Quelles relations avec l’Église catholique romaine ? Position du Réseau Évangélique Suisse (Suite et fin du document publié en février 2018 n° 483)
Les Églises évangéliques suisses réfléchissent sur leurs rapports avec l’Église catholique. A un période où l’œcuménisme doit prendre en compte la grande composante du christianisme qui est l’évangélisme, il est intéressant de lire le point de de cette aile du protestantisme. Ce mois-ci nous publions les sections concernant les fondements bibliques pour les relations œcuméniques avec l’Église catholique ; la compréhension que les catholiques ont d’eux-mêmes (ecclésiologie) ; et les conséquences et les recommandations pratiques. (Cette dernière partie vise à esquisser les conséquences pratiques de ce qui précède du point du vue du RES et de ses membres – les conséquences générales pour les relations avec les Églises chrétiennes et le cas particulier de la relation à l’Église catholique romaine.)
III. Fondements bibliques pour les relations œcuméniques avec l’Église catholique
L’exégèse biblique montre que l’unité est l’un des marqueurs de l’œuvre de Jésus-Christ. Les considérations qui suivent sont particulièrement valables pour toute collaboration impliquant le Réseau évangélique suisse et ses membres et organes. Cette troisième partie donnera un survol de la compréhension, du sens et des conditions de l’unité chrétienne selon le Nouveau Testament.
1. L’unité comme caractéristique essentielle de l’Église de Jésus-Christ
D’après notre compréhension du Nouveau Testament, l’unité est une caractéristique essentielle de l’Église de Jésus-Christ. Cette unité est déjà acquise en Jésus-Christ. Car l’Église qu’il a rachetée au prix de la croix est un corps, dont il est la tête (Romains 12,4s ; Ephésiens 4,4 le plus souvent) et elle est aussi présentée comme étant sa fiancée (Apocalypse 19,7). C’est pour cela que le symbole de Nicée affirme croire « en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique ». Il est nécessaire de souligner que cette Église unie se caractérise par les éléments suivants :
• a) L’unité de l’Église, corps du Christ, est une unité spirituelle, parce qu’elle est l’œuvre du Saint Esprit (Ephésiens 4,1-6).
• b) L’unité de cette Église est en bonne partie invisible, parce que l’action de l’Esprit dans le cœur des hommes a lieu dans le secret : le cœur humain et la foi qui s’y développe ne sont pas directement visibles pour l’œil humain.
• c) L’unité spirituelle et invisible du corps de Jésus est indestructible parce que l’œuvre que Christ a accomplie et sa victoire contre la séparation ne peuvent être détruits (Matthieu 16,18)
Il en découle que Jésus a eu soin, dans son immense amour, de s’assurer, malgré les nombreuses séparations, que l’unité de son corps invisible persiste et qu’elle perdure jusqu’à son retour. Au-delà de toutes les séparations visibles des Églises, il y a une unité cachée de tous ceux qui croient en Jésus, qui sont remplis par le Saint Esprit et baptisés au nom du Dieu trinitaire.
Cette réalité peut apporter une certaine consolation : Dieu a mis des bornes à la désunion de ses enfants et s’est assuré que l’unité profonde et spirituelle des croyants perdure et l’emporte.
Mais cette réalité doit aussi nous attrister : elle nous rappelle à quel point les séparations et les schismes de la chrétienté vont contre sa volonté et l’œuvre de l’Esprit Saint vu que celui-ci (et avec lui le Père et le Fils) veut que l’unité cachée du corps spirituel du Christ soit visible pour le monde.
