« Tout homme meurt dans la dignité ! », interview de Denys Pellerin, président honoraire de l’Académie nationale de médecine
29 octobre 2008
Le professeur Denys Pellerin est président honoraire de l’Académie nationale de médecine, ancien président de l’Académie de chirurgie et membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Rencontre avec un spécialiste des questions sur la fin de vie.
Nombreux sont ceux qui militent pour la légalisation de l’euthanasie et invoquent le « droit de mourir dans la dignité ». Que penser d’une telle expression ?
Tout homme meurt dans la dignité ! L’homme porte en lui sa dignité, celle d’être un être humain, né pour vivre dans la société humaine. Cette vie comporte nécessairement une fin. Quel que soit son état physique, l’homme, jusqu’à l’achèvement de sa vie, conserve sa dignité, qui appelle respect, soutien et solidarité. Il en était toujours ainsi, autrefois, dans nos familles. Il en est encore ainsi, dans la plupart des cultures traditionnelles. Malheureusement, aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, la mort est rejetée, vécue comme un échec de la médecine, et survient trop souvent dans la solitude d’un hôpital ou d’une maison de retraite.
N’est-ce pas justement ce que refusent les tenants de l’euthanasie qui ont une autre conception de la dignité ? La Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît à chacun le droit fondamental d’être libre : pourquoi ne serait-il pas libre de choisir de mettre un terme à sa vie s’il l’estime « indigne » ?
En l’absence de toute référence spirituelle, en effet, certains revendiquent le droit individuel de définir ce qui fait sa dignité. En quelque sorte l’idée qu’on a de soi, ou l‘aspect de soi qu’on consent à offrir au regard des autres. Ce qui impliquerait un droit à mettre fin à sa vie comme une ultime liberté. Observez que le suicide existe et que la loi ne l’interdit pas. Une légalisation de l’euthanasie serait tout autre chose. Elle consisterait pour notre société à s’autoriser à donner la mort à l’un des siens, s’il la demandait. Ce serait une grave méprise sur ce que sont les droits de l’homme. Il n’est pas seulement question des droits de l’homme individu, autonome, comme s’il était seul sur la terre ! Chaque homme est aussi l’une des composantes de la société humaine. Il n’appartient à aucun de ses membres de mettre un terme à la vie d’un de ses semblables. Donner la mort est une transgression au principe universel : « Tu ne tueras point ! »
Respecter la dignité du mourant, ne serait-ce pas justement l’aider à mourir, s’il le demande ?
Nous sommes là pour l’aider à vivre. En ce qui concerne les patients qui du fait de leur maladie, devenue incurable, ou de leur grand âge, sont parvenus au terme inéluctable de leur vie, savez-vous que bien peu d’entre eux revendiquent l’euthanasie ? Ces demandes, très rares, viennent le plus souvent, non pas de la personne elle même, mais de sa famille, ou d’une culpabilité qu’on lui fait subir en lui renvoyant une certaine image. C’est pourquoi le devoir de la société est de développer autant que nécessaire les soins palliatifs. Dans l’accompagnement et l’apaisement qu’ils procurent, hors de tout acharnement thérapeutique, s’exprime le respect de la dignité de la personne. Jusqu’au terme de la vie.
Chantal Sébire, Vincent Humbert, etc. : comment réagir face à ces demandes d’euthanasie ?
Pour ces personnes que vous citez, le temps de la fin de la vie n’était pas encore arrivé. Il faut bien faire la distinction entre « fin de vie » et « arrêt de vie ». Or le devoir du médecin est de soulager la souffrance, en aucun cas d’arrêter la vie. Aider au suicide, c’est donner la mort. Un médecin ne peut donc s’associer à ce geste. S’il arrivait que, confronté à une situation exceptionnelle et extrême, le médecin, en son âme et conscience, décide d’arrêter une vie, le geste de donner la mort resterait une transgression grave, quelles qu’en soient les circonstances et les justifications. Une telle décision ne peut jamais se prévaloir d’une évidence éthique claire. C’est pourquoi le médecin qui en aurait pris la responsabilité devrait être capable, s’il y avait lieu, de répondre de son acte et de s’en expliquer devant les autorités judiciaires.
La mort a-t-elle un sens que nos contemporains ont oublié ?
Cela se pourrait en effet. Nul n’y est pourtant indifférent et beaucoup s’interrogent. Le pouvoir mystérieux de la mort tient dans le fait que, tout en mettant fin à la vie elle peut lui donner valeur et sens. D’une certaine manière, la mort fait partie de la vie, puisqu’elle l’achève. Ainsi, nul ne peut décider du jour de sa mort, pas plus qu’il n’a pu choisir lui-même le jour de sa naissance.