Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Fête de la Divine Miséricorde, messe in albis avec les néophytes et quatrième anniversaire de l’élection du pape Benoît XVI
Cathédrale Notre-Dame de Paris - Dimanche 19 avril 2009
– Voir un album photo de cette célébration.
Ac 4, 32-35 ; Ps 117, 1.4.16-17.22-25 ; 1 Jn 5, 1-6 ; Jn 20, 19-31
Frères et sœurs,
Lorsque Jésus ressuscité se manifeste à ses apôtres, il leur donne la paix, il leur dit « la paix soit avec vous ! » (Jn 20, 19).
Nous pouvons entendre cette salutation dans son sens premier, comme une simple façon de dire bonjour au temps du Christ : « Shalom, la paix soit avec vous ». Mais l’évangile de saint Jean ne nous rapporte certainement pas cette phrase pour nous apprendre que Jésus a dit bonsoir à ses disciples ! Il souligne d’ailleurs que Jésus l’a répétée une deuxième fois : « il leur dit à nouveau : la paix soit avec vous » (Jn 20, 21).
Il nous montre que cette phrase de Jésus porte un message et un projet : le Christ ressuscité vient nous donner la paix de la part de Dieu. Tout à l’heure, il nous le dira aussi comme dans chaque eucharistie : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix ».
Cette paix que le Christ nous donne c’est la paix qui vient de Dieu.
Il ne nous la donne pas « à la manière du monde » (Jn 14, 27). Elle n’est pas la simple absence de violence ou une relative tranquillité de vie. C’est la paix profonde du cœur réconcilié avec Dieu.
C’est pourquoi cette salutation est liée à la mission que Jésus donne immédiatement à ses apôtres : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Puis il répand sur eux son souffle et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés lui seront remis ; tout homme à qui vous les maintiendrez ils seront maintenus » (Jn 20, 21-23).
Dans l’évangile de saint Jean, il n’y a pas de récit de la Pentecôte. Le don de l’Esprit aux apôtres est lié à cette présence du Christ ressuscité qui répand son souffle sur eux. Il leur donne son Esprit pour qu’ils soient les ministres du pardon, c’est-à-dire pour qu’ils soient ceux qui donnent la paix de la part de Dieu. Jésus donne son Esprit à ses apôtres comme il l’avait remis au moment de sa mort.
Selon le récit de la Passion de l’Evangile de Saint Jean que nous avons entendu le vendredi saint, au moment de sa mort sur la croix, Jésus remet l’Esprit. Ceci signifie que Jésus rend sa vie à Dieu mais aussi qu’il répand sa vie sur tous ceux qui croient. C’est pourquoi le dernier verset que nous venons d’entendre dit encore « par votre foi, vous avez la vie en son nom » (Jn 20, 31). Ce don de l’Esprit est encore symbolisé dans l’évangile de Jean par l’eau et le sang qui jaillissent du cœur transpercé du Christ.
Nous comprenons ainsi que la réconciliation avec Dieu est le fruit du don que Jésus a fait de sa vie. Le sacrifice que Jésus a offert pour les péchés du monde ouvre à la réconciliation entre les hommes et à la réconciliation de chacun avec lui-même.
Quand Thomas est enfin devant le ressuscité, Jésus lui fait toucher ses mains et son côté pour qu’il constate que celui qui a donne cette mission de réconciliation est bien le même que celui qui a été crucifié. Le Christ ressuscité, c’est Jésus de Nazareth élevé de terre sur la croix et qui de son côté transpercé répand sa vie sur les hommes.
Ce ministère de réconciliation confié aux apôtres est l’une des tâches principales de l’Église, qui est à la fois le témoin et le ministre de la miséricorde de Dieu au milieu du monde. Le Pape Jean Paul II a décidé en 2000 que ce deuxième dimanche de Pâques au cours duquel nous lisons cet évangile, serait dédié à la miséricorde Divine. Il lui semblait en effet qu’au cours du troisième millénaire commençant, la famille humaine aurait besoin d’une façon particulière de faire l’expérience du pardon et de la miséricorde.
