Le piétisme comme réforme de la Réforme (Père Jérôme Bascoul)
Nous faisons l’hypothèse que le piétisme est une des sources du courant évangélique contemporain. Comme ils le reconnaissent, les évangéliques n’ont pas une grande culture historique de leur propre tradition ; d’ailleurs, ils ne se comprennent pas comme une tradition, mais comme l’Église authentique qui se perpétue à travers les siècles. Nous pouvons cependant repérer des sources spécifiques. Bien sûr, il y a les grands réformateurs, Luther et Calvin, et les évangéliques reprennent à leur compte les soli : sola scriptura, sola fide, sola gratia, solus Christus, mais ils puisent aussi chez les réformateurs des marges de la Réforme.
Nous faisons l’hypothèse que le piétisme est une des sources du courant évangélique contemporain. Comme ils le reconnaissent, les évangéliques n’ont pas une grande culture historique de leur propre tradition ; d’ailleurs, ils ne se comprennent pas comme une tradition, mais comme l’Église authentique qui se perpétue à travers les siècles. Nous pouvons cependant repérer des sources spécifiques. Bien sûr, il y a les grands réformateurs, Luther et Calvin, et les évangéliques reprennent à leur compte les soli : sola scriptura, sola fide, sola gratia, solus Christus, mais ils puisent aussi chez les réformateurs des marges de la Réforme.
Le primat de la grâce
Le protestantisme dans la diversité ne reniera pas cette primauté. La dispute de Luther avec Érasme sur le libre arbitre va être une ligne de fracture avec l’humanisme, Érasme considérant que l’homme peut disposer librement de sa volonté : « la raison a été obscurcie par le péché mais non pas effacée » [1] . Avec la prédestination luthérienne la condition humaine est réduite à un déterminisme absolu. C’est dans ce radicalisme qu’une objection sera portée par certains courants protestants et notamment le piétisme, sans vouloir revenir sur le principe.
La situation de chrétienté
L’adoption de la Réforme a des conséquences sociales, la religion étant dans l’État, il faut tracer les frontières et les réinterpréter. La doctrine luthérienne des deux règnes distingue donc le régime de la loi de celui de la grâce. La loi et sa mise en œuvre sont confiées à l’État, qui doit certes agir pour le bien, mais doit être respecté, même s’il n’agit pas selon la justice. Le régime de la grâce est mis en œuvre par la foi, reçue dans l’Église qui est la cause instrumentale. Le règne de la grâce n’interfère pas avec celui de la loi. Cette séparation radicale a deux conséquences fâcheuses, celle de rendre difficile l’intervention de l’Église pour promouvoir un ordre de justice et, sur le plan personnel, le risque d’une religion purement formelle, voire, avec la certitude de la prédestination au salut, une ignorance pratique des œuvres de la sanctification d’une vie chrétienne conséquente.
Les contestations dans le protestantisme
Il y a d’abord les anabaptistes du XVIe siècle, qui ne comptent que des baptisés professant une foi adulte et consciente, comme plus tard les non-conformistes anglais,ou puritains. Tous ces groupes insistent sur l’Église locale comme ayant en elle tous les moyens de salut et sa complète liberté par rapport au pouvoir politique. Les courants de la Réforme, marginale ou radicale, veulent sauvegarder leur indépendance par rapport au pouvoir des princes temporels, même après l’échec de la résistance armée, comme celle des anabaptistes, qui choisiront l’exil. Plus tard, en Angleterre, les puritains auront l’opportunité d’être au pouvoir pendant le Commonwealth de Cromwell (1649-1659) ; la restauration de la monarchie anglaise les forcera à trouver une nouvelle terre promise. Après la défaite de Thomas Müntzer à la bataille de Frankenhausen en 1525 et la dissolution du Commonwealth en 1660, une culture non violente et pacifiste s’impose dans ce courant. Du piétisme nous allons voir que l’évangélisme a pu prendre le caractère individualiste de la foi, mais aussi ce qui en est la cause, une réappropriation de la mystique, et, plus surprenant, un rééquilibrage du binôme foi et œuvres au profit du second terme.
