Ukrainiens à Paris : « Nous gardons courage »
Paris Notre-Dame du 3 mars 2022
À Paris, dès le 15 février, les gréco-catholiques ukrainiens ont lancé une chaîne de prière pour leur pays, sous offensive russe depuis le 24 février. L’occasion de rencontrer ces fidèles de la cathédrale parisienne St-Volodymyr-Le-Grand, siège, depuis 1942, de l’éparchie du même nom, diocèse de la diaspora européenne de cette Église catholique orientale d’Ukraine.
Dimanche 20 février. Fin de la divine liturgie (messe célébrée dans le rite byzantin) à la cathédrale gréco-catholique ukrainienne St-Volodymyr-Le-Grand, rue des Saints-Pères (6e ). Attendant le début de la séance de catéchisme des enfants, Olga s’inquiète. « En Ukraine, nous ne sommes indépendants que depuis trente ans… et nous voulons tous rester en paix », déplore la jeune femme, expatriée à Paris depuis une dizaine d’années pour le travail de son mari. Une guerre ? « Ce serait la catastrophe, souffle-t-elle. Et pas seulement pour nous. Pour les autres pays d’Europe aussi… » Ce jour-là, il n’est pas encore question des offensives russes sur plusieurs grandes villes d’Ukraine qui seront déclenchées dans la nuit du 23 au 24 février. Mais la prière monte déjà de la bouche des fidèles, serrés sur les bancs de cette ancienne chapelle d’université du quartier Saint-Germain, mise à la disposition de la Mission gréco-catholique d’Ukraine depuis le jour de Noël 1942.
Une invocation préoccupée, à l’image de ce silence spontané et lourd de sens établi à la fin de la messe, juste après la prière pour la paix récitée par l’assemblée, emmenée par le célébrant et administrateur de la cathédrale depuis octobre 2019, le P. Ihor Rantsya. Les fidèles, parmi lesquels beaucoup de familles et de jeunes, souvent immigrés ces dix ou vingt dernières années pour des raisons principalement économiques, se sont succédés discrètement, après la communion, devant le brûloir aux dizaines de bougies allumées, face à la traditionnelle iconostase – cloison richement décorée d’images de saints, séparant l’assemblée du sanctuaire, là où le prêtre célèbre la liturgie de rite byzantin chantée en ukrainien. Devant le brûloir, à gauche de l’iconostase, un petit autel, sous deux drapeaux enroulés, ukrainien et français, présente le panneau des photos d’une centaine d’Ukrainiens morts lors des manifestations pro-européennes de la place Maïdan de Kiev (Ukraine), en 2014. « Cet autel a été créé par mon prédécesseur à l’époque et nous l’avons conservé, explique le P. Rantsya. Car ces événements font désormais partie de l’histoire de notre pays. »
Cette Église catholique orientale slave (Église de rite byzantin rattachée à Rome depuis le XVIe siècle) représente environ 10% de la population ukrai nienne, la majorité étant orthodoxe. En Europe occidentale, pour ses fidèles résidant en France, en Belgique, au Luxembourg, au Pays-Bas et en Suisse, l’Église gréco-catholique ukrainienne est constituée en éparchie (équivalent d’un diocèse), avec, pour siège, cette même cathédrale parisienne St-Volodymyr… Ce diocèse regroupe la diaspora de cette Église d’Ukraine, héritière de l’histoire de ses fidèles immigrés à Paris depuis la fin du XIXe siècle. Plusieurs vagues d’immigration se sont succédées depuis, au gré des événements historiques – l’Église gréco-catholique en Ukraine fut notamment interdite sous le régime soviétique. Aujourd’hui, la mission de l’éparchie, soutenue par l’Œuvre d’Orient, se partage entre formation des prêtres et des laïcs, catéchisation, ministère social et caritatif et dialogue œcuménique. Tenir, « dans la tête » Le P. Ihor Rantsya, 43 ans, ordonné prêtre à Paris en 2015, insiste sur le « rôle pastoral » et « repère » de son Église pour ses quelque 600 membres (2 000 au total en comptant la région parisienne), participant chaque semaine à une des six messes dominicales célébrées à la cathédrale. « C’est très important de nous retrouver, abonde Ivanna à la sortie de la messe, jeune femme au doux accent, s’excusant de ne pas bien parler français. Cela nous remonte le moral. Ce n’est pas facile de vivre à Paris sans bien connaître la langue, quand notre famille est en Ukraine. »
Désormais, face à la guerre, ils ont d’autant plus besoin de tenir, « dans la tête » et « dans leur âme aussi ». Comme beaucoup de familles de l’Église gréco-catholique en Ukraine, la plupart de ces fidèles viennent de l’Ouest du pays, proche de la Pologne. Soit relativement éloignés des combats initiaux de Laurence Faure Des appels pour l’Ukraine ZOOM Actualité l’est, « même si certains ici viennent aussi de Crimée ou de Donetsk dans le Donbass », précise Ludmilla, autre paroissienne. « Les familles de l’Ouest étaient déjà impactées, prévient le P. Rantsya, puisque beaucoup d’hommes étaient déjà mobilisés pour aller combattre aux frontières. »
Alors que le pape François a renouvelé son appel à prier pour la paix en Ukraine, une chaîne de prière organisée par la cathédrale depuis le 15 février se poursuit, récitée chaque soir dans les familles à 21h. « On se soutient les uns les autres », lâche, anxieuse, Nadia Myhal, ukraino-canadienne, paroissienne et présidente de l’association des femmes ukrainiennes en France. Ce 20 février, ses contacts sur place lui parlent déjà d’entraînements civils pour se protéger en cas de bombardements : « On savait la situation instable mais aujourd’hui, on a vraiment peur. » « Le 24 février, ce n’est pas une attaque mais une guerre qui a commencé, a confirmé quelques jours plus tard le P. Rantsya. C’est un mot très fort, mais c’est la réalité. Nous gardons courage. Nos Églises en Ukraine se préparent à être des lieux d’asile pour offrir un refuge aux déplacés impactés par les combats ou les bombardements. Nous souhaitons, en Ukraine, contribuer à la paix. Mais il n’y a pas de paix sans vérité [sur la situation actuelle entre la Russie et l’Ukraine, NDLR]. La paix injuste ne peut pas être la paix. »
• Laurence Faure
Depuis la rédaction de ce reportage et l’offensive russe en Ukraine, la cathédrale St-Volodymyr Le-Grand (6e) continue de célébrer des messes pour la paix. Il est possible de se joindre à la chaîne de prière organisée chaque soir à 21h dans les familles (voir le mot du P. Ihor Rantsya en vidéo sur YouTube, sur cathedrale-st volodymyr.fr). Le siège de l’éparchie coordonne aussi une aide humanitaire. L’Œuvre d’Orient a par ailleurs annoncé la création d’un fonds d’urgence de soutien aux familles ukrainiennes : oeuvre-orient.fr
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