Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Envoi en mission des catéchistes
Saint-Germain des Prés - samedi 12 septembre 2009
Le samedi 12 septembre 2009, à l’église de Saint-Germain-des-Prés, le service de la catéchèse du diocèse de Paris avait invité les catéchistes de toutes les paroisses autour de l’archevêque pour une matinée de prière et de formation.
On trouvera ici le texte de l’intervention du Cardinal André Vingt-Trois, le compte rendu de l’échange qui s’en est suivi et l’homélie de l’archevêque au cours de la messe.
Intervention du cardinal André Vingt-Trois
Bonjour à tous,
Je suis très heureux de vous retrouver aujourd’hui dans cette église pour cet échange qui vous donnera, je l’espère, quelques encouragements, quelques forces et quelques lumières pour le chemin qui s’ouvre devant nous au seuil de cette année qui commence.
Le catéchisme dans la mission de l’Église
La première chose que je voudrais vous dire est de souligner combien votre tâche est importante à l’intérieur de la mission de l’Église, et que cette importance transcende les difficultés petites ou grandes que vous pouvez rencontrer semaine après semaine dans le travail catéchétique. La grande mission de l’Église est d’annoncer l’amour de Dieu pour les hommes et d’ouvrir des portes, pour que le plus grand nombre possible de nos contemporains puissent connaître cet amour et s’en réjouir. Or, c’est aussi la fonction principale de la catéchèse. Cette première remarque a plusieurs conséquences.
1. Nous devons toujours mieux comprendre pour nous-mêmes, et à travers nous pour les autres, que le premier catéchiste c’est le Christ, pas nous.
C’est Jésus lui-même qui nous apprend l’amour de Dieu pour les hommes, par son Esprit-Saint et par l’exemple de sa vie, de sa mort et de sa résurrection. Nous ne sommes que des instruments et des intermédiaires dans cette œuvre catéchétique du Seigneur.
Pour comprendre le rôle primordial du Christ dans la catéchèse, nous pouvons nous rappeler le récit (que vous connaissez certainement par cœur) des disciples d’Emmaüs. Ces deux hommes rentrent chez eux et sont accompagnés sur le route par quelqu’un qu’ils ne reconnaissent pas et qui leur dévoile petit à petit le sens des Ecritures et leur fait comprendre le sens des événements qu’ils ont vécus.
Ces deux hommes qui marchaient tout occupés par leur tristesse et leurs propres pensées, sont comme ouverts de l’intérieur pour passer à une autre réalité. Ils se laissent saisir par la parole de celui qui est avec eux, et qu’ils ne reconnaîtront que plus tard comme étant le Christ.
Chaque fois que nous entreprenons une action catéchétique, il est donc important que nous nous remettions dans cette présence mystérieuse du Christ (« Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas » (Jn 1, 26)). Le Christ nous est d’une certaine manière invisible, mais sa présence est réelle : il nous ouvre le livre des Ecritures. Par son Esprit, il ouvre aussi notre cœur et celui de celles et de ceux auxquels nous nous adressons pour nous faire comprendre ce que Dieu veut dire et donner aux hommes.
2. Cette fonction catéchétique est assumée par l’Église toute entière. Ce n’est pas votre spécialisation, qui ferait de vous des professionnels de la catéchèse à côté de chrétiens pour qui cela n’aurait aucune importance.
L’Église entière assume cette fonction du Christ catéchète et interprète de la Parole de Dieu. Dans cette mission de l’Église, vous avez un rôle particulier pour aider le plus possible les enfants, mais aussi leurs parents et leur famille, à entrer dans ce dévoilement de la présence du Christ et de la manifestation de l’amour de Dieu pour tous les hommes.
3. Cette mission qui vous est confiée, repose d’abord sur votre vie chrétienne.
Pour être catéchiste la première qualification est d’être chrétien et d’essayer de le vivre du mieux possible. Ceci passe par votre propre investissement pour accueillir et méditer la Parole de Dieu, par votre engagement dans la prière personnelle et votre participation à la vie de l’Église.
Tout ce que vous pouvez faire dans un groupe de catéchèse pour essayer d’éveiller l’attention des enfants ou des jeunes à l’Evangile prendra du poids dans la mesure où ils comprendront que c’est aussi pour vous une réalité vivante. Vous n’êtes pas des enseignants, vous n’êtes pas des professeurs de géographie ou de sciences de la nature. Vous êtes des guides et des témoins, personnellement impliqués dans le chemin qui est proposé et parcouru.
4. Cette découverte et cette rencontre du Christ doivent être une fête. Pour la plupart des enfants, venir au catéchisme n’est pas forcément une fête au départ… Il faut alors les aider pour qu’ils le découvrent.
Et pour cela il faut que cela soit une fête aussi pour vous. Ceci signifie que cette rencontre ne doit pas vous être une corvée ou une source d’appréhension qui ferait que vous arrivez armés de toutes sortes de choses préparées pour vous protéger. Il est bon que vous arriviez le cœur et les mains ouverts, que ce soit une vraie joie pour vous de rencontrer et de connaître ces enfants.
5. Ceci commence par le désir de fortifier et de développer avec les enfants une relation qui soit une véritable expérience d’Église. Vous ne faites pas une séance d’enseignement anonyme, mais vous rencontrez des personnes dans ce qu’elles ont de particulier, des enfants ou des jeunes que vous apprenez à connaître et à aimer, et que vous aidez à découvrir petit à petit à travers cette relation nouvelle pour eux, que Dieu aussi les connaît et les aime. « Dieu nul ne l’a jamais vu, mais si nous nous aimons les uns les autres » (1 Jn 4, 12) alors il devient perceptible parce que l’amour est une réalité de l’existence.
La rencontre de catéchisme
Pour que cette rencontre soit une fête, elle a besoin d’un certain nombre d’éléments , sur lesquels je voudrais maintenant attirer votre attention.
1. Cette fête a besoin pour se vivre de conditions agréables autant que faire se peut. Il ne s’agit pas simplement d’avoir des locaux confortables, qui auraient été bien préparés par d’autres pour nous accueillir. Il s’agit d’abord que nous soyons capables de nous accueillir les uns les autres, de montrer que nous sommes heureux de nous retrouver.
2. Ce bonheur de nous retrouver commence si nous nous mettons réellement en présence de Dieu en priant. Il n’est pas si facile, lorsque nous débarquons le matin l’esprit occupé de toutes sortes de choses, de se remettre dans le calme et le silence pour écouter la Parole du Christ. Ceci ne prendra pas forcément très longtemps.
Mais c’est une manière d’inscrire dans le déroulement de l’activité, que nous sommes conscients que celui qui en est le centre, c’est le Christ. Donc nous pouvons passer un moment, si court soit-il, à nous remettre en face de lui, et à lui faire sa place dans notre cercle.
3. Nous accueillir, c’est aussi écouter ce que chacun peut apporter. Rappelez-vous le Christ qui cheminait avec les disciples d’Emmaüs et leur demandait - avant de leur dévoiler le sens des Ecritures - de quoi ils parlaient en marchant.
Peut être est-ce aussi une chose importante pour nous de prendre le temps de faire parler les enfants de ce qui les intéresse ? Peut être pas tous à chaque fois, mais apprendre à s’écouter les uns les autres, c’est aussi cela construire une vie d’Église.
4. Vivre une rencontre joyeuse c’est aussi chanter. C’est très important car je m’aperçois que beaucoup de jeunes aujourd’hui ont du mal à chanter, comme ils ont du mal à parler ou à lire. Nous sommes dans une culture du spectacle et non pas de la participation. Tous les efforts pour que chacun puisse dire quelque chose, lire quelque chose et pour que l’on apprenne à chanter quelque chose ensemble sont donc importants.
5. Dans une séance de catéchèse, la Parole de Dieu est le centre de tout. Comment bien choisir les quelques phrases de l’Ecriture que l’on va écouter, et peut-être dessiner, reproduire ou enluminer . Ces quelques versets pourront aussi être appris, on pourra rappeler ceux de la fois précédente.