2. L’unité visible de l’Église de Jésus-Christ en tant que volonté du Dieu trinitaire
Le Nouveau Testament tout entier témoigne de ce que le Dieu trinitaire ne désire pas seulement que les chrétiens d’origines juives et païennes forment une entité invisible, mais qu’il souhaite aussi une unité qui se manifeste de manière visible ! Ceci ressort de quantité de passages du Nouveau Testament (Eph 2,12-22 ; Jean 13,35 ; 17,20-23 ; 1 Cor 12,24). Pour ne citer qu’un exemple, Jésus souligne : « Tout le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jean 13,35). Ce verset montre que l’amour des disciples de Jésus doit être visible au point que même pour le monde non chrétien (« tous les hommes ») il soit évident que cet amour est la marque des disciples de Jésus. La désignation de l’Église comme « lumière du monde » et la comparaison avec la « ville bâtie sur une montagne » (Mt 5,14) montrent que l’unité d’amour des disciples est appelée à être visible aux yeux de l’humanité !
Que Dieu ne se satisfasse pas de la seule unité invisible de son Église aux yeux des hommes a des raisons évidentes. En voilà trois :
• a) L’action du Saint Esprit, d’après le Nouveau Testament, vise à produire des effets dans le monde réel : ainsi, la foi est appelée à porter le fruit (visible) de l’Esprit et les œuvres (visibles) de l’amour (Gal 5,22-26).
• b) L’unité visible de l’Église sert à rendre crédible l’Évangile, alors que la désunion visible des chrétiens obscurcit l’Évangile (Jean 17,20-23)
• c) L’unité visible de l’Église doit refléter l’amour du Dieu trinitaire (Jean 17,20-23), qui lie le Père, le Fils et le Saint Esprit en une unité parfaite.
Que Dieu veuille l’unité visible de son Église ne signifie pas pour autant que les chrétiens doivent à tout prix essayer de l’obtenir. Une unité humaine construite sans Dieu, ou forcée, ne serait certainement pas l’unité que Dieu veut. L’unité visible de l’Église voulue par Dieu est bien plutôt liée à certaines conditions données par la Bible et sans lesquelles l’unité ne peut-être que distordue.
3. Les conditions selon la Bible d’une unité visible de l’Église
3.1 Unité dans la vérité
L’unité visible voulue par Dieu est fondée dans la vérité qui se trouve dans la personne du Christ (Jean 14,6) et qui nous a été donnée par l’Évangile de Jésus-Christ, auquel nous avons accès dans l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Évangile de Jésus-Christ est donc l’étalon indispensable pour distinguer la vraie de la fausse unité des chrétiens. Nos efforts pour l’unité doivent donc s’appuyer sur la vérité de l’Évangile. L’unité voulue par Dieu dépend totalement de la vérité de l’Évangile à laquelle la Bible rend témoignage. Il fait montre du Saint Esprit comme « Esprit de vérité » (Jean 16,3) dans son contenu et ses conséquences. L’unité visible de l’Église nécessite l’unité dans les vérités fondamentales telles qu’affirmées par l’Évangile (voir aussi Galates 1) !
3.2 Unité dans l’amour
L’unité visible voulue par Dieu a son fondement dans l’amour du Christ. La tolérance, la politesse ou la gentillesse ne sont pas des fondements suffisants de l’unité voulue par Dieu pour son Église. Vu que l’Église est une communauté d’amour selon le Nouveau Testament (Jean 13,35 ; 17,20-23 ; 2 Cor 5,14), son unité selon Dieu ne peut être fondée que dans une imitation de l’amour inter-trinitaire ! Cet amour du Dieu trinitaire s’est révélé sur la croix du Christ comme un amour sacrificiel, et a ainsi fourni à la chrétienté la norme de comportement la plus élevée pensable. Cet amour est déversé dans le cœur des croyants (Romains 5,5b) et est appelé à se manifester dans leur vie (Jean 13,35). Entre les personnes qui bénéficient de cet amour – les croyants - les relations doivent donc être empreintes de ce marqueur ! Seul cet amour désintéressé et prêt à se donner est capable d’ouvrir les portes d’un vrai œcuménisme, c’est-à- dire capable de générer ou de conserver l’unité même lorsque les circonstances deviennent plus dures. Cet amour ne dépend pas de l’établissement préalable d’une unité doctrinale. On a jusqu’à présent sous-estimé l’amour de Christ comme base indispensable à l’unité spirituelle. Le Cardinal Kasper a constaté à juste titre, lors de la troisième rencontre œcuménique européenne à Sibiu (2007), que « nous ne nous aimons encore pas assez. » [1]
