelle Demangeat @LaZaab
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