Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 26ème dimanche du temps ordinaire

Sainte-Marguerite (Paris) - dimanche 27 septembre 2009

 Nb 11, 25-29 ; Ps 18.8.10.12-14 ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38-43.45.47-48

Frères et sœurs, tout au long de ces dimanches, l’évangile de saint Marc nous aide à découvrir ce qu’être disciple signifie concrètement. Le passage que nous venons d’entendre nous fait mieux comprendre certaines limites ou certains obstacles qui se présentent dans la suite du Christ. Pour les apôtres réunis autour de Jésus, l’une de ces difficultés est d’accepter l’ouverture de leur groupe à des gens qui n’ont pas été avec eux depuis le début.
Le texte du Livre des Nombres précise avec soin que Josué suivait Moïse, « depuis sa jeunesse » (Nb 11, 28). Il avait donc une certaine ancienneté dans le service du Peuple de Dieu. De même, au sein de nos communautés chrétiennes, nous sommes un certain nombre à suivre le Christ depuis notre jeunesse. Nous avons parcouru un long chemin, nous avons dépensé pas mal d’énergie, nous avons rendu quelques services…, et nous avons le sentiment que notre place auprès du Christ n’est pas usurpée, même si nous savons bien que nous sommes faibles.
Pour cette raison, notre manière de comprendre et de penser la mission consiste plus naturellement à nous resserrer ensemble sur ce que nous avons fait et réalisé, et qui est comme notre héritage, plutôt que d’imaginer que l’Esprit de Dieu puisse susciter autre chose, ailleurs et avec d’autres personnes. Et au moment de passer à l’action, notre réflexe est de nous tourner vers celles et ceux que nous connaissons depuis longtemps, dont nous savons qu’ils font partie de notre groupe, qu’ils sont « de ceux qui nous suivent » comme dit Jean dans l’évangile (Mc 9, 38).
Mais le Seigneur nous pousse constamment à déplacer nos frontières, comme il le fait pour le peuple d’Israël dans le Livre des Nombres, quand l’Esprit Saint est répandu sur deux hommes qui étaient restés en dehors du camp et ne faisaient pas partie du groupe de ces soixante-dix anciens choisis par Moïse pour le seconder. Quand l’Esprit vient sur eux et qu’ils se mettent à prophétiser, aussitôt, le « comité de défense » se met en place pour dire : ‘Il faut les arrêter, les empêcher. Ils ne sont pas légitimes, ils ne sont pas des nôtres.’ Mais Moïse s’exclame alors : « Plût à Dieu que tout le peuple prophétise » (Nb 11, 29), que tout le peuple reçoive l’Esprit.
Comment être attentifs pour reconnaître et accueillir tous ceux et celles qui sont intéressés par la personne de Jésus ou sensibilisés à une parole de l’Evangile, ou tout simplement ceux et celles qui sont malheureux et qui cherchent un peu d’espoir ? Comment recevoir dans nos communautés, non seulement ceux et celles que nous connaissons déjà d’une certaine façon, mais encore ceux et celles que nous ne connaissons pas, qui ne sont pas des nôtres, qui ne nous suivent pas habituellement, et qui pourtant ont eu le cœur touché par Dieu d’une façon qui ne dépend pas de nous ?
Car Dieu parle au cœur de chaque homme comme il le veut. Il suscite au cœur de tout homme des appels, des demandes et des désirs que nous ne pouvons pas imaginer. Et la véritable barrière qui empêche des personnes nouvelles d’entrer dans notre communauté et dans notre église, n’est pas leur manque d’ancienneté, mais le fait que nous-mêmes pouvons être pour eux une cause de scandale. Car leur intégration ne consiste pas à les naturaliser en les rendant conformes à ce que nous sommes. Nous devons d’abord comprendre que par notre manière de vivre et d’être, par nos paroles, nos gestes et notre attitude, nos omissions ou nos silences, nous pouvons scandaliser ceux qui découvrent le Christ, lorsqu’ils mesurent l’écart entre la richesse de la promesse de l’Evangile et la pauvreté de la manière dont nous les mettons en œuvre. Les difficultés que nous rencontrons lorsque nous cherchons à accueillir celles et ceux qui se posent des questions et qui se présentent, ne doivent pas être situées en eux, comme si elles provenaient de leur étrangeté. Le principal obstacle à l’évangélisation n’est pas que nos contemporains soient surpris, étonnés, ou déroutés par la Parole de Dieu, ou bien qu’ils soient trop différents, pensent autrement et aient d’autres attentes. La lenteur de l’avancée de l’Evangile vient de nous, de ce que la Parole de Dieu n’a pas encore complètement transformé notre vie, de ce que nous ne sommes pas suffisamment convertis à l’évangile.
Il peut arriver, pour reprendre les images de l’évangile, que notre main, notre pied, ou notre œil, deviennent objet de scandale. Notre main, c’est ce que nous faisons, notre pied, c’est l’endroit où nous allons, notre œil, c’est notre manière d’entrer en relation avec les autres. Notre main nous entraîne au péché si ce que nous faisons nous détourne de l’Evangile. Notre pied nous entraîne au péché s’il nous conduit loin des chemins du Christ. Et notre œil nous entraîne au péché s’il devient un instrument de convoitise et non pas de rencontre et de dialogue.
Si l’Evangile insiste sur cet obstacle radical à l’évangélisation, ce n’est pas pour nous décourager ou pour nous culpabiliser. Il veut nous aider à comprendre à quel endroit se situe ce qu’il faut changer. L’objectif n’est donc pas d’empêcher les autres de participer mais de renouveler notre manière de vivre pour que les autres puissent participer.
Tout ceci explique pourquoi, dans l’élan missionnaire que j’ai souhaité donner au diocèse, j’ai voulu unir de manière plus explicite la mission et l’eucharistie. En effet, notre manière de participer à l’eucharistie, de recevoir la Parole de Dieu, d’accueillir le pain de vie, de nous recevoir les uns les autres comme des frères et des sœurs, tout ceci sera une source de renouvellement et de conversion pour notre vie, et ouvrira la possibilité pour d’autres personnes de découvrir l’Evangile et de rejoindre la communauté du Christ.
Frères et sœurs, le Christ en s’acheminant vers sa passion, essaye de former ses disciples pour qu’ils construisent l’Église telle que Dieu la veut. Jésus leur apprend que l’Église n’est pas structurée par une logique de pouvoir mais par une logique de service. Il leur enseigne que l’Église ne se construit pas comme un ghetto refermé sur lui-même pour sauver ses biens et ses valeurs mais qu’elle est un peuple au cœur ouvert par la générosité de Dieu.
Rendons grâce au Seigneur qui nous réveille semaine après semaine pour nous faire découvrir de manière plus profonde que le meilleur ferment de la mission est la manière dont nous mettons l’Evangile en pratique, en vivant d’une manière particulière au milieu de nos contemporains. Notre manière de vivre doit permettre à des hommes et à des femmes de se poser des questions et de se dire : Mais pourquoi vivent-ils comme cela ? Pourquoi essayent-ils de se mettre au service des autres et de les accueillir ? Pourquoi essayent-ils de mettre l’amour en pratique ? Puissent-ils alors découvrir que la réponse à ces questions et la clef de ce mystère, c’est le Christ.
Amen.

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