3.3 Unité et liberté
L’unité visible voulue par Dieu se fonde finalement sur la liberté de l’Esprit. L’Esprit Saint est un esprit de liberté (2 Cor. 3,17). C’est pour cela que toutes les tentatives qui cherchent par la force et la menace de la force à créer une unité ont été et sont un échec. Elles reflètent des entreprises humaines qui ne placent pas Dieu au centre et qui créent beaucoup de souffrances. Ce fut le cas lorsque l’Église catholique romaine s’imposait au Moyen-Âge, mais aussi lorsque les anabaptistes furent persécutés par les Églises du temps de la Réforme. L’union forcée des Églises réformées évangéliques au sein de l’« Église évangélique allemande » (DEK) à l’époque du national-socialisme ou l’unification forcée par les communistes chinois des Églises protestantes dans le « Mouvement patriotique protestant triplement autonome de Chine » (1951) en sont d’autres exemples. De telles unions forcées font face à de sérieux problèmes théologiques, vu qu’elles doivent leur existence à une volonté imposée, voire autoritaire, qui nie la liberté de conscience et qui est à l’opposé du vrai amour.
Face à une telle unité forcée, on ne peut que dire qu’il vaut mieux une séparation honnête qu’une « unité » forcée, dans la négation de la vérité ! Une unité forcée ne peut être qu’unité extérieure (organisationelle-institutionelle). En allant contre la liberté individuelle, une telle unité ne reflètera pas une réalité spirituelle, elle ne pourra pas être la face visible d’une réalité plus profonde qui naîtrait dans les cœurs des croyants.
3.4 Compréhension commune de l’Église chrétienne et de son unité
Étant donné qu’il en va ici de l’unité des chrétiens et des Églises, il est fondamental pour une bonne collaboration que les chrétiens et les Églises concernées puissent aussi communiquer ouvertement sur leurs relations dans le cadre de l’unité chrétienne. Pour une collaboration de type « œcuménique », il semble nécessaire :
• Que les personnes concernées, à titre personnel, se considèrent et se reconnaissent mutuellement comme chrétiens.
• Que les communautés concernées se considèrent et se reconnaissent les unes les autres comme Églises chrétiennes.
D’autres points de doctrine peuvent rester ouverts ou continuer à être l’objet d’interprétations différentes (Ex : baptême, compréhension de la Sainte Cène, ordination des femmes, compréhension du baptême dans l’Esprit etc.). Mais la reconnaissance mutuelle comme chrétiens et comme Église chrétienne forme la base d’une collaboration respectueuse et d’égal à égal.
Ce dernier point – se considérer d’égal à égal – continue malheureusement à être refusé aux autres Églises chrétiennes par l’Église catholique, à cause de son ecclésiologie (voir partie IV). Les Églises et les communautés issues de la Réforme du XVIe siècle ne peuvent pas, selon les catholiques, être appelées « Églises » au sens propre. Certains éléments leur feraient défaut (defectus) pour être pleinement considérées comme telles. Cela peut être blessant et peut représenter un obstacle à une collaboration apaisée, ce dont il faut aussi savoir tenir compte dans le cadre de projets communs.
IV. La compréhension que les catholiques ont d’eux-mêmes (ecclésiologie)
Malgré les progrès importants et bienvenus dans les discussions entre évangéliques et catholiques, il reste en effet un obstacle considérable : il s’agit de la façon dont l’Église catholique romaine interprète son propre rôle. Sa compréhension d’elle-même comme l’Église véritable est un obstacle à une compréhension commune de l’unité des chrétiens et de l’œcuménisme, et conduit à des buts différents lors de collaborations.