6. Enfin, régulièrement, sinon chaque fois, il est bon de chercher à vivre ce temps de la catéchèse non pas simplement comme l’expérience particulière d’un petit groupe mais comme un acte d’Église. Pour cela, il nous faut entrer physiquement dans l’église. Je ne sais si les enfants qui viennent au catéchisme viennent souvent à l’église, mais certains n’y sont certainement jamais entrés.
On ne devient pas familier d’un bâtiment aussi extraordinaire simplement en le traversant en courant une fois tous les trois mois. Si nous voulons que l’église devienne vraiment leur maison, il faut leur apprendre à l’habiter.
Pour cela il est bon de les y amener et de les aider à découvrir ce qui reste mystérieux pour eux et les choses qu’ils ne connaissent pas : Pourquoi y-a-t-il de l’eau bénite à l’entrée d’une église ? Que fait-on de cette eau ? Que représente la croix dans le chœur, et l’autel au centre de l’église, et l’ambon ? Si vous avez la chance en plus d’avoir de beaux vitraux, que représentent-ils ? Quelle histoire est racontée ? Ainsi, vous leur donnerez de prendre petit à petit possession de ce lieu et rendrez possible d’y rassembler régulièrement tous les groupes de catéchèse pour un temps de prière commune.
La relation avec les familles
Je voudrais maintenant vous parler d’un point important qui concerne la relation avec les familles. C’est une dimension très importante de votre mission, même si elle est assez complexe, car nous avons affaire à des familles très différentes qui n’ont pas la même attente à l’égard du catéchisme.
Certains parents sont des chrétiens assez convaincus et déterminés. Parfois ceux-ci comparent un peu vite leur propre expérience du catéchisme avec ce que font leurs enfants, et ils sont tout étonnés que cela ne soit pas la même chose, comme si le catéchisme était une entreprise de répétition perpétuelle. Ou bien même s’ils comptent sur nous pour transmettre à leurs enfants ce qu’eux-mêmes ont reçus mais ne leur transmettent pas.
Nous avons aussi affaire à des familles qui sont plus éloignées de l’Église, moins familières et moins motivées. Certains parents attendent du catéchisme autre chose qu’une découverte de Jésus Christ. Ils mettent leurs enfants au catéchisme tout simplement parce qu’ils pensent qu’on leur donnera des bons principes. Je crois qu’il ne faut pas forcément les décevoir en leur donnant de mauvais principes… mais il faut aussi les aider à comprendre que nous ne sommes pas un distributeur de principes de vie et que nous sommes au service d’autre chose.
Et puis, enfin, nous voyons des familles pour lesquelles l’éducation des enfants reste très largement un mystère. Elles ne savent pas très bien ce qu’il faut faire. Cela peut se comprendre du fait que notre temps est un temps de bouleversement et d’éclatement des repères. Les parents sont parfois convaincus – ils en ont fait l’expérience - que ce qu’on leur avait appris ne fonctionne plus. De plus, leur vie ne correspond pas toujours à la morale et ils sont bien embarrassés de demander à leurs enfants de vivre des valeurs qu’eux-mêmes ne vivent pas. Dès lors, comment va-t-on faire face à ces situations déstructurées ? Que veut dire l’amour définitif pour des enfants dont les parents se sont séparés ? Que signifie donner tout dans une société où le premier souci c’est de prendre tout ? Quel est le sens de l’amour des autres ou du service du prochain ?
Sur ces questions comme sur d’autres, beaucoup de familles ne sont pas d’accord avec ce que nous disons. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de laisser les enfants être seuls les arbitres de ce désaccord. Ce serait faire reposer sur eux une tension qui n’est pas normale. Ce conflits entre différentes autorités qui ne sont ni convergentes, ni non plus complices, peut d’ailleurs être également vécu à l’école.
Il nous faut construire une collaboration, et nous donner une capacité de mettre en œuvre certains objectifs, qui ne sont pas données au départ, simplement parce que les parents auraient inscrits leur enfant au catéchisme. Nous devons les aider à comprendre, nous devons exposer et expliquer ce que nous essayons de faire et accepter qu’ils ne comprennent pas forcément, qu’ils ne soient pas toujours d’accord avec nous. Mais puisqu’ils ont inscrit leur enfant au catéchisme, nous pouvons espérer avec raison qu’ils peuvent entrer un peu dans nos objectifs, à conditions qu’il y ait un lieu pour en parler.
Or ce lieu n’est pas facile à trouver, pour des raisons pratiques d’abord, car beaucoup de parents ne sont pas disponibles et ne viendront pas forcement aux réunions proposées. Je crois qu’ils ont avant tout besoin d’être en relation avec quelqu’un et que nous devrions être plus attentifs à mettre en place des agents de médiation.
Il ne faut pas que tout repose sur le ou la catéchiste qui ne peut pas tout faire. C’est une noble ambition que d’avoir des catéchistes qui fassent tout, mais cela réduit pratiquement la possibilité d’en trouver. Nous ne pouvons pas demander à des personnes ayant une vie assez occupée, avec des enfants, une activité professionnelle et les soucis de la vie quotidienne, d’assurer la liaison continue avec toutes les familles. Mais, faute de capacité à le faire, nous ne pouvons pas non plus laisser les familles de côté en décrétant qu’elles ne s’intéressent pas à ce que nous faisons.
Nous devons plutôt travailler par contagion capillaire en nous appuyant sur certains parents un peu plus dans le coup, un peu plus convaincus et disponibles. Ils seront des témoins, des parrains, des accompagnateurs ou des interlocuteurs. Ils pourront se mettre en relation avec une famille de leur voisinage, s’assurer de la transmission des nouvelles, vérifier que les dates ont bien été enregistrées… Surtout, ils vont parler et écouter. Par exemple, nous savons tous que les portes des écoles primaires sont un lieu idéal pour commencer à parler de la catéchèse : c’est un endroit où les gens attendent et sont disponibles, à condition toutefois que quelqu’un leur parle et que chacun ne reste pas avec son téléphone à l’oreille en attendant que la cloche sonne, mais accepte de faire le premier pas pour commencer à aborder les vraies questions.
Mettre en place de tels relais permet que le groupe de catéchisme ne soit pas un rassemblement aléatoire mais devienne petit à petit une cellule de relations. Cela ne solutionnera pas tout mais permettra de progresser dans la prise en charge des relations avec les familles. Et ceci donnera aussi à des personnes pas très préparées et qui n’accepteraient certainement pas d’être catéchistes, de découvrir qu’il y a quelque chose à faire et qu’après un, deux ou trois ans au service des relations et des contacts avec les autres, elles seront peut-être capables de prendre un peu plus de responsabilités et de participer à l’animation d’une séance de catéchisme avec vous, avec le rêve secret de prendre votre place dès qu’elles le pourront ou dès que vous la leur laisserez !
C’est ainsi que s’organise le renouvellement : en familiarisant, en introduisant peu à peu des nouvelles personnes, en les aidant à dédramatiser, à s’habituer, à se connaître et à faire un petit quelque chose. Ce n’est pas si difficile de trouver deux mères de famille qui acceptent une fois de temps en temps de préparer un goûter ou autre chose. Ce petit travail peut les changer beaucoup car cela leur permet de se mettre au service des autres, et de proche en proche de prendre une place dans le dispositif.
Dans la relation avec les familles, le plus important est donc de progresser dans notre capacité à communiquer avec elles sur ce que nous faisons et à les y intéresser. Il y a des instruments qui peuvent nous y aider. Le P. Teilhard de Chardin a évoqué tout à l’heure le calendrier [Chaque jour avec Dieu, le calendrier pour toute la famille, Cerf, Mame, Edifa]. C’est un outil familial et ludique, conçu pour permettre le dialogue entre les parents et les enfants. Il y a aussi toutes sortes de petits livres de prières que vous pouvez mettre au point ou trouver tout faits.
L’ouverture à l’Église
Pour finir, je voudrais parler avec vous de l’importance d’ouvrir l’esprit des enfants à l’Église, c’est-à-dire à la communauté des chrétiens. Il y a pour cela plusieurs portes d’entrée possible :
1. La première porte d’entrée est la messe du dimanche. Nous ne pouvons pas prendre au sérieux les dix commandements (qui font d’une manière ou d’une autre partie de notre petit kit catéchétique), si nous oublions celui qui dit : « Tu honoreras le jour du Seigneur ». S’il n’y en avait plus que neuf, d’une certaine manière ce serait plus simple. Mais ce commandement n’est pas une invention tardive d’origine obscure. Il vient du récit de la création : le septième jour, Dieu s’arrêta et trouva que tout ce qu’il avait fait été beau.
Il nous faut avoir assez de détermination sur ce point pour proposer une initiation à la première communion qui ne soit pas simplement une formalité, mais qui soit vraiment une entrée dans l’Eucharistie, c’est-à-dire dans l’Eucharistie habituelle. Cette question demande un vrai dialogue avec les familles.
2. Il y a dans notre ville beaucoup de lieux importants qui montrent quelque chose de l’Église et donnent de voir qu’elle est quelque chose de plus grand que le bâtiment de notre quartier. Même si je suis d’une génération qui était sous informée par rapport à la génération actuelle, j’ai découvert à 8 ou 9 ans l’existence concrète de l’Asie en visitant la salle des martyrs aux Missions étrangères de Paris. Paris ne manquent pas de ces lieux très intéressants pour aider les enfants à comprendre que l’Église existe à travers le monde et qu’elle est une réalité vivante aux multiples visages.
3. Nous pouvons aussi faire découvrir l’Église aux enfants à travers les figures des saints et des héros, qui marquent facilement cet âge. Dans notre patrimoine français et même parisien, nous avons des exemples de sainteté qui ne sont pas simplement des images de vitrail mais dont nous pouvons retrouver la trace physique dans Paris. Les rencontrer permet de découvrir que la force de l’Evangile a transformé beaucoup de choses tout au long de l’histoire des hommes.
4. On dit que les prêtres ne peuvent pas être habituellement présents aux séances de catéchisme. Quand j’étais enfant il y a plus 50 ans, il n’y en avait pas davantage, et la pédagogie était souvent plus rudimentaire. Aujourd’hui la qualité pédagogique est au rendez-vous, et il me semble bien que le prêtre soit de temps en temps aussi au rendez-vous. Je vous suggère de travailler avec les prêtres pour réfléchir quand et comment ils vont venir, et pour quoi faire : pas pour remplacer la catéchiste quand elle a la grippe, mais pour apporter quelque chose qui leur est propre.
Peut être peuvent-ils se charger d’accueillir les groupes dans l’église pour un temps de prière, ou de faire un commentaire d’évangile ? Il est bon que les enfants voient que le prêtre a un rôle différent du vôtre, et aussi que sa présence n’est pas seulement symbolique mais apporte une valeur ajoutée et vaut la peine d’être prévue. Car si on se dit que sa venue met la pagaille et que les enfants ne comprennent pas ce que vient faire ce personnage étrange, ce n’est pas la peine.
Sa présence aide à saisir que le catéchisme n’est pas seulement l’affaire de votre petit groupe, mais est vraiment une œuvre de l’Église et de la communauté chrétienne rassemblée. Vous pouvez réfléchir et travailler avec les équipes de prêtres et les responsables pastoraux, aux moyens de faire voir aux enfants que le rôle du prêtre ce n’est pas simplement de faire un passage éclair mais bien d’être le pasteur de la communauté, celui qui anime sa prière et célèbre l’eucharistie.
Enfin, puisque cette année (pour la deuxième fois dans le diocèse de Paris), est l’année du prêtre, c’est aussi une occasion de présenter les prêtres de la paroisse pour que les enfants sachent qui ils sont, ce que fait le prêtre dans l’Église, pourquoi on a besoin de prêtres, comment Dieu choisit les prêtres… Car si on ne le leur explique jamais comment voulez-vous qu’ils puissent penser qu’ils peuvent être choisis, s’ils ne savent pas comment cela marche ? Peut-être croiront-ils qu’il y a un tirage au sort ou une tombola ? Je souhaiterais donc que l’on fasse ce travail dans le courant de l’année, au moins une fois. Vous pouvez peut-être demander à un prêtre de raconter sa vie, c’est toujours intéressant, surtout s’il retient les bons épisodes.
5. Tout ceci implique aussi que tous les participants de la communauté dominicale soutiennent cette activité catéchétique et que de temps en temps ces enfants apparaissent dans la communauté.
Je suis toujours un peu gêné quand j’ai l’impression que les enfants du primaire et les jeunes sont dans la communauté chrétienne ceux que l’on fait sortir. Cela signifie-t-il qu’ils nous gênent ? Certes, il y a de très bonnes raisons : c’est trop long ou trop compliqué, ils ne comprennent pas et ne suivent pas… Mais j’aimerais mieux que de temps en temps, on les fasse entrer.
Car le but de la catéchèse n’est pas d’apprendre aux enfants à vivre à côté de la communauté chrétienne, mais de leur apprendre à vivre dedans. Je comprends bien qu’on fasse sortir les enfants pour une liturgie de la Parole adaptée, mais il faudrait soigner le moment où ils reviennent plutôt que d’insister sur leur départ.
Car si nous prenons trois minutes pour les faire partir et qu’ils rentrent subrepticement, cela signifie que l’événement, c’est leur sortie et pas leur rentrée. Qu’apportent-ils quand ils reviennent ? Comment leur retour est visible par les adultes et prend une place dans la célébration ? Car si on les colle dans un coin en leur disant d’attendre la fin, comment voulez-vous qu’ils aient envie de venir pour vivre cela ?
Echange questions / réponses
La conversion des enfants.
Faut-il insister sur ce point, leur dire qu’ils peuvent agir, faire des efforts, qu’ils peuvent changer ?
Cardinal Vingt-Trois : Comme vous le savez, la conversion est un fruit de l’amour. Ce qui est le plus difficile dans la conversion n’est donc pas de désigner les efforts à faire, mais de savoir pourquoi on les fait, ou plutôt pourquoi on ne les fait pas toujours. L’enjeu est donc de laisser fructifier l’amour vivant au point que des jeunes se disent : « moi aussi je pourrai faire quelque chose ».
A ce moment-là, nous pouvons les inciter à être plus précis à désigner ce qu’ils peuvent faire. Car il est intéressant de voir que lorsque nous demandons à des jeunes ce qu’ils peuvent faire, ils proposent en général des choses qu’ils ne peuvent pas faire. Peut-être croient-ils que nous attendons d’eux qu’ils désignent des choses qui ne sont pas à leur portée. Nous devons donc les aider à entrer dans le réalisme de leur vie et à trouver ce que chacun peut faire chez lui, aujourd’hui, demain, ou la semaine prochaine, et pas quand il aura trente ans à l’autre bout du monde.
La place de Marie dans une séance de Catéchisme.
Cardinal Vingt-Trois : Dans toutes les églises, il y a une image de la Vierge Marie, souvent spirituellement évocatrice. Dès lors, visiter l’église est l’occasion d’expliquer pourquoi il y a cette image. La lecture de l’Evangile est aussi l’occasion de mettre en valeur la place et la mission de la Vierge Marie. Enfin, trois ans de catéchisme permettent de savoir le Notre Père et le Je vous salue Marie, ou alors il y a une lacune dans le dispositif.
Comment faire venir plus d’enfants au catéchisme ?
Je viens d’un pays où les classes de catéchisme sont pleines et cela me fait de la peine de voir qu’il n’y a peu de moyens en France pour attirer les enfants au catéchisme. Je pense que la seule chose que nous pouvons faire est de prier ensemble, nous, les mamans et ensuite avec les enfants. Si nous prions plus, ils reviendront plus._ Cardinal Vingt-Trois : Il faut toujours prier, et en même temps donner aux parents des moyens pratiques de mettre leurs enfants au catéchisme. Car s’ils sont obligés de mettre leurs enfants au centre aéré le mercredi matin jusqu’à 6 heures du soir, la prière seule ne les fera pas venir. La prière va aider à débloquer les résistances mais ne va pas changer les conditions pratiques. Nous devons travailler aussi sur les conditions pratiques.
La place des enfants dans la messe dominicale
Je suis nouvelle à Paris. Ce que vous avez dit de la participation des enfants à la messe m’a vraiment touché. Dans mon pays les enfants du catéchisme participent à la messe du début jusqu’à la fin. Ici, on m’a demandé de m’occuper des enfants durant la messe : je dois les faire sortir pendant la première lecture et les ramener pour l’offertoire. Cela m’a beaucoup surpris mais je n’ai pas voulu réagir. J’essaie de le faire mais cela me dérange. Car en faisant ainsi je ne crois pas que les enfants vont comprendre qui est Dieu. Pour les bébés, je comprends que s’ils commencent à pleurer, ils puissent sortir avec leur maman. Mais pour les enfants qui suivent la catéchèse, ils doivent rester à la messe jusqu’à la fin pour connaître la messe.
Cardinal Vingt-Trois : Mon propos n’est pas de critiquer que l’on fasse une liturgie de la parole pour les enfants en les faisant sortir, mais de demander quelle est la place des enfants dans la communauté. Il n’y a pas d’ailleurs un régime unique et permanent. Un certain nombre de paroisses organisent des messes des familles chaque mois. C’est une occasion de mieux mettre en valeur la présence des enfants, car à cette occasion ils ne sont pas des enfants isolés, mais rassemblés, et avec leur famille. S’il y a une liturgie de la Parole à côté, il est bon que la réintégration des enfants dans la célébration soit claire et parlante, qu’ils apportent quelque chose ou que l’on puisse voir que ce qu’ils ont vécu à côté apporte un plus, qu’ils ne sont pas simplement des gêneurs que l’on a mis de côté mais des acteurs. Ce n’est pas si facile mais les choses bougent. Aujourd’hui il y a plus de servants d’autel et de modes de participation des enfants à l’eucharistie qu’il y a vingt ans. La place des enfants et des jeunes n’est plus tout à fait la même. Il nous faut d’ailleurs avoir conscience que les jeunes ont besoin de faire quelque chose pour être vraiment présents : servants d’autel, préparer un chant qu’ils vont chanter…
L’accueil des enfants qui ont un handicap à la messe
Cardinal Vingt-Trois : Les enfants qui ont un handicap sont pris bien malgré eux dans une contradiction qui est celle de notre société : celle-ci ne fait pas de différence entre les handicapés et les autres, mais se débrouille en fait pour qu’on ne voit pas les handicapés. Elle ne fait pas de différence mais elle tire un rideau. Nous sommes nous aussi exposés à cette contradiction dans notre pratique chrétienne. Il ne suffit pas de mettre en œuvre des groupes spécialisés pour aider des enfants handicapés à progresser dans la connaissance du Christ. Il nous faut aussi leur faire une place dans la vie de la communauté chrétienne.
Un certain nombre de paroisses ont fait un effort, justement pour aider l’ensemble des jeunes à connaître et à apprécier la présence de jeunes handicapés. Ils découvrent que ces jeunes ont quelque chose à apporter. Il y a aussi des groupes Foi et Lumière dans beaucoup de paroisses qui aident à mieux comprendre et à mieux vivre la présence des handicapés dans une communauté chrétienne. J’encourage beaucoup la création de ces groupes quand ils n’existent pas. Ils permettent à des jeunes handicapés de ne pas être isolés mais de participer à la vie de la communauté avec leur famille. C’est très important.
Homélie lors de la messe d’envoi des catéchistes
1 Tm 1, 15-17 ; Ps 112, 1-7 ; Lc 6,43-49
Frères et sœurs,
L’âge des enfants catéchisés pendant le temps de l’école primaire est un âge de fondation. C’est dans cette période que se mettent en place progressivement les éléments qui vont servir de repère et de référence, non seulement dans les années de l’adolescence et de la jeunesse, mais aussi tout au long de la vie. Nombre de traits constitutifs de la personnalité se façonnent dans l’enfance.
Notre tâche catéchétique participe de ce travail de constitution des fondements. Cela ne signifie pas forcément que ce que nous faisons perdurera éternellement, ni que les éