Homélie du Cardinal André Vingt-Trois à l’occasion de la présence de la Sainte relique du Curé d’Ars à Paris
Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, samedi 21 mars 2009
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
Frères et sœurs,
Il n’est pas si facile de croire à l’amour de Dieu ! Et nous devrions toujours être attentifs au risque de nous habituer à la vie dans la foi, au point de penser que ceux qui ne croient pas seraient inexcusables. En effet, la foi va d’une certaine façon à l’encontre de l’expérience commune. Comment le peuple de Dieu peut-il croire que Dieu est amour, quand, au moment où il s’engage dans la traversée du désert, Dieu « envoie contre lui des serpents dont la morsure en fait périr beaucoup » (Nb 21, 6) ? Comment Israël peut-il croire à l’amour et à la fidélité de Dieu quand il voit sa ville sainte soumise à l’extermination et au pillage ou pire encore, lorsque le temple du Seigneur est dévasté et brulé ?
Nous pouvons toujours dire que ces événements-là sont de l’histoire ancienne et ne nous regardent pas. Mais aujourd’hui, l’histoire des hommes continue à être traversée par des drames identiques. Peut-on croire que Dieu est amour et qu’il tient ses promesses, quand nous sommes témoins et victimes de l’œuvre de la mort dans le concret de chacune de nos vies, et non pas simplement à travers les errements de notre imagination ?
Il faut se mettre à l’école de l’Ecriture qui relie ces événements dans la conviction que Dieu n’abandonne pas ceux qu’il a choisis. En dépit des nombreuses infidélités et des péchés du peuple, le Livre des Chroniques révèle que Dieu a manifesté sa tendresse et sa miséricorde sans tarder. A cause de sa pitié pour sa demeure et pour son peuple (2 Ch 36,15), il a envoyé des messagers sans attendre et sans se lasser. Mais d’une certaine manière, ceci complique encore notre lecture dans la foi de ces évènements tragiques. Bien sûr, il y a les fautes et les péchés du peuple, « eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu et se moquaient de ses prophètes » (2 Ch 36,16). Mais quand finalement « il n’y eut plus de remède » (2 Ch 36,16) et que les Babyloniens montèrent contre Jérusalem et brulèrent le temple, nous voyons alors la mort faire son œuvre sous le regard de Dieu, rempli de pitié pour sa demeure et pour son peuple. Mais que fait-il ? Est-il sourd ? Est-il aveugle ? Est-il absent ? Que faisait-il pendant que les Babyloniens brulaient le temple ? Que faisait-il quand on emmenait en déportation les habitants de Jérusalem ? Que faisait-il tandis qu’ils étaient en esclavage jusqu’au temps de la domination des Perses ? Que fait-il aujourd’hui quand un enfant meurt, quand un amour est trahi, quand la maladie l’emporte sur la santé, quand la vieillesse épuise nos forces ? Jusques à quand Seigneur !?
La miséricorde et la pitié de Dieu ont été manifestées pour le monde ; « à cause du grand amour dont Dieu nous a aimé, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a fait revivre avec le Christ. C’est bien par grâce que vous êtes sauvés. Dieu riche en miséricorde nous a ressuscité. » (Ep 2, 4-6). Et il y a plus encore : cette puissance de salut et de vie nous est venue par ce qui avait été la cause de notre mort, tout comme le serpent de bronze élevé dans le désert devient le remède pour ceux qui ont été mordus. Ils le regardaient et obtenaient la guérison. « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui à la vie éternelle » (Jn 3,14-15). Celui qui lève les yeux vers le Seigneur cloué sur sa croix et qui le reconnaît est guéri : il est sauvé. Oui, nous avons reconnu l’amour de Dieu à cela qu’il a envoyé son fils pour nous sauver quand nous étions pécheurs.
L’écriture nous conduit à interpréter l’histoire d’Israël et l’histoire de l’humanité, non pas comme une suite de péripéties irrationnelles et imprévisibles mais comme des événements qui s’inscrivent dans l’accomplissement du dessein miséricordieux de Dieu. C’est ainsi que le Seigneur va se susciter chez les païens un serviteur qui mettra fin à la déportation du peuple. Cyrus roi de Perse fera tomber la domination des Babyloniens et à travers une nouvelle guerre et de nouveaux morts, ce sera la libération et le retour.
Comment pouvons-nous envisager notre vie et celle des hommes de notre temps avec ce regard de foi ? Comment pouvons-nous y découvrir l’action puissante et mystérieuse de Dieu qui fraye un chemin pour la vie à travers les ombres de la mort ? Et surtout, comment ce regard nous conduit à changer notre manière de vivre, et nous offre de comprendre et d’interpréter les évènements ? Il est vrai que l’humanité avance de crise en crise. Mais nous ne sommes pas acculés à vivre chacune d’entre elles comme si elle était la fin du monde, comme si nous n’avions pas d’autres horizons que celui de la bourse et des indices financiers, comme si notre seule espérance reposait sur la croissance des richesses, et comme s’il n’y avait d’autres objectifs que le développement de la consommation ! Il nous faut être capables d’entrer dans ce regard de miséricorde et de pitié que Dieu porte sur nous, pour discerner à notre tour les chemins du renouveau et du relèvement, au moment même où nous éprouvons les morsures de la mort.
Quand le Christ sera arrêté, jugé, condamné et exécuté, bien peu lèveront les yeux vers la croix pour y reconnaître la puissance de l’Amour de Dieu, alors même que Jésus avait préparé ses disciples à ce moment et les avait instruits de ce qui allait arriver. Dans notre chemin vers la Pâques, nous entourons les catéchumènes qui vont être baptisés. Nous pouvons nous entrainer les uns les autres à regarder avec foi vers « celui qui a été transpercé », à contempler celui qui a été élevé de terre et attire tous les hommes à lui, et à entendre le témoignage de l’apôtre qui a vu l’eau et le sang couler de son cœur transpercé pour la vie du monde. Dans le dynamisme et la fermeté de cette foi, nous assumons avec confiance et sérénité les événements quotidiens de notre vie. Nous pouvons rendre grâce pour les merveilles de Dieu accomplies, et dans l’épreuve nous supplions vers Dieu, sûrs qu’il n’abandonne jamais son peuple et qu’il est fidèle pour toujours à son alliance.
Frères et sœurs, que le Seigneur fasse grandir en nous la foi au Fils unique. En elle, nous ne périrons pas, mais nous obtiendrons la vie éternelle.
Amen.