La « réalité laïque » de l’Allemagne de l’Est, un nouveau défi à la tradition de la Réforme
L’Allemagne de l’Est est le cœur de la Réforme protestante de Martin Luther, mais elle est aujourd’hui l’une des régions les plus sécularisées au monde, a déclaré la sociologue allemande Monika Wohlrab-Sahr. D’après une étude de 2012, Beliefs about God across Time and Countries (Croyances au sujet de Dieu à travers le temps et les pays), 52% des personnes en Allemagne de l’Est ont déclaré ne pas croire en Dieu – pourcentage le plus élevé de tous les territoires interrogés – contre 18% en Grande-Bretagne et 10% dans l’Ouest de l’Allemagne
L’Allemagne de l’Est est le cœur de la Réforme protestante de Martin Luther, mais elle est aujourd’hui l’une des régions les plus sécularisées au monde, a déclaré la sociologue allemande Monika Wohlrab-Sahr.
« Les Allemands de l’Est ont tendance à être des laïcs tenaces », a-t-elle expliqué au cours d’une présentation, lors d’une récente consultation internationale sur « Réforme – Éducation – Transformation », tenue du 18 au 22 mai à Halle, à environ 180 kilomètres au sud-ouest de Berlin.
« Il faut prendre au sérieux cet état d’esprit laïc », a poursuivi Mme Wohlrab-Sahr, qui enseigne la sociologie culturelle à l’Université de Leipzig.
Halle elle-même est au centre d’une région qui a une riche tradition de la Réforme. À environ une heure de route se trouve Wittenberg, la ville où, le 31 octobre 1517, Luther a affiché ses célèbres 95 thèses dénonçant les abus de l’Église. Plus proche encore se trouve la ville d’Eisleben, où Luther est né en 1483 et où il est décédé en 1546.
À proximité se trouve également la ville de Leipzig, où Luther a défendu ses idées dans une controverse théologique célèbre, en 1519, et où, deux siècles plus tard, le compositeur Jean-Sébastien Bach était organiste et chantre à l’église luthérienne Saint-Thomas.
Et pourtant, la région est aujourd’hui l’une des plus irréligieuses au monde, a noté Mme Wohlrab-Sahr.
D’après une étude de 2012, Beliefs about God across Time and Countries (Croyances au sujet de Dieu à travers le temps et les pays), 52% des personnes en Allemagne de l’Est ont déclaré ne pas croire en Dieu – pourcentage le plus élevé de tous les territoires interrogés – contre 18% en Grande-Bretagne et 10% dans l’Ouest de l’Allemagne.
Mme Wohlrab-Sahr a souligné que la période du régime communiste, 1949-1989, est un facteur majeur de la laïcisation profonde de l’Allemagne de l’Est. Les autorités encourageaient systématiquement une « vision scientifique du monde », athée, et ont cherché à marginaliser l’influence des Églises.
Toutefois, la région fortement industrialisée de l’Allemagne de l’Est, autour de Halle et Leipzig, a aussi été un bastion des vues socialistes laïques dès le XIXe siècle, a-t-elle observé.
Le baptême et la confirmation sont beaucoup moins populaires dans l’Est que dans l’Ouest de l’Allemagne. En contrepartie, de nombreux jeunes dans l’Est participent à un service de dévouement de la jeunesse laïque appelé Jugendweihe, développé pendant la période communiste comme une alternative à la confirmation, et qui a survécu à la fin du communisme.
En outre, le nombre d’inhumations laïques s’accroît, a noté Monika Wohlrab-Sahr, avec 45% des Allemands de l’Est qui optent pour une « sépulture anonyme » où rien n’évoque le souvenir de la personne décédée.
« L’inhumation anonyme est devenue un rituel laïc qui rivalise avec succès avec le plus solide bastion des Églises, l’enterrement chrétien », a-t-elle poursuivi.
C’est une image qui contraste fortement avec la période de la révolution pacifique de 1989 de l’Allemagne de l’Est. Les Églises, en tant que principales institutions qui ne sont pas entièrement intégrées à l’appareil étatique, étaient pleines, car elles ouvraient leurs portes aux Allemands de l’Est qui désiraient un changement dans l’État sous domination communiste.
Pourtant, avec l’ouverture du mur de Berlin, puis l’unification allemande en 1990, les Églises n’étaient plus nécessaires à l’expression des frustrations accumulées, et l’ampleur de l’incroyance chez les Allemands de l’Est s’est alors fait jour.
« Les événements de 1990 ont été une énorme déception pour les Églises », a déclaré l’évêque Ilse Junkermann, de l’Église protestante d’Allemagne centrale, comprenant la région de Halle, pendant une table ronde lors de la consultation « Réforme – Éducation – Transformation ».
Aujourd’hui, a-t-elle expliqué, « nous sommes en train de devenir une Église complètement différente ».
Plusieurs commentateurs ont souligné que la population dans l’Est de Allemagne n’est pas toujours hostile au christianisme en tant que tel, ni même antipathique, mais simplement indifférente.
« L’irréligiosité est un héritage qui a été transmis sur plusieurs générations », a expliqué le professeur Michael Domsgen, théologien à l’Université Martin Luther de Halle.
Cependant, le diacre catholique Reinhard Feuersträter, aumônier de l’hôpital de Halle, a rapporté que des Églises de la région expérimentent une nouvelle « célébration pour un tournant dans la vie » pour les jeunes qui n’optent ni pour la confirmation ni pour Jugendweihe.
Cette année, plus de 650 jeunes ont participé à ces célébrations, « qui sont organisées de manière œcuménique, gloire à Dieu », a-t-il poursuivi.
Pourtant, il fallait trouver un nouveau langage pour toucher les jeunes. « Ce que je dis doit leur sembler crédible », a expliqué M. Feuersträter. « Avec ma langue d’Église, je ne suis tout simplement pas compris. »
Les participants à la consultation de Halle ont exprimé, dans une déclaration finale, qu’ils souhaitaient « apprendre de l’expérience de nos frères et sœurs de cette région qui cherchent à interpréter la tradition de la Réforme dans leur société actuelle ». Ces expériences pourraient apporter un éclairage pour d’autres régions où l’identification aux institutions religieuses diminue également.
D’après Daniel Cyranka, professeur de théologie interculturelle à l’Université de Halle, le manque de religiosité en Allemagne de l’Est doit être accepté comme étant le contexte dans lequel les Églises se trouvent aujourd’hui, plutôt que de le considérer comme anormal.
« Les Églises doivent identifier et assumer, dans un contexte social, des devoirs qui ne servent pas l’Église elle-même, mais les gens et la société, a noté M. Cyranka. Cela ne signifie pas qu’aux personnes irréligieuses soit imputée une religiosité réellement existante, mais plutôt qu’il faut communiquer avec les autres, même si cela implique de leur parler de manière religieuse. »
« Et cela peut être une expérience nouvelle, pour ceux qui parlent et ceux à qui l’on s’adresse, que ce soit par un avertissement prophétique, des encouragements ou même une bénédiction. »
La consultation sur « Réforme – Éducation – Transformation » était un projet commun de Pain pour le Monde, EMW, Faculdades EST de São Leopoldo, les Fondations Francke et l’Université Martin Luther de Halle-Wittenberg, en coopération avec le Conseil œcuménique des Églises, la Fédération luthérienne mondiale, la Communion mondiale d’Églises réformées, l’Église évangélique d’Allemagne et d’autres partenaires.
Version française publiée le 3 juin 2016
Par Stephen Brown *
* Stephen Brown est journaliste indépendant, auteur de plusieurs publications sur les Églises en Allemagne de l’Est.
Source : COE