Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 25e dimanche du temps ordinaire - année B

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 20 septembre 2009

Sg 2, 12.17-20 ; Ps 53 ; Jc 3, 16-4, 3 ; Mc 9, 30-37

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs,
L’évangile de saint Marc, et particulièrement ce chapitre 8, nous présente la pédagogie mise en œuvre par le Christ pour préparer ses disciples à reconnaître le sens des événements de la Passion et de la Résurrection quand ceux-ci surviendront.

Dans le passage que nous avons entendu dimanche dernier, après la confession de foi de Césarée, Jésus avait annoncé pour la première fois son arrestation, sa passion, sa mort et sa résurrection. Cette annonce donnait d’une certaine façon le contenu concret de sa fonction messianique. Pierre confesse que Jésus est le Messie et Jésus explicite que le Messie est celui qui va être arrêté, condamné et exécuté. Cette prophétie se heurte de plein fouet avec la manière dont les disciples imaginaient la fonction messianique. En confessant l’identité du Christ, Pierre ne pensait certainement pas à l’identifier à la figure du serviteur souffrant du prophète Isaïe. Il pensait bien davantage à un Messie triomphant qui rétablirait le royaume d’Israël. Et vous vous rappelez la réaction du Christ lorsque Pierre le prend à part pour le lui faire remarquer : « arrière, Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu » (Mc 8,33).

Le passage que nous venons d’entendre se situe immédiatement après la transfiguration de Jésus sur la montagne, devant. Comme pour ramener les esprits de Pierre, Jacques et Jean aux conditions et aux contraintes de la mission, le Seigneur leur annonce une seconde fois sa passion, sa mort et sa résurrection. Les trois privilégiés qui l’ont vu dans sa gloire et à qui il a interdit d’annoncer ce dont ils ont été témoins, vont l’entendre à nouveau prophétiser l’échec et la mort. Et l’évangile de saint Marc ajoute ici très justement, comme en beaucoup d’autres endroits : « ils ne comprirent pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger » (Mc 9, 32).

Si vous prenez cette année le temps de relire tranquillement tout cet évangile, vous vous apercevrez qu’à plusieurs reprises, Jésus emmène les disciples à l’écart pour les instruire en particulier et les former à leur mission. Et cependant, l’évangéliste souligne régulièrement qu’ils ne comprenaient pas ce qu’il voulait dire. Comme si tout l’évangile était une sorte de manifestation du décalage entre le sens des paroles de Jésus et ce que les disciples en perçoivent.
Dans ce passage, ils ne comprennent pas mais n’osent pas l’interroger. Ils sont en effet dans un certain malaise puisqu’ils entendent pour la deuxième fois cette annonce de la Passion. Ils se rendent donc bien compte que ce n’est pas une parole venue par hasard.

L’évangile nous fait découvrir une des causes de cette incompréhension. Si, lors de la première annonce de la passion, les douze étaient comme aveuglés par l’image qu’ils se faisaient du Messie, cette fois-ci c’est leur manière de comprendre la figure du chef qui est en cause. Il ne s’agit plus ici de la figure du Messie mais de la figure du maître du groupe, de celui derrière qui les disciples marchent, de celui à l’école duquel ils se sont mis.
Dans leur mentalité, le chef est le premier, celui qui tient la plus grande place. C’est pourquoi tandis qu’ils sont en train de cheminer derrière Jésus, ils discutent pour savoir qui allait devenir le chef de la petite troupe à sa place quand il ne serait plus là, puisqu’il avait annoncé par deux fois qu’il allait les quitter. Puisqu’il va partir, se disent-ils, il nous faut reprendre les choses en mains.

Cette préoccupation de trouver un nouveau leader leur rend difficile d’accepter et de comprendre par quel chemin le Christ légitime son autorité sur l’Église. Car Jésus n’est pas devenu le fondateur de ce groupe apostolique en l’emportant sur quelques rivaux. Il n’est pas devenu le maître et le Seigneur en éliminant d’autres prédicateurs ou d’autres rabbins moins doués ou moins puissants que lui.
Et il veut aider ses disciples à quitter leur vision très politique et très humaine du ministère. Il leur donne une nouvelle leçon sur les conditions et la logique de la mission à laquelle ils sont appelés : « celui qui veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Mc 9, 35). Si quelqu’un veut le remplacer, il faut qu’il se fasse le serviteur de tous et qu’il prenne la dernière place.

Par ces paroles, Jésus ouvre un espace de réflexion sur la constitution hiérarchique de l’Église. Il y a bien une constitution hiérarchique, une autorité, des responsables, des maîtres, des docteurs et des apôtres. Mais aucun de ceux qui exercent l’autorité et la responsabilité, aucun de ceux qui reçoivent la mission de conduire et d’instruire le troupeau ou d’annoncer l’Evangile n’acquiert pour autant une position sociale qui le mettrait au-dessus de tous.
Au contraire le Christ, par un raccourci saisissant, va leur faire comprendre la logique de la toute puissance de Dieu : il prend un petit enfant et le place au milieu d’eux. Dans la société de ce temps, qui n’était pas toute entière dans l’adulation de ses enfants comme la nôtre, l’enfant était le signe le plus parlant et évident de la faiblesse et de l’insignifiance. Jésus prend donc cet enfant, l’embrasse et dit : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille » (Mc 9, 37). Pour définir sa position hiérarchique, Jésus ne prend ni le modèle du roi, ni celui du procurateur ou du grand prêtre, ni non plus celui du rabbin ou même celui du père ou de l’époux. Jésus prend dans la société de son temps le modèle de l’enfant, de celui qui est soumis à tous.

Si nous voulons vraiment accueillir le Christ, il nous faut l’accueillir comme un enfant, comme quelqu’un qui ne s’impose par aucun pouvoir.

Et il y a plus encore. Celui qui accepte de comprendre que le Christ ne vient pas pour imposer son pouvoir mais pour manifester la vérité et pour apporter le salut, découvrira qu’à travers lui, celui qui se manifeste et que nous accueillons est plus que la personne de Jésus, mais vraiment Dieu lui-même ! En ce raccourci saisissant, le Dieu tout puissant est identifié à la faiblesse complète de cet enfant placé au milieu des douze. Celui que nous connaissons comme le maître des univers, celui dont la toute puissance est à l’origine de toute vie, celui qui ressuscitera le Christ d’entre-les-morts, est au milieu de nous comme un enfant.

Dès lors, toutes les missions que nous exerçons dans l’Église, nous qui sommes les responsables de sa vie, de sa marche, de son enseignement et de son action ; ces missions ne nous constituent pas maîtres, mais font de nous des serviteurs et des enfants. Vous savez comment cette réalité sera mise en évidence par le Christ dans le lavement des pieds et le discours qui suuivra : « Vous m’appelez le Seigneur et le maître et vous avez raison. Mais si moi qui suit le maître et le Seigneur je me suis fait votre serviteur, vous devez vous faire vous aussi les serviteurs les uns des autres » (Jn 13, 13-14).

Ainsi, après avoir reconnu que le Messie se manifesterait selon l’image du serviteur souffrant du livre d’Isaïe, nous sommes invités à reconnaître que le Messie sera au milieu de nous comme un enfant désarmé. Dès lors, nous pouvons faire un pas de plus avec les disciples dans l’intelligence de ce que Jésus a voulu accomplir au milieu des siens et de ce qu’il réalise au milieu de nous.

Que Dieu ouvre un peu notre cœur à cette lumière et qu’il nous fasse comprendre que l’Église est fidèle à sa mission non quand elle prend des pouvoirs ou impose son point de vue parmi les hommes, mais quand elle accepte de suivre le chemin du serviteur et de recevoir de Dieu la force dont elle a besoin.
Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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