1. Une compréhension différente de l’Église
Malgré la déclaration d’intention du concile de Vatican II, l’Église catholique – à la différence des Églises issues de la Réforme –, se considère comme seule et unique Église et se suffit à elle-même dans l’Église du Christ (ou plus exactement selon elle : L’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique). [2] Cette compréhension de l’Église reste un obstacle majeur et conduit à d’autres difficultés, notamment sur la question des sacrements (et avec cela, par exemple, la reconnaissance du baptême ou de la communion eucharistique) et des magistères (y compris celui du Pape). Comment cette compréhension de l’Église se présente-t-elle concrètement depuis le concile de Vatican II ?
a) L’Alliance évangélique italienne a relevé en 1999 que, dans sa théologie, l’Église catholique se voyait comme l’ « extension de l’incarnation du Fils de Dieu » [3] . L’Église n’est pas simplement un rassemblement de ceux qui croient en Christ, mais le lieu visible où Dieu se révèle lui-même. L’Église même devient alors « en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » [4] . Cela a des conséquences considérables. L’Église catholique se considère comme étant le « Corps du Christ » rendu visible dans ce monde. Une telle compréhension de l’Église explique pourquoi la théologie catholique romaine…
• n’accorde pas autant de poids à la tragédie que représente le péché ;
• tend à une vision optimiste des capacités humaines,
• « entrevoit le salut comme un processus au cours duquel la nature humaine est rendue plus parfaite, »
• et … considère « le rôle de l’Église comme médiateur entre l’homme et Dieu » [5] . considérablement fait évoluer sa vision de l’Église en ce que…
• le salut n’est plus actif uniquement et exclusivement par la médiation de l’Église catholique romaine,
• dorénavant, elle reconnaît que l’Esprit du Christ agit également dans les « Églises sœurs » et que Christ se sert aussi des frères et sœurs séparés et de leurs communautés comme de moyens de salut. Selon ses propres déclarations, l’Église catholique « n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changer la doctrine en question, mais a bien plutôt entendu la développer, la formuler de manière plus adéquate et en approfondir l’intelligence ». [6] Comment comprendre cela ? Il s’agit d’une réponse à certaines fausses interprétations au sujet du processus de dialogue œcuménique initié par l’Église catholique suite à Vatican II. La Congrégation pour la doctrine de la foi dans sa réponse de 2007 [7] rappelle les fondamentaux de son ecclésiologie :
• L’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique. Cela signifie que l’Église catholique est la seule Église qui de manière continue est présente depuis le début (conduite par les successeurs de Pierre et les évêques) et la seule dans laquelle persistent tous les éléments introduits par le Christ, maintenant et dans le futur. L’utilisation de l’expression « subsiste dans » déclare en plus « la pleine identité de l’Église du Christ avec l’Église catholique » [8] . (aux questions 2 et 3)
• Le fait que l’on ne dise plus que « l’Église catholique est l’Église du Christ », mais qu’elle « subsiste dans », signale « qu’en dehors de ses structures, on trouve "de nombreux éléments de sanctification et de vérité ", " qui, appartenant proprement par don de Dieu à l’Église du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique. " En conséquence, ces Églises et Communautés séparées, bien que nous les croyions victimes de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique. » (à la question 3)
• À celles que l’on appelle les Églises orientales, l’appellation d’Église est reconnue parce que malgré la séparation (soit la non-reconnaissance de la tête visible, l’évêque de Rome / Le pape) elles possèdent de « vrais sacrements ». D’un point de vue catholique, elles sont des Églises sœurs des Églises particulières catholiques. Comme ces Églises persistent dans la séparation (de l’Église catholique romaine), la plénitude de la catholicité propre à l’Église reste entravée. (à la question 4)
• Les communautés issues de la Réforme du XVIe siècle ne peuvent pas, selon la doctrine catholique, être appelées Églises dans le sens propre du terme. Ce sont des frères et sœurs et communautés séparées. Ils ont peut-être la Parole de Dieu, la vie dans la grâce, la foi, l’espérance et l’amour et les autres dons de l’Esprit Saint mais leurs communautés souffrent de déficiences importantes (defectus). « Parce que, selon la doctrine catholique, ces Communautés n’ont pas la succession apostolique dans le sacrement de l’ordre. Il leur manque dès lors un élément essentiel constitutif de l’Église. Ces Communautés ecclésiales, qui n’ont pas conservé l’authentique et intégrale réalité du Mystère eucharistique, surtout par la suite de l’absence de sacerdoce ministériel, ne peuvent être appelées " Églises " au sens propre selon la doctrine catholique. » (à la question 5)
Les évangéliques ne partagent bien sûr pas le point de vue de cette ecclésiologie catholique romaine. Le rapport le plus récent sur le dialogue évangélique/catholique romain sur ce thème au cours de l’année 2002 [9] le reflète également.
2. Une compréhension différente de l’unité
De la compréhension de ce qu’est l’Église selon l’interprétation de l’Église catholique romaine découle logiquement des approches différentes de l’unité chrétienne et de l’œcuménisme.
Pour l’Église catholique, l’unité et l’œcuménisme vis-à-vis des chrétiens évangéliques signifie la recherche de la « pleine communion » dans l’Église catholique, avec les frères et les sœurs séparés et avec lesquels il n’existe pour l’instant qu’une communion imparfaite.
• Etant donné que seule l’Église catholique est Église au plein sens du terme, cela signifie pour les relations avec les autres chrétiens que même si l’Église catholique possède la plénitude des moyens de salut, la division des chrétiens est un obstacle qui empêche la plénitude de catholicité. Elle reconnaît néanmoins que ce qui est accompli par la grâce de l’Esprit Saint chez « nos frères séparés » peut contribuer à son édification (Unitatis redintegratio, 4). Elle considère que la plénitude de l’Église catholique est déjà actuelle, mais qu’elle doit aussi augmenter à la fois chez les frères et les sœurs séparés, mais également avec ses propres fils et filles qui sont soumis au péché, jusqu’à ce que le peuple de Dieu tout entier atteigne joyeux la totale plénitude de la gloire éternelle dans la Jérusalem céleste (Unitatis redintegratio, 3). [10]
Dans la conception catholique, l’Église catholique romaine se situe donc au centre de tout effort d’œcuménisme à cause de la plénitude de ses moyens de salut et de sa catholicité. Elle estime que c’est en elle que le Dieu trinitaire est pleinement présent en tant qu’incarnation du corps du Christ.
3. La compréhension catholique de l’unité et du retour dans le giron de l’Église catholique
Depuis le concile de Vatican II, l’Église catholique recherche beaucoup plus activement les relations avec toutes les Églises étant donné que la « catholicité » (Unité et complétude) qui, selon elle, lui a été confiée et provient d’elle, doit être étendue au plus grand nombre de chrétiens possible. Selon ses termes « [t]out cela, s’il est accompli avec prudence et patience par les fidèles de l’Église catholique sous la vigilance de leurs pasteurs, contribue au progrès de la justice et de la vérité, de la concorde et de la collaboration, de l’amour fraternel et de l’union. Par cette voie, peu à peu, après avoir surmonté les obstacles qui empêchent la parfaite communion ecclésiale, se trouveront rassemblés par une célébration eucharistique unique, dans l’unité d’une seule et unique Église, tous les chrétiens. Cette unité, le Christ l’a accordée à son Église dès le commencement. Nous croyons qu’elle subsiste de façon inadmissible dans l’Église catholique et nous espérons qu’elle s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles. Il est évident que l’œuvre de préparation et de réconciliation des personnes individuelles qui désirent la pleine communion avec l’Église catholique, se distingue, par sa nature, de l’entreprise. » [11] Si cette ouverture nouvelle est à saluer, la vision consistant à ramener tous les chrétiens dans son giron reste un obstacle important. Dans ce contexte, il s’agit de continuer à chercher et à approfondir le dialogue et les discussions avec l’Église catholique pour clarifier cette question centrale. Dans la pratique, si cette ecclésiologie reflète la position officielle de l’Église catholique romaine, il convient de préciser qu’elle ne reflète pas nécessairement le point de vue des catholiques que nous sommes appelés à côtoyer localement.
V. Conséquences et recommandations pratiques
Cette dernière partie vise à esquisser les conséquences pratiques de ce qui précède du point du vue du RES et de ses membres – les conséquences générales pour les relations avec les Églises chrétiennes et le cas particulier de la relation à l’Église catholique romaine.
1. Collaboration dans l’unité et la différence selon la compréhension du RES
Les différentes ecclésiologies empêchent aujourd’hui une union institutionnelle des Églises chrétiennes. Mais les collaborations au sein de plateformes locales – y compris au sein de sections locales du RES - ne nécessitent pas le même niveau d’accord.
Les chrétiens catholiques qui adhèrent aux documents de base du RES peuvent déjà – ce n’est pas nouveau – adhérer au RES à titre individuel s’ils le souhaitent. Cela peut constituer une première étape vers une collaboration plus étroite et encourager l’échange et le dialogue. Actuellement, l’adhésion de chrétiens catholiques au RES est très rare, pour ne pas dire inexistante. En revanche, un certain nombre de chrétiens membres d’Églises réformées sont membres, à titre individuel, du RES.
2. Développer et soigner les relations locales avec les catholiques
Sur un plan local, le RES recommande à ses membres de rechercher la collaboration avec toutes les Églises chrétiennes et d’entretenir de bonnes relations avec alles. Des contacts personnels et un comportement aimable devraient aller de soi. Il est souhaitable de chercher à établir des relations de confiance et d’amour fraternel et de développer ces liens. La confiance et l’amour fraternel pourront alors se consolider dans une attitude de respect mutuel des différences, sachant que les points de frictions peuvent être assumés avec patience et humilité.
Quant à la question de savoir dans quelle mesure de telles relations peuvent induire une prière, des actions ou des projets communs, il appartient aux responsables locaux et aux fédérations d’Églises, selon la situation à laquelle ils font face, d’en décider.
3. La primauté de l’unité spirituelle (intérieure) sur l’unité institutionnelle (extérieure)
Une unité extérieure, visible et institutionnelle doit avant tout pouvoir s’appuyer sur une unité « intérieure », une unité « des cœurs », une unité dans l’Esprit Saint (unité spirituelle), sans quoi elle devient une simple manifestation extérieure d’une unité qui n’a pas de réalité vécue. L’action de l’Esprit Saint doit toujours avoir la priorité sur nos initiatives et institutions humaines. Ce qui est primordial, c’est que la paix du Christ qui offre l’unité et que l’Esprit de vérité qui donne la liberté règnent, afin que le Père soit glorifié.
Sur la question de l’adhésion de paroisses catholiques au RES ou à ses sections locales :
• Les sections locales du RES peuvent offrir la possibilité aux paroisses locales catholiques d’avoir un statut d’hôte au sein de la section, leur permettant ainsi de participer et de coopérer dans le cadre des rencontres de la section, des événements du Réseau évangélique ainsi que lors des échanges et dialogues. La même chose est aussi possible pour les paroisses réformées.
• Pour ce qui concerne les membres individuels, le Réseau évangélique suisse accueille les chrétiens de toutes confessions chrétiennes en mesure d’adhérer à ses documents de base. Il en va autrement des membres collectifs, et en particulier des Églises. En effet, ses statuts prévoient explicitement que seules « les paroisses ou Églises de professants » peuvent devenir membres du RES. Au vu de l’identité et de la vocation du RES, consistant à représenter les unions d’Églises, Églises, œuvres et personnes, qui se reconnaissent dans une identité et une confession de foi évangélique et à leur offrir une plateforme commune, et compte tenu du fait que dans ce contexte, le RES est aussi la fédération des unions d’Églises évangéliques romandes, l’adhésion de paroisses réformées ou catholiques au RES (à l’échelle romande) ou dans le cadre de ses sections locales n’est pas envisageable.
