Une rue Mère Marie Skobtsok à Paris
Un tribut d’Héléne Klépinine-Arjakovsky, fille du Père Dimitri, arrêté en même temps que Mère Marie
Texte lu par Monseigneur Jean
Une longue silhouette noire arpente les rues du quinzième arrondissement de Paris en ces jours sombres de l’Occupation allemande ; ce matin-là, la religieuse revient du métro aérien et porte un lourd sac sur son dos, elle a fait son marché aux Halles pour alimenter la cantine du foyer qu’elle a ouvert au 77 rue de Lourmel.
Les habitants du quartier connaissent cette religieuse russe, le bougnat lui livre du charbon, le boulanger du pain. Au commissariat de police de Javel, on a l’habitude de la voir venir faire apposer les tampons nécessaires pour les permis de travail des femmes russes employées dans l’atelier de confection qu’elle a ouvert. On la voit aussi avenue Félix Faure où elle a fondé un autre foyer pour hommes seuls. Elle arpente ce quartier, chaussée de grossiers souliers, sa démarche est énergique, ses yeux, cerclés de lunettes, attentifs et souvent rieurs. Elle parle français avec un accent russe. C’est mère Marie Skobtsov.
L’autre jour on l’a vue entourée d’enfants au square Violet, rue des Entrepreneurs. Comme les Allemands ont interdit l’accès des squares aux mamans juives, elle a emmené un groupe d’enfants profiter du soleil. Les voisins du 77 rue de Lourmel observent qu’il y a beaucoup d’allées et venues autour de ce foyer : le matin entrent les ouvrières de l’atelier, vers midi les gens se rendent à la cantine, on peut y manger pour une somme modique et en ces temps de restrictions, c’est vital. Le jeudi, des enfants franchissent le portail, Mère Marie a ouvert une petite école où on étudie la culture russe et le catéchisme.
Dans la cour, il y a une petite église de culte orthodoxe installée dans l’ancienne écurie, Mère Marie l’a décorée de vitraux peints et d’icônes brodées. Un prêtre dessert cette paroisse, il habite sur place avec sa femme et ses deux enfants, c’est le père Dimitri Klépinine. On peut le voir du côté de l’hôpital Boucicaut où il visite des malades, il se rend aussi au domicile de ses nombreux paroissiens, habitants du quartier auxquels il apporte un viatique ou une consolation.
Des silhouettes plus discrètes se glissent dans la maison en ces temps de persécution : ce sont des Juifs qui viennent chercher un certificat d’appartenance à la paroisse, espérant que cela peut leur éviter une arrestation. Plus tard on apprendra que Mère Marie et Père Dimitri appartenaient à la Résistance et ont pu sauver de nombreux Juifs.
Le 8 février 1943, les Allemands mettent fin à l’activité de ce groupe. Mère Marie et Père Dimitri sont arrêtés et déportés. Mère Marie meurt le 31 mars 1945 à Ravensbrück, Père Dimitri le 9 février 1944 à Buchenwald.
Il n’est pas indifférent d’habiter rue Mère-Marie !
Quand disparaissent des personnalités telles que Mère Marie Skobtsov, depuis 2004, sainte Marie de Paris, leur trace, leur exemple, leur appel continuent à vivre dans les consciences des générations futures.
Et j’espère que le passant qui va lire le nom de cette plaque apposée ce 31 mars 2016 et se demander qui était cette Mère Marie, trouvera auprès des habitants de cette rue et du quartier de quoi satisfaire sa curiosité.
Hélène Klépinine-Arjakovsky
Note G. Fonlladosa
Le 8 février 1943, Hélène Klépinine n’avait que cinq ans lorsque son père fut arrêté par la Gestapo en même temps que Mère Marie et son fils Youri, pour avoir aidé et sauvé des Juifs, en mettant en place un système de faux certificats de baptême.
En 1939, année de naissance d’Hélène. Dimitri Klépinine avait été nommé recteur de la paroisse de la Protection de la Mère de Dieu, rue de Lourmel au foyer ouvert par Mère Marie. Il entra dans l’organisation qu’elle a créée, l’Action Orthodoxe, pour venir en aide aux malheureux du quartier.
Il fut canonisé en 2004 en même temps que Mère Marie et son fils Youri.