En effet, nous le savons, le péché n’est pas simplement une faute morale. Il est aussi un acte qui enténèbre le cœur et qui le rend opaque à la Parole de Dieu. Il plonge celui qui le commet dans la tristesse, l’isolement et le remord. Or Dieu ne veut pas abandonner l’homme à son remord, à son isolement, ni à sa tristesse. Il veut que l’homme vive ! C’est pourquoi il manifeste sa miséricorde comme Jésus le révèle à plusieurs reprises dans les évangiles. Nous connaissons bien la parabole du père qui accueille son fils prodigue. Il nous montre cette miséricorde divine en œuvre.
Nous sommes habités par la conviction que le Dieu auquel nous croyons est un Dieu de miséricorde, un « Dieu riche en miséricorde » dit saint Paul (Ep 2, 4). C’est la source de notre espérance la plus profonde, qui nous donne d’assumer non seulement les difficultés de la vie mais aussi nos faiblesses et notre péché.
Si nous n’étions pas assurés de la miséricorde de Dieu, si nous ne pouvions pas compter sur le don de son Esprit pour réconcilier notre cœur avec lui, nous réconcilier entre nous et avec nous-mêmes, nous serions voués au désespoir et à la haine.
Peut-être une certaine forme de la violence sociale que nous constatons aujourd’hui est-elle le fruit de la culpabilité dans laquelle beaucoup d’hommes et de femmes sont enfermés faute d’espérance en la miséricorde ? En effet, puisque l’homme est libre et responsable de sa vie, il ne peut échapper par lui-même aux conséquences de ses actes. Il a besoin que se pose sur lui non seulement le regard, mais aussi le geste de la miséricorde.
Pour nous chrétiens, ce chemin de conversion et de renouvellement de nos cœurs passe par une démarche de repentir. Le fils prodigue revient vers le Père et lui dit : « mon père j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, prend-moi comme un de tes serviteurs » (Lc 15, 18-19). L’annonce de ce chemin de conversion, du retour vers le Père qui ouvre à la plénitude de la miséricorde est au cœur de la relation de l’Église au monde.
Nous sommes envoyés dans le monde pour être témoins de la miséricorde qui nous a été faite. Ce n’est pas nous qui faisons miséricorde, c’est Dieu qui nous fait miséricorde. Mais c’est parce qu’il nous a fait miséricorde, que nous sommes capables d’assumer notre existence et de manifester par notre manière de vivre que l’amour et la puissance de Dieu sont plus grands que nos faiblesses et nos lâchetés.
Notre sérénité et notre joie sont le signe que nous ne sommes pas enfermés dans notre petit univers de violence, de contradictions et de péchés, mais que nous sommes entraînés dans l’immensité de l’amour de Dieu.
C’est ce que nous disons dans la prière du Seigneur que nous récitons à chaque eucharistie : « pardonne-nous nous offenses comme nous pardonnons nous aussi à ceux qui nous ont offensés ».
Puisque Dieu nous a aimés, et qu’il nous a pardonnés et relevés, nous ne pouvons que pardonner et accueillir ceux qui vivent dans l’erreur, la faute ou la violence. Frères et sœurs, nous recevons cette mission avec beaucoup de modestie et d’humilité, et avec le sentiment de notre faiblesse. Mais nous la servons avec la certitude que l’Esprit Saint répandu en nous est acteur de cette réconciliation.
Dans l’Église, la mise en œuvre de ce ministère est confiée aux évêques et aux prêtres. Ils reçoivent spécialement le don de l’Esprit pour être serviteurs de la réconciliation. C’est là une part importante de leur ministère, pas nécessairement quantitativement mais bien qualitativement. Dans cette mission, ils déploient l’œuvre du Christ venu réconcilier les hommes avec Dieu.
Unissons dans notre prière tous ceux qui ont reçu cette mission d’être serviteurs de la réconciliation et de la paix, avec celui qui préside à la charité des églises, le Pape Benoît XVI. Demandons au Seigneur que son implication et son engagement dans la mise en œuvre du pardon et de la miséricorde offerts par Dieu soient mieux compris et mieux appréciés, y compris par nous qui sommes pécheurs et qui avons aussi besoin d’être réconciliés et toujours reçus dans la joie de la famille de Dieu. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois
archevêque de Paris