Paix en Ukraine : « Les Églises ont un rôle à jouer »
Paris Notre-Dame du 10 février 2022
L’histoire et le destin des Églises d’Ukraine s’enchevêtrent avec les tensions russo-ukrainiennes actuelles. Alors que le pape François demandait une Journée mondiale de prière pour la paix en Ukraine le 26 janvier dernier : analyse de la situation avec Antoine Arjakovsky, codirecteur du département Politique et Religions du Collège des Bernardins.
Paris Notre-Dame – Comment se situent les Églises d’Ukraine face aux tensions avec la Russie ?
Antoine Arjakovsky – En Ukraine, les Églises – orthodoxes, catholiques, protestantes – défendent l’identité nationale du pays. Parmi elles, l’Église orthodoxe d’Ukraine a longtemps été mise en difficulté pour forger son unité. Jusqu’en 2018, les communautés orthodoxes en Ukraine étaient partagées entre celles qui étaient rattachées canoniquement au Patriarcat de Moscou et celles qui défendaient leur identité ukrainienne. Dans le contexte de l’aggravation des tensions entre la Russie et l’Ukraine, le Patriarcat œcuménique de Constantinople a accédé, fin 2018, à la demande de la majorité des orthodoxes ukrainiens de recevoir l’autocéphalie, au même titre, par exemple, que les Églises orthodoxes de Roumanie, de Bulgarie ou de Serbie. L’Église orthodoxe autocéphale d’Ukraine a donc vu le jour, élisant son propre primat : le métropolite Épiphane. Une reconnaissance, de fait, d’une Église indépendante de la juridiction canonique du Patriarcat de Moscou revendiquée par ce dernier. Le patriarche Kirill, primat de Moscou, conçoit en effet son patriarcat comme « leader » sur ses Églises sœurs d’Europe orientale. De son côté, le patriarche Bartholomée de Constantinople exerce une responsabilité de « premier » parmi ses égaux, les chefs des Églises orthodoxes autocéphales rattachées à son patriarcat. Cette ecclésiologie différente autorise la formation d’Églises locales autonomes, capables d’élire leur propre chef, et d’exercer un dialogue œcuménique. Face aux tensions actuelles dans la région, les Églises ont donc un rôle de dialogue important à jouer en faveur de la paix, autant en Russie qu’en Ukraine.
P. N.-D. – Des membres de ces Églises ukrainiennes ont justement participé à la Commission vérité, justice et réconciliation entre la Russie, l’Ukraine et l’Union européenne, créée au Collège des Bernardins en 2018…
A. A. – Cette commission mixte a, en effet, réuni plusieurs centaines d’experts de Russie, d’Ukraine et d’Europe, depuis 2018. Elle a abouti à la publication d’un plan de paix au mois de décembre 2019, présenté au Forum Normandie pour la paix de 2021. Elle a établi quatre causes au conflit civilisationnel russo-ukrainien : géopolitique, politico-institutionnelle, ecclésiologique et historiographique. Concernant l’ecclésiologie, la commission déclare que ce conflit inter-orthodoxe est largement résolvable à deux conditions : un dialogue en profondeur sur une ecclésiologie de communion entre Églises orthodoxes des deux patriarcats, mais aussi avec l’Église catholique romaine. L’autre condition, c’est un soutien large à cette nouvelle Église autocéphale de Kiev, très ancienne (988 ap. J.-C.), et la plus nombreuse en Ukraine en termes de fidèles (environ 15 millions sur 25 millions d’orthodoxes). Cette Église, pourtant mise en difficulté en Crimée ou dans le Donbass et victime de pressions, n’attise pas la tension. Elle demande un dialogue qui puisse mener à la paix avec toutes les parties.
P. N.-D. – Quelle est votre réaction à l’appel du pape François ?
A. A. – Une mise en œuvre de la magnifique journée de prière pour l’Ukraine demandée par le pape le 26 janvier, pourrait être une invitation en France de Mgr Épiphane, ainsi que l’organisation d’un séminaire d’ecclésiologie œcuménique pour aider les orthodoxes à trouver des voies de réconciliation.
Propos recueillis par Laurence Faure @LauFaur
Sommaire
Consulter ce numéro
Acheter ce numéro 1 € en ligne sur les applications iOs et Android