4. Possibilités de collaborations
Le pourquoi et le comment d’une collaboration entre, d’une part, une Église évangélique, une fédération cantonale ou une section locale du RES et, d’autre part, d’autres Églises chrétiennes, dépendent beaucoup de la situation locale. Celle-ci peut être très différente selon le contexte. Deux attitudes nous semblent fondamentalement à éviter : une peur viscérale du rapprochement ou, au contraire, l’exercice d’une pression pour le rapprochement, là où la situation n’est pas mûre pour un tel processus. Malgré les impératifs du Nouveau Testament nous invitant à donner corps à l’unité déjà établie en Jésus-Christ et en dépit des éléments qui nous rapprochent, il ne faut jamais en venir à exercer des pressions qui l’emporteraient sur les questions de conscience et les convictions personnelles, spirituelles et théologiques de chacun. Si ces conditions sont réunies, un « témoignage commun » est possible.
a) Participation à de l’événementiel local et à des institutions
Dans les endroits et régions où il existe des opportunités de prendre la parole publiquement dans un tournus avec d’autres Églises (par exemple par une présence dans les médias, lors d’évènements, dans les EMS, etc.) il est souhaitable d’en faire usage de concert. Les Églises catholique, réformée et évangélique devraient ici être en mesure de coopérer.
b) Témoignage commun rendu à la société – collaboration ponctuelle
On peut s’engager ensemble dans des actions humanitaires et sociales, locales ou régionales. Par exemple : distribution de repas, bourse aux vêtements, logements d’appoint, prévention et aide face aux addictions, conseils et assistance pour les familles et les femmes enceintes, travail dans les rues, aide aux séniors, soutient aux chômeurs etc.
Les actions publiques (par exemple pour les chrétiens persécutés, distribution de Bibles, sensibilisation à des sujets éthiques) ont aussi un plus grand impact lorsque les chrétiens se présentent tous ensemble.
c) Méditations en commun, réunions de prières, cultes, saintes cènes
Faire l’expérience de la présence du Christ chez l’autre, dans des cadres privés, lors de prières, de cultes ou d’événements publics, offre une occasion de se prendre les uns les autres au sérieux malgré toutes les différences et d’apprendre à s’apprécier. Il n’est plus là question de ne se concentrer que sur ce qui nous a séparés durant des siècles, mais au contraire, de mettre en avant ce que nous avons en commun, c’est-à-dire Jésus-Christ, le Dieu qui s’incarne. Une participation occasionnelle au culte / messe d’autres Églises dans le cadre d’une solidarité familiale et de l’entretien de l’amitié devrait aussi être considérée comme normale.
Une participation commune à la Sainte Cène et à l’Eucharistie sont l’objet d’approches différentes parmi les membres du RES. La participation est laissée au libre jugement et à la conscience de chacun.
d) Evangélisation commune [12]
Une évangélisation menée en commun nécessite d’avoir une compréhension et une proclamation commune de l’Évangile biblique.
Les chrétiens évangéliques regrettent parfois de ne pas trouver dans les proclamations catholiques, le fait que le salut obtenu une fois pour toutes sur la croix en Jésus est suffisant et que l’accès à celui-ci se fait par la foi seule, sans la nécessité d’aucun autre moyen de salut. À l’inverse, les chrétiens catholiques estiment parfois, sans remettre en cause la valeur de leur prédication, qu’il manque certains éléments aux évangéliques. Ils soulignent spécialement la nécessité de vivre l’Évangile dans le cadre sacramentel de l’Église (catholique) et de reconnaître l’autorité de son magistère.
