« Nous n’avons pas le temps de désespérer »
Paris Notre-Dame du 3 décembre 2020
La 94e session annuelle des Semaines sociales de France s’est tenue, du 27 au 29 novembre, autour du thème de l’engagement. Une nécessité pour reconstruire notre société selon sa présidente, Dominique Quinio.
Paris Notre-Dame – Vous avez décidé de maintenir la session annuelle des Semaines sociales de France en plein confinement et de la proposer entièrement en virtuel. Pourquoi était-ce si important qu’elle ait lieu aujourd’hui ?
Dominique Quinio – Nous savions, et ce même avant l’été, qu’il serait compliqué de maintenir les rencontres « en présentiel ». Reporter a été envisagé. Mais il nous a paru important de proposer une parole au vu de la situation actuelle de notre société. Différents événements ont accentué des fractures. Les Gilets jaunes d’abord, qui portaient des revendications faites non pas par les plus pauvres, mais par les classes moyennes. Et puis, la crise sanitaire a révélé des inégalités importantes, y compris au sein du domaine scolaire. Tout cela a émietté la société en îlots ne communiquant plus. Chacun est tenté de rester sur son îlot. C’est ce que le politologue Jérôme Fourquet appelle « l’archipel français » [1]. Mais il ne faut pas que la diversité et le pluralisme soient un problème. Il faut plutôt aider ce pluralisme à se vivre avec davantage de fraternité, d’amitié sociale.
P. N.-D. – Comment penser la société dans ce contexte ?
D. Q. – Les Semaines sociales de France se fondent sur la pensée sociale de l’Église. Celle-ci a des principes sur lesquels s’appuyer : partir des plus petits, des plus fragiles, pour envisager des solutions. Ce que le pape François appelle la « capillarité ». Il y aussi le principe du Bien commun. Comment faire pour que, au-delà de son pré carré, de sa propre souffrance, de son ressentiment, on puisse penser la situation de tous ? Ce que le pape Benoît XVI appelle le « bien de nous-tous ». La destination universelle des biens, aussi : une notion à penser un niveau planétaire et intergénérationnel. La génération actuelle doit considérer les générations suivantes. Nous avons le sentiment qu’il est bon de suivre ces principes, de les mettre en œuvre.
P. N.-D. – À l’issue de cette rencontre, vous avez publié un manifeste [2]. Celui-ci propose « vingt-huit pistes d’action pour reconstruire la société ». Comment faire pour que celles-ci soient écoutées et appliquées ? On peut avoir l’impression que ce genre de propositions est rarement suivi par les instances décisionnelles…
D. Q. – C’est la grande question. L’un des bénéfices de notre rencontre a été cette espèce d’énergie qui en est ressortie. Quelqu’un a lancé « nous n’avons pas le temps de désespérer ». Je pense que c’est une bonne formule. Le découragement est dangereux. Pour la personne qui le vit, car elle peut alors sombrer dans une dépression. Mais pour la société, aussi. Nous avons besoin de cette énergie. Nous ne serons pas nécessairement d’accord. Mais il faut parler, communiquer. Et ne pas se laisser intimider par la complexité du réel : la complexité de la cause écologique, de la lutte contre les inégalités… Il y aussi quelque chose de l’ordre de la conversion personnelle. Celle-ci n’est pas nécessairement visible. On peut croire qu’elle n’aura pas d’effets. Mais elle est déjà active par elle-même. Je ne suis pas inutile. Personne n’est inutile. Si nous le pouvons, si nous le voulons, nous pouvons aller un cran plus loin. En s’engageant. Dans une activité associative, mais aussi en politique. Chacun peut trouver sa place. Mais il ne faut pas juger à l’efficacité immédiate. Souvent, dans nos engagements, nous héritons d’une action, nous y participons et d’autres la poursuivront.
Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab
[1] L’Archipel français, Jérôme Fourquet, Seuil, 2019.
[2] Les propositions du manifeste, disponible sur ssf-fr.org, seront rediscutées et adoptées lors du conseil d’administration des Semaines sociales de France, en décembre. Elles seront alors présentées à différentes instances.
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