Les dissidents du luthéranisme
La Réforme de l’Église est un thème aussi ancien que l’Église elle-même. Luther cristallise une évolution que l’on peut faire remonter au moins au XIVe siècle pour comprendre la Réforme du XVIe siècle. Un mystique comme Jean Tauler (1300-1361) ne dénonce pas moins bien que Luther les maux de l’Église, la moralité du clergé, sa sensibilité le pousse à une méditation sur la Passion du Christ sur fond de corruption complète de la nature humaine. Après Luther et les ruptures consommées le combat continue, mais c’est l’Église luthérienne qui est maintenant à réformer. Caspar Schwenckfeld (1489-1561), Sébastien Franck (1499-1542), Valentin Weigel (1533-1588), Paracelse (1493-1541) et Angelus Silésius (1624-1677), tous ont une approche mystique de la religion qui insiste sur la transformation intérieure, la naissance du Verbe en soi. Jakob Böhme (1575-1624) s’est nourri des précédents auteurs évoqués et influencera les grands philosophes idéalistes allemands comme Schopenhauer ou le Russe Nicolas Berdiaev. Böhme vit dans le contexte de la guerre de Trente Ans ; il est témoin de la Défenestration de Prague. Sa théosophie se heurtera à la censure des pasteurs, on lui reproche une attitude panthéiste ; en tout cas, Böhme est un penseur métaphysique, la révélation se décrypte aussi dans le livre de la nature. Nous ne retiendrons ici que sa critique de la prédestination : « si un homme est chrétien, il ne l’est pas par un certificat de grâce décerné de l’extérieur. Le péché n’est pas pardonné par le fait de prononcer un jour un mot de l’extérieur, à la manière dont un Seigneur de ce monde fait cadeau de la vie à un assassin par une grâce conférée de l’extérieur. Non, cela n’a pas de sens devant Dieu » [2] . La grâce est ouverte à tous et chacun peut la saisir par un itinéraire commun à tous les hommes ; à cet égard, Böhme va jusqu’à dénoncer l’idolâtrie de la lettre, qu’induit une certaine lecture de la sola scriptura. Pour illustrer encore le lien entre tous ces dissidents, nous évoquons encore la critique de la position luthérienne de la corruption radicale de la nature humaine par Weigel, qui repose sur la conviction que « toute science est en nous » [3] et cette science salutaire est mise en nous par Dieu lui-même ; la raison et la foi doivent se concilier, alors que Luther, pour couper court à la présomption de l’intelligence humaine, avait affirmé que « la raison était la putain du diable » ! Pour tous ces auteurs, leur dissidence tient en ce qu’ils ont été formellement exclus ou poursuivis par les pasteurs orthodoxes, investis d’un pouvoir de sanction. Si cette vague se marginalise dans l’Église établie, les piétistes, eux, veulent réformer l’Église de l’intérieur.
L’importance de la mystique
Luther s’est fait le pourfendeur de la scolastique, celle qu’il a connue, en particulier celle de Gabriel Biel, avec sa tendance nettement rationnelle et influencée par Guillaume d’Occam. De l’autre côté, il est aussi hostile à la mystique, même s’il en promeut une, celle de la joie du chrétien libéré. Pour lui la mystique avec la voie ascétique est une œuvre et, comme elle ne semble concerner qu’un petit nombre d’initiés, elle s’oppose à la proposition large de la prédication évangélique. Luther est l’héritier plus ou moins conscient de la devotio moderna, qui établit la vie spirituelle dans le siècle. Les maîtres spirituels dont la pensée s’est répandue par des opuscules dans la population bourgeoise, Maître Eckart (1260-1328), Jean Tauler (1300-1361), Henri Suso (1295-1366), en sont les témoins les plus éminents, mais la Theologia deutsch et L’imitation de Jésus-Christ, deux textes anonymes, connaîtront une diffusion large dans le monde réformé malgré leur origine catholique.
Subvertir Luther : les œuvres de la sanctification
Luther, à partir de sa lecture de l’épitre aux Romains, élabore la doctrine du primat absolu de l’initiative divine dans le don de la grâce, qui fait du pécheur un élu qui pourtant reste radicalement corrompu. Il voulait sauvegarder la gratuité de l’initiative divine et restaurer l’authentique liberté chrétienne. Mais, après lui, les chrétientés qui héritent de cette liberté retrouvée s’enfoncent dans le conformisme, quand ce n’est pas dans la complaisance et l’immoralité, puisque le salut ne dépend pas de nous mais du libre choix divin. Les initiateurs que nous allons rencontrer veulent rester fidèles à Luther, mais déplorent que l’Église luthérienne d’alors se contente du faible niveau moral de la chrétienté dont elle a la charge. La volonté de fidélité à la Réforme va amener nos auteurs à une infidélité à la doctrine de Luther dans le rapport entre la foi et les œuvres, car pour les piétistes la foi doit se traduire dans la vie, on ne peut se satisfaire d’un conformisme de façade. D’autre part, cette exigence de piété personnelle va tendre à une réhabilitation de la mystique dont Luther se méfiait ; les piétistes reprennent l’héritage de la devotio moderna et de L’imitation de Jésus-Christ. Cette proximité les rapproche des courants mystiques catholiques, même si l’Église catholique reste la Babylone dont la chute prochaine annoncera les prodromes de la parousie.
Un protestantisme missionnaire
Le mouvement piétiste inaugure aussi un élan missionnaire qui était largement ignoré dans la société luthérienne car celle-ci avait plutôt à résister à la volonté de certains Princes allemands de se rapprocher de la Réforme de Calvin, pour ne pas parler des initiatives de la Réforme catholique. Les piétistes sont soucieux d’étendre leur audience dans toutes les classes de la société encore largement féodale. Ils créent à cet effet des établissements d’éducation et des méthodes pédagogiques qui posent les fondements de l’éducation moderne.
Risquer une définition
Le piétisme est un mouvement spirituel qui promeut une religion vécue dans l’intériorité et la convivialité. L’institution la plus emblématique en est le petit groupe de volontaires, le Collegium pietatis, qui rassemble hommes et femmes sur un pied d’égalité sociale. Le nom de piétiste vient des défenseurs de l’orthodoxie luthérienne germanique. Les piétistes sont ainsi assimilés aux quakers ou aux mennonites et autres puritains, tous ces mouvements qui veulent appliquer la réforme de l’Église avec toute son exigence de pureté, dans les dimensions sociale et personnelle. Leurs adversaires les assimilent aux extrémistes que Luther appelait les illuminés, schwärmerei. Les piétistes ne sont cependant pas séparatistes au départ ; ils veulent seulement vivre leur foi au-delà du formalisme dans lequel s’est figée la Réforme, réformer la Réforme. Ils expriment une déception concernant les promesses de la réformation. La mainmise des Princes a succédé à celle de Rome, et l’intolérance religieuse luthérienne est tout aussi sévère que celle de l’Inquisition.
Les principales figures
Johann Arndt (1555-1621), pasteur et fils de pasteur mais aussi lecteur de Weigel, refuse de passer au calvinisme comme le voulait le prince d’Anhalt en 1590 : il restera un fonctionnaire loyal de l’Église luthérienne à qui on pourra confier des responsabilités synodales. « Le piétisme est l’art de corriger Luther en s’affirmant plus luthérien que lui. » [4] Il est l’auteur du traité d’édification morale et catéchétique pour adulte, Das wahre Christentum (Le Christianisme authentique) ; il se réfère à Luther, à la Deutsche theologie et à l’Imitation, dans une présentation harmonieuse d’où sont éliminées les contradictions. « La Passion du Christ est deux choses à la fois, d’une part le rachat de tous nos péchés et d’autre part le renouvellement de l’homme par la foi. Et tous deux constituent la renaissance de l’homme. » Le piétisme ne veut pas séparer la foi et les œuvres, et, pour ne pas tomber sous le coup de la censure, les auteurs se réfèrent à la Préface de 1522 du commentaire de l’épitre aux Romains de Luther. Le salut par la foi, certes, mais aussi « avec un amour pur et une humilité sans taches » [5]. Foi, amour et humilité, conditions pour que Dieu reconnaisse et accepte une œuvre bonne. L’intérêt pour la mystique n’est pas de percer les lois de la nature ou de la psychologie pour atteindre Dieu sans médiations ou par voie ésotérique : de ce point de vue, la mystique piétiste reste chrétienne, elle vise à l’imitation du Christ dans le cours de la vie quotidienne.
Philippe Jacob Spener (1635-1705) est d’origine bourgeoise luthérienne ; il lit la Bible, Luther, Ardnt, et d’autres auteurs piétistes comme Johann Gerhardt, et les spiritualistes anglais [6] , mais aussi Saint Bernard. Il est influencé à Genève par Jean de Labadie dont il traduit La pratique de l’oraison et méditation chrétienne. À Strasbourg auprès de Johann Buxtorf, professeur d’hébreux, il adhère à la doctrine de l’inspiration directe de la Bible par Dieu, appelée théopneusie. À Francfort en 1666, ses responsabilités consistoriales l’amènent à défendre le luthéranisme contre le catholicisme dont l’influence ne se limitait pas à la conversion au catholicisme d’Auguste le Fort, prince électeur de Saxe en 1697, et d’autre part aux influences réformées et notamment à la doctrine de la prédestination, sujets de controverse classiques entre les deux confessions. Dans la collaboration avec les autorités civiles, Spener est partisan d’une latitude plus grande pour l’Église de faire respecter la police morale, dont les principes même de la Réforme l’ont spoliée. Spener est l’auteur des Pia desideria en 1675, charte de vie chrétienne et soutien des assemblées de prière à Francfort. Cet opuscule était à l’origine la préface d’un recueil de sermon de Johann Arndt, le titre complet met en lumière l’objet : Désir fervent d’un amendement aimable de Dieu de la vraie Église évangélique accompagnés de quelques propositions chrétiennes tendant simplement à cette fin. La perspective est celle d’un réveil de la vie chrétienne dans une société qui n’est, du point de vue piétiste, que dans une religion extérieure, tant dans sa tête, les Princes, que dans ses membres, la plupart des fidèles. Pour les âmes religieuses, ces groupes répondent à une attente spirituelle. Les collegia pietatis vont se multiplier, et provoquer des réactions hostiles des Églises luthériennes, à cause de la grande liberté qui s’y vit, où tous, hommes et femmes, peuvent prendre la parole et vivre le « sacerdoce universel des croyants ». À Dresde il peine en vain à réformer les mœurs personnelles de Johann Georg, Prince électeur, dont il était le confesseur. Les initiatives dans l’enseignement de la catéchèse ou dans la formation des pasteurs mises en place avec succès seront une des spécificités du piétisme. La fondation par Frédéric de Prusse en 1692 de l’université de Halle va permettre au piétisme d’avoir une visibilité, elle sera un centre du rayonnement, parce que Spener a la liberté d’y organiser l’enseignement.
August Hermann Francke (1663-1727)
Il est disciple de Spener mais beaucoup plus intransigeant quant à la nécessité de se séparer de l’Église luthérienne établie. Ce fut lui qui préside à l’organisation concrète de la nouvelle Université de Halle. Il acquiert une formation intellectuelle qui le rend capable d’éditer Le Christianisme authentique d’Arndt ou de traduire le Guide spirituel du jésuite Molinos. Il traverse une crise spirituelle qui lui fait douter de l’existence même de Dieu. « L’athée va supplanter l’hérétique dans la hiérarchie infernale » [7] comme dit J.-P. Paul, cela signifie que les conséquences de la guerre de Trente-Ans et la pluralité confessionnelle, font progresser l’indifférence et le scepticisme qui annoncent le XVIIIe siècle. Mais Franck sort de son tourment en 1687 le doute fait place à la certitude et à la joie, provoquée par la rencontre personnelle. Sa conviction de réformateur de l’Église le pousse dans les conventicules, lieux de ferveur et de conversion des cœurs. La prédication et l’enseignement de Franck rencontrent un succès qui le fait accuser d’hétérodoxie, les piétistes sont vus comme millénaristes, sensibles à la lecture des signes des temps. On accusera les piétistes d’exalter le sentiment et de déviances visionnaires et de permettre aussi une libération de la parole et de l’expérience mystique féminine en particulier. Franck fonde aussi des écoles pour enseigner le catéchisme, puisque l’ignorance est pour lui la première cause de l’impiété. Les écoles instruisent, nourrissent et abritent ; les œuvres sociales, comme les œuvres catholiques, remplissant le vide de l’assistance sociale inexistante. L’enseignement des établissements piétistes, comme celui qu’il fonde à Glaucha près de Halle, est novateur par une pédagogie bienveillante d’où les châtiments corporels sont, sinon exclus, du moins pratiqués avec circonspection. Les enseignements sont orientés vers des productions utilitaires pour les instituts mais aussi les humanités, ce qui poussera la bourgeoisie à y faire enter ses enfants. Attaqué sur son orthodoxie, Franck répond en s’appuyant sur Luther s’il le faut, mais il pratique une confiance fondée sur la certitude du miracle : Dieu agit par ses enfants qui s’en remettent à lui par leur travail et leur prière. Son attachement à la réforme luthérienne ne l’empêche pas de louer la spiritualité ascétique des moines contre le relâchement des mœurs chrétiennes de la société, il assume son éclectisme en éditant Molina, Fénelon, Catherine de Gênes ou Angèle de Foligno. En 1716, il est recteur de Halle et conseiller du prince Frédéric-Guillaume I de Prusse sur les questions d’éducation et d’assistance aux pauvres. Franck a eu une influence décisive pour faire prendre conscience que le salut par la foi seule ne peut être une excuse pour ne pas s’occuper de travailler aux questions sociales et à celle de la pauvreté en particulier
Nikolaus Ludwig Zinzendorf (1700-1760)
Fondateur de la communauté de Hernhut (la garde du Seigneur) en Saxe en 1727, il avait déjà accueilli les Frères moraves en 1722, héritiers des disciples de Jean Hus. Zinzendorf ne se considère pas comme piétiste ; il critique « l’immoralité et les extravagances » des conventicules. L’Église des Frères accueille en son sein des luthériens et des réformés, ce qui en fait le premier lieu œcuménique, puisque les polémiques confessionnelles sont délibérément ignorées. Il entreprend des voyages en Europe et aux Amériques pour propager ses communautés, cette activité missionnaire est un trait du piétisme. Le piétisme comme les groupes de Zinzendorf sont interdit à Hanovre en 1748, ce qui montre que le piétisme et ce qui lui est assimilé sont toujours suspectés, malgré le souci qu’ont les auteurs de ne pas contredire les écrits de Luther. Zinzendorf reprend le principe luthérien du Coram Deo, le face à Dieu sans médiation institutionnelle, mais il insiste sur le cœur à cœur de la mystique. Il refuse de réduire la religion à la doctrine, si celle-ci n’est que spéculation rationnelle qui ne nourrit pas la vie spirituelle et divise l’Église authentique en multiples confessions, il a une approche affective, « la religion du cœur », centrée sur la relation personnelle au Christ, mais il se défend de tous sentimentalisme.
Conclusion
Le professeur Neal Blough confirme la parenté théologique et spirituelle entre les anabaptistes du XVIe siècle, les dissidents que nous avons évoqués plus haut, et le piétisme. Il s’agit de répondre à la question : « Quelle est la relation de l’œuvre du Christ en son extériorité pour moi à ma sanctification personnelle et intérieure ? » [8]
Le piétisme ne peut se satisfaire de l’anthropologie luthérienne trop strictement augustinienne, ni d’une justification par la foi qui dispenserait des œuvres de la sanctification : « l’homme est perfectible. Dieu n’exigerait pas de lui ce qu’il serait par nature incapable de faire. Les commandements de Dieu impliquent donc la possibilité de leur exécution. La conviction que l’homme rené est capable de se délivrer de la malédiction permanente du péché est le fondement de ce perfectionnisme que l’orthodoxie luthérienne reproche tant à Spener qu’à Franck » [9] . Le cynisme du pouvoir séculier consiste en ce qu’il est présumer promouvoir l’Évangile dans l’ordre temporel, mais qu’il n’agit que selon ses intérêts. La négligence des conséquences attendues des personnes justifiées par la foi seule pousse à l’indifférence ou à l’immoralité, la religion n’est plus qu’une forme sans contenu, la pauvreté sociale étant considérée comme l’expression incompréhensible et mystérieuse de la volonté de Dieu contre laquelle beaucoup jugeaient prudent de ne rien faire. Voilà ce contre quoi le piétisme a voulu réagir ; certains piétistes pensaient qu’ils pourraient réformer le luthéranisme, d’autres ont jugé qu’il fallait s’en séparer. L’individualisation de la foi ainsi que le mysticisme ne sont que des travers possibles. Quoiqu’il en soit, les piétistes dans leur zèle font éclater les cloisonnements sociaux dans lesquels est prisonnier le luthéranisme. Le piétisme prêche la nécessité d’un vécu personnel de la foi chrétienne. Les conventicules piétistes ont été suspectés, comme ceux des méthodistes anglais, ce qui les amena à se constituer en Églises concurrentes des Églises luthériennes et anglicanes.
Bibliographie
Jean-Marie PAUL, L’homme face à Dieu, Mystique, Réforme, Piétisme, Artois Presses Université 2004
Neal BLOUGH, Jésus-Christ aux marges de la Réforme, Desclée, 1992
Père Jérôme Bascoul, Mars 2019
[1] Erasme, Du libre arbitre, cité par Jean-Marie PAUL, L’Homme face à Dieu, Mystique Réforme et Piétisme, Artois Presses université, 2004, p. 193
[2] L’homme face à Dieu, p. 271
[3] L’homme face à Dieu, p. 251
[4] L’homme face à Dieu, p. 301
[5] L’homme face à Dieu, p. 297
[6] L’homme face à Dieu, p. 305
[7] L’homme face à Dieu, p. 325
[8] Neal BLOUGH, Jésus-Christ aux marges de la Réforme, Desclée, 1992, pp. 196-197
[9] L’homme face à Dieu, pp. 334-335