Une évangélisation menée en commun sera difficile à envisager aussi longtemps que l‘un considérera qu’il y a de sérieuses déficiences dans la compréhension que l’autre a de l’Évangile. Selon la situation locale, certaines formes d’évangélisation commune sont possibles si l’on se met d’accord sur certaines questions pratiques permettant à chacun de présenter son point de vue sur les grands thèmes de la foi. Cela peut être le cas par exemple dans le cadre de soirées de découverte de la foi chrétienne menées conjointement.
5. Appellation en cas d’apparitions publiques communes
Pour certaines des unions d’Églises, communautés locales, fédérations cantonales ou sections locales du RES, une collaboration régulière avec l’Église catholique romaine est déjà une réalité. Certaines sections locales ont pu être amenées à se poser la question d’un élargissement et d’un changement d’identité et d’appellation, particulièrement en Suisse allemande. Le Réseau évangélique suisse recommande de conserver l’identité et l’appellation actuelles.
• La vocation du Réseau évangélique suisse consiste à offrir une plateforme commune aux unions d’Églises, Églises locales, œuvres, personnes, qui se reconnaissent dans une identité et une confession de foi évangéliques. L’appellation « Réseau évangélique » rend visible cette partie du christianisme en Suisse romande.
• Là où une collaboration locale entre les différentes Églises chrétiennes se vit, le RES recommande de rendre visible cette unité d’une autre manière. Une collaboration permanente ou ponctuelle peut être communiquée par une phrase telle que « organisé par le Réseau évangélique X et la paroisse catholique Y ».
Le teste en entier, avec les annexes, sera disponible sur notre site.
[1] Cardinal Walter KASPER, La lumière du Christ et l’Église, Sibiu, 2007, 4.
[2] Dominus Iesus, 16
[3] Déclaration de Padoue, 1999, publié par l’Istituto di Formazione Evangelica e Documentazione (IFED) et l’Alliance évangélique italienne – du point de la philosophie, cette conception provient du concept de « nature et grâce » de Thomas d’Aquin. Voir aussi les nombreux articles de BOLOGNESI Pietro, théologien et Directeur de l’Institut de Théologie Evangélique (I.F.E.D.) à Padoue (Italie).et DE CHIRICO Leonardo. Evangelical Theological Perspectives on post-Vatican II Roman Catholicism, Religions and Discourse 19, Peter Lang Verlag, 2004..
[4] Lumen Gentium 1.
[5] Déclaration de Padoue, 1999, Nr. 2.
[6] « Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine de l’Église » 2007. Ces réponses ont été formulées par la Congrégation pour la doctrine de la foi, approuvées et confirmées par le Pape et publiées. Voir :
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20070629_responsa-quaestiones_fr.html
[7] Voir annexe III.
[8] Voir annexe III I
[9] Le passage important pour notre discussion se trouve plus bas dans l’annexe II
Note : Il s’agit d’un rapport rédigé par les représentants officiels de deux instances. Le rapport montre l’état de la discussion en 2003, mais ne constitue pas une position conjointe officiellement autorisée.
[10] Commentaire sur les réponses aux questions concernant la doctrine de l’Église.
[11] Unitates redintegratio 4.
[12] Les déclarations à ce sujet se trouvent dans les documents des dialogues officiels avec l’Église catholique au paragraphe 7.2 g) de ‘Le dialogue catholique romain – évangélique sur la mission (1977-1984)’, dans le Manifeste de Manille, 1992, paragraphe 9 et de manière plus détaillée, dans la partie 2 de Église, évangélisation, et les liens de la Koinonia. Le document Le témoignage chrétien dans un monde multireligieux – Recommandations de conduite, cosigné en 2011 par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le Conseil œcuménique des Eglises et l’Alliance évangélique mondiale, met en évidence le souci commun des Eglises pour la mission et représente une aide lors de discussions inter-Eglises au sujet de l’évangélisation.