Loi de bioéthique : « La réflexion n’est jamais finie »
Paris Notre-Dame du 3 octobre 2019
Après le vote des députés en première lecture, qui ouvre la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, Marie-Dominique Trébuchet, théologienne et enseignante en bioéthique à l’Institut catholique de Paris, revient sur le rôle de « discernement » qu’apporte l’Église dans les débats sociétaux. Et appelle à poursuivre le dialogue.
Paris Notre-Dame – L’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes a été adoptée en première lecture le 27 septembre à l’Assemblée nationale. Quelle est votre réaction ?
Marie-Dominique Trébuchet – C’est une évolution sociétale qui témoigne d’un choix politique plutôt que d’un réel questionnement bioéthique. Elle porte en elle le risque de disparition symbolique du père au profit d’un désir, certes authentique, mais questionnable. Selon le discernement proposé par l’Église, cette évolution ne semble pas juste au regard de la vision de l’homme qu’elle promeut. Maintenant, que le vote soit passé n’empêche pas de maintenir le débat. La loi ne se substitue pas à la réflexion éthique et n’y met pas fin.
P. N.-D. – Certains observateurs constatent que l’Église renvoie trop souvent une posture d’opposition, plutôt que de proposition. Qu’en pensez-vous ?
M.-D. T. – Tout d’abord, l’Église écoute. Elle est attentive à la réalité des personnes et à leurs souffrances. Elle est composée d’hommes et de femmes impliqués sur le terrain à travers des œuvres de charité et de fraternité. L’Église n’est pas un discours et sa réflexion éthique n’est pas hors sol. Avant de se prononcer sur les questions qui touchent à la vie humaine, elle élabore sa réflexion auprès des familles, des hospitaliers... Elle écoute aussi les voix de sagesse extérieures, philosophes ou scientifiques, qui s’expriment sur les risques de telles évolutions. L’Église est donc d’abord en dialogue. Elle contribue à la recherche d’une voie commune à tous.
P. N.-D. – On pourrait parfois penser que l’Église s’inscrit systématiquement contre le progrès…
M.-D. T. – Concernant l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, il n’y a pas de progrès technique biomédical, cette dernière étant déjà au point. Et si l’on s’interroge sur un éventuel progrès sociétal : à l’aune de quoi juge-t-on du progrès ? L’Église alerte quand l’homme, dans son unité, est en jeu. Elle alerte quand la société risque de chuter dans du « non-humain », à travers une forme de marchandisation du corps. Le « progrès » proposé ici fait-il grandir l’homme, est-il porteur d’un vrai bonheur avec et pour les autres ? Le débat n’est pas clos. La réflexion éthique est un profond labeur qui n’est jamais fini. L’Église reconnaît les apports de la recherche scientifique. Elle se réjouit, par exemple, des progrès des greffes. Mais elle appelle aussi au discernement éthique, pour que la transplantation entre donneurs vivants se fasse dans des conditions humaines. L’Église ne fait qu’alerter sur une forme d’anesthésie et de fascination de l’homme par et pour la technique. Notre liberté réside-t-elle dans le fait d’utiliser la technique puisqu’elle est là, ou dans le fait d’exercer notre libre pensée jusqu’au bout ?
P. N.-D. – Comment sortir d’une logique de débat « pour-contre » ?
M.-D. T. – Sortons du schéma « permis-défendu ». C’est une recherche en conscience que propose l’Église, à la fois universelle et personnelle, sur les fondements de notre humanité. On ne mesure pas véritablement les transformations profondes de la société que le projet de loi de bioéthique actuel induit. Personne ne doit cesser de s’interroger ! L’Église prend la mesure de la complexité du monde et de nos vies à l’image du Christ dans l’Évangile. Jésus nous révèle ce qu’est un homme à la lumière du propre don de sa vie. À travers ses rencontres dans l’Écriture, il nous invite à écouter la souffrance des hommes. Porteur de la miséricorde de Dieu, il renvoie aussi les personnes à leur propre responsabilité sans jamais les condamner. Mais il a l’audace et la liberté de questionner.
Propos recueillis par Laurence Faure@LauFaur
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