Paroles d’enseignants
Paris Notre-Dame du 21 mai 2020
Ils sont professeurs ou directeurs d’établissements catholiques parisiens… Avec la fermeture des écoles, ils ont dû s’adapter à une situation inédite, inventer un enseignement à distance et tenter de maintenir le lien avec leurs élèves. Entre difficultés et espoirs, ils témoignent.
« Reprendre une vie normale »
Marie Blanchet
Directrice de l’école primaire catholique des Saints Anges (15e) :
« Dès le 25 mai, 307 des 380 élèves que compte l’école seront en classe. La volonté affichée par tous ici est de reprendre une vie normale, pour les familles, pour les enfants. Oui bien sûr, nous avons peur. Oui bien sûr, nous prenons des risques, mais il faut savoir se lancer et montrer l’exemple. En tant qu’école catholique, comme chrétiens, nous devons croire à la force de la vie. Saint Jean-Paul II l’a suffisamment proclamé : “N’ayez pas peur !” Cela peut sembler d’un optimisme forcené, bien sûr, mais ce virus, nous allons devoir apprendre à vivre avec. Alors, pourquoi ne pas montrer l’exemple dès maintenant ? Un peu comme des missionnaires. Montrer aux enfants que la vie continue, que les gestes barrière n’empêchent pas de s’attacher à l’humain. C’est cela qui me semble le plus important. Conserver ce principe de réalité, ce principe d’humanité. Ici, les enseignants ont envie de retrouver leurs élèves car ils ont la conviction que l’école à distance, ce n’est pas l’école. Certes, nous avons découvert des sites fantastiques, nos élèves ont appris beaucoup sur le plan numérique. Mais le cœur de notre métier est d’être devant nos élèves, d’échanger avec eux. Nous allons donc travailler à recréer ce lien, inciter les enfants à parler de ce qu’ils ont aimé, de ce qui leur a manqué, ce qui est difficile à faire à distance. Si je suis heureuse aujourd’hui de retrouver mon école, je le suis plus encore de retrouver mes élèves. »
« Se laisser instruire par ce maître intérieur »
Dominique Paillard
Membre de la Communauté Saint-François-Xavier et directrice du collège et lycée Charles Péguy, 11e
« Depuis le 13 mars, date de l’annonce de la fermeture des écoles, nous sommes passés par plusieurs phases successives : le choc d’une école qui se vide du jour au lendemain ; la mobilisation générale qui a suivi, pour faire passer en quelques heures tout un établissement en télétravail. Et aujourd’hui la préparation d’un protocole d’accueil des collégiens et lycéens, sans savoir si ces élèves rentreront effectivement. Tout cela en continuant à insuffler la flamme de la continuité pédagogique. Ce principe d’incertitude ne nous a pas quittés depuis huit semaines et l’adaptation a dû être permanente. Il est encore trop tôt pour faire un bilan approfondi de cette crise mais s’il est des points positifs, je dirais qu’il est clair que nous avons fait un grand bond en avant dans l’utilisation des espaces numériques de travail à l’école. Cela a pu favoriser l’autonomie de certains. Nous avons vu naître aussi de nouvelles compétences, des perles de créativité, des questionnements porteurs de sens. Mais nous avons vu également des élèves absents, que nous avions beaucoup de mal à rejoindre. Des inégalités augmentées par la crise, des familles perdues, de grandes frustrations pour des élèves de terminale qui attendaient l’épreuve du baccalauréat pour terminer en beauté leurs parcours scolaires. Mon sentiment aujourd’hui est qu’il n’y a pas d’école à distance possible. L’école suppose la relation, le face à face, l’interaction. A distance, la qualité du travail intellectuel est difficile à évaluer. Péguy disait que l’évènement est un maître intérieur. La gestion de l’incertitude sera le monde de demain. Comme enseignants, nous avons pour mission d’éveiller des personnes capables de penser par elles-mêmes, de discerner pour agir, capables de s’engager et d’améliorer ce monde. »
« Ce qui paraissait impossible a été fait »
Enseignements à distance, initiatives pédagogiques… Jean-François Canteneur, directeur de l’enseignement catholique de Paris, analyse comment l’école a su se réinventer durant ce confinement.
Paris Notre-Dame – Dans quel état d’esprit êtes-vous alors que les écoles primaires ont rouvert leurs portes ?
Jean-François Canteneur – Il y a deux manières d’aborder les choses. Soit on se fixe sur le défi que représente cette reprise en termes de contraintes… Soit on se dit que notre objectif n’est pas de faire comme s’il n’y avait pas eu de virus, mais qu’il est de proposer la meilleure solution possible aux élèves. Depuis le début du confinement, des choses intéressantes sont mises en œuvre, notamment sur le plan pédagogique. Du jour au lendemain, nous avons dû mettre en place des cours à distance, ce que personne n’avait fait auparavant, notamment dans les petites classes. Et ce qui paraissait impossible a été fait. Or, relever des défis, y compris les plus impensables, c’est la vraie mission de l’école. Inventer. Certes, tout n’est pas parfait, mais nous avons réussi à nous adapter. J’aimerais que l’école soit ce lieu dans lequel on pense ce qui n’a pas encore été pensé. Parce que sans créativité, il n’y a pas de découvertes. Pas de savoirs. Pas d’école.
P. N.-D. – Quel souci vous a guidé durant tout ce temps ? Maintenir la continuité pédagogique ou préserver le lien avec les élèves ?
J.-F. C. – Les circonstances ont fait que nous avons d’abord cherché à garder un lien social. Et puis, petit à petit, se sont construites des manières de travailler, pas toujours parfaites, mais avec beaucoup d’investissement de la part de nos professeurs. Et cela a marché. L’importance de la relation éducative personnalisée, que l’on peut avoir tendance à oublier, a été remise en valeur. L’éloignement physique a fait que le professeur n’était plus devant une classe mais, tour à tour, devant chaque enfant. Cela a contribué à ce que chacun tienne le coup, y com¬pris spirituellement. À la condition, bien sûr, d’avoir les équipements et la disponibilité psychologique nécessaires. Tout ceci devrait rester. On ne peut pas imaginer, à la rentrée prochaine, redémarrer comme si le travail s’était poursuivi normalement.
P. N.-D. – Il y aura, selon vous, un avant et un après confinement ?
J.-F. C. – Je suis prudent sur cette question. Je pense que nous retomberons vite dans les mêmes travers… Je me représente cela plus comme un coup d’accélérateur. En novembre dernier, j’avais souhaité qu’on parte avec l’ensemble des chefs d’établissements catholiques parisiens au Québec, afin d’examiner leurs méthodes pédagogiques, leur utilisation des outils numériques, leur relation à l’élève… Nous y avons observé des approches presque à l’inverse des nôtres et on ne voyait pas comment ces évolutions allaient pouvoir être introduites dans nos établissements. Et six mois plus tard, nous nous retrouvons à faire du téléenseignement. À changer totalement la relation du maître et de l’élève... Une preuve « grandeur nature » que l’école peut se réinventer. Dit autrement, plutôt que d’être dans l’application des règlements et des textes officiels, nous avons tout d’un coup retrouvé le vrai rôle de l’école, qui est de s’adapter aux circonstances, d’inventer un chemin pour que les jeunes puissent grandir. Aux parents qui s’inquiètent des lacunes de leurs enfants, je dirais que rien n’est irrémédiable. Quand on parle de lacune, en France, on se réfère à des normes déterminées qu’il faut remplir pour passer à l’étape suivante. À la faveur de cette crise, nous avons vu que l’école n’était pas une succession de savoirs juxtaposés les uns aux autres. C’est une capacité à les mettre en lien pour en faire une compétence. Ces deux derniers mois, il y a eu d’autres apprentissages, plus transversaux. Ce sera un point d’appui qui va nous permettre d’accélérer les choses à la rentrée prochaine.
Par Priscilia de Selve @Sarran39
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