Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Ordinations de 8 diacres permanents
Cathédrale Notre-Dame de Paris - Samedi 10 octobre 2009
Is 52, 7-10 ; Ps 95 ; 1 Th 2, 2b-8 ; Jn 10, 11-15
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
Frères et sœurs, l’ordination diaconale que nous célébrons ce matin est éclairée par trois événements de la vie de l’Église qui se déroulent en ce moment même. Le premier est la fête des Saints Denis, Rustique et Éleuthère, fondateurs de notre Église locale.
Le deuxième événement est le synode des évêques africains réunis à Rome, auquel je participe pour ma plus grande joie. Il me permet de mieux découvrir la fécondité de l’Evangile à travers l’espace et les cultures et de mieux comprendre comment la puissance de la Parole produit son fruit aujourd’hui encore.
Enfin, troisième événement, la canonisation demain à Rome de Jeanne Jugan, fondatrice des Petites sœurs des pauvres.
Ces trois événements apparemment sans lien direct les uns avec les autres, ont cependant une unité très profonde. Tous trois manifestent la vitalité de la mission confiée par Jésus à son Église.
En effet, nous voyons aujourd’hui les fruits de l’annonce de l’Evangile faite par nos fondateurs, saint Denis et ses compagnons. Beaucoup de nos missionnaires, prêtres, religieux et laïcs ont à leur tour fait fructifier cette bonne nouvelle depuis plus d’un siècle en Afrique.
Enfin nous contemplons dans l’exemple de Jeanne Jugan, les fruits de la charité à l’œuvre dans le cœur d’une simple femme qui a découvert comment l’amour de Dieu agissant en elle la poussait bien au-delà de ses propres moyens et de sa condition, à prendre des initiatives pour que les pauvres soient évangélisés.
Et notre Église particulière, notre Église de Paris, est appelée aujourd’hui à prendre sa place dans cette histoire de la mission. C’est à quoi je l’ai invitée en appelant les conseils pastoraux de nos paroisses à mettre en œuvre le projet « Paroisses en Mission ».
Notre assemblée de ce matin est un signe de la vitalité de la mission de l’Église. Vous êtes nombreux à être venus entourer les nouveaux diacres, auxquels vous êtes unis par des liens familiaux, des relations professionnelles, des réseaux d’amitié, ou encore parce que vous appartenez à la paroisse d’où ils viennent.
Et tous ensembles, quelque soit notre foi et notre degré de conviction, nous sommes constitués comme témoins. Nous pouvons rendre compte de ce que produit la force de la Parole de Dieu dans notre société du XXIème siècle, lorsque des hommes engagés dans leur vie professionnelle, dans leur vie familiale et dans leur communauté, sont appelés et répondent pour être ordonnés diacres, c’est-à-dire serviteurs.
Ils ne se proposent pas pour devenir les super-militants dont on rêverait pour remplacer des prêtres moins nombreux et pour nous permettre de continuer à vivre confortablement notre vie chrétienne comme si de rien n’était.
Je ne les ordonne pas pour qu’ils assurent le confort de leur communauté.
Je les ordonne pour qu’ils soient les témoins sacramentels du Christ serviteur, c’est-à-dire qu’ils mettent toutes les forces et le temps dont ils disposent au service de cette mission de l’Église d’être servante de l’Evangile et des hommes de notre temps.
C’est pourquoi leur ordination ne les consacre pas simplement pour exercer les quelques tâches qui leur seront confiées. Elle les consacre pour qu’ils soient un signe à travers l’ensemble de leur existence.
La démarche et la réponse auxquelles les épouses de ceux qui sont mariés ont été invitées tout à l’heure manifestent que le diacre, pour reprendre en la corrigeant un peu une formule de saint Paul, doit être déjà « un bon père de famille ».
C’est dire que son ordination diaconale n’a pas pour premier objectif de l’extraire de la réalité familiale qui est la sienne, et d’en faire un époux ou un père absent. De même sa consécration diaconale ne le désinvestit pas de sa vie professionnelle ou de ses engagements sociaux, comme si, étant devenu serviteur de l’Evangile, il ne pouvait plus se compromettre dans les tâches de ce monde.
Les diacres sont serviteurs dans leur famille, serviteurs dans leur vie professionnelle, serviteurs dans leur vie sociale. Et le signe sacramentelle qu’ils donnent est précisément que ce réseau familial et social et ce tissu d’activités et d’engagement humain qui constitue leur vie sont associés visiblement et sacramentellement à l’offrande du Christ dans l’annonce liturgique de l’Evangile et la participation liturgique à l’eucharistie. Baptisés confirmés, ils sont de plus ordonnés pour manifester le lien étroit entre la louange que le peuple de Dieu est invité à rendre à son Seigneur, et les réalités humaines à travers lesquelles s’accomplit leur existence.
Ainsi d’une façon qui n’est pas toujours très claire ni très facile à expliquer et à conceptualiser, mais qui est pourtant bien réelle et profonde, l’offrande que Jésus fait de sa vie sur la croix diffuse sa réalité sacramentelle à travers la société dans laquelle nous vivons.
Dans l’offrande du Bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis manifestée dans la célébration eucharistique, le ministère des diacres entretien comme un lien visible et permanent entre le Christ tête et pasteur de son Église, et le peuple de Dieu rassemblé, figure annonciatrice du rassemblement de l’humanité.
Que cette unité profonde ne se vive pas sans quelques tensions est assez naturel. Mais ces tensions font partie du don que nous sommes invités à faire de nous-mêmes, et ne sont d’ailleurs pas plus exigeantes que bien d’autres, que nous supportons pourtant et qui manifestent que la vie humaine est compliquée et l’être humain limité.
Mais si bien des hommes et des femmes supportent des contraintes importantes pour faire aboutir des projets dans leur vie sociale et professionnelle, si d’autres, ou les mêmes, sont capables de soutenir bien des souffrances pour protéger l’unité de leur famille et permettre à leurs enfants de grandir dans un climat serein et aimant, vous pourrez vous aussi, par la grâce de Dieu, supporter quelques tensions pour manifester la présence aimante du Christ à tous les hommes.
Chers amis, en vous ordonnant diacre je vous associe directement au ministère apostolique qui m’a été confié. Je vous y associe avec l’ensemble de ceux qui vous ont précédés, qui sont largement représentés de part et d’autre de ce chœur, et qui pour un certain nombre ont rejoint la maison du Père, comme Dominique d’Arras dont c’est aujourd’hui le jour anniversaire du décès.
Tous ensembles nous sommes associés à une même mission qui est l’annonce de la Bonne nouvelle aux hommes de ce temps et de manifester comment l’Evangile peut transformer la vie d’un homme, la vie d’une famille, la manière d’être dans la société, la manière de se comporter dans le travail, dans les loisirs, dans les affaires et même parfois dans la finance !
Nous sommes attelés à une même tâche qui est de manifester que Jésus-Christ est le chemin, la vérité et la vie, qu’il connaît le Père et qu’il nous le fait connaître.
Nous sommes engagés dans la mission de l’Église et c’est là notre joie, comme le prophète Isaïe nous le rappelait tout à l’heure. Nous exultons de joie parce que de chacune de nos vie, si pauvres que nous puissions les juger, Dieu fait l’instrument avec lequel il va montrer aux hommes le chemin du salut.
Ensemble nous sommes appelés à être des signes visibles sur ce chemin, ensemble, nous sommes appelés à servir le peuple de Dieu qui est témoin dans le monde de ce que l’amour est plus fort que tout.
La figure de Jeanne Jugan, servante des personnes âgées abandonnées, vous est donnée pour éclairer les débuts de votre vie de diacre. Nous sommes appelés à nous faire serviteur de ceux qui sont méconnus, abandonnés, dans la souffrance et dans la peine.
Nous ne sommes pas invités à venir auprès d’eux pour entretenir leur lamentation, mais pour être un signe d’amour et leur apporter une espérance.
Que Dieu donne à chacun d’entre-vous la joie d’être ce signe d’amour dans le monde d’aujourd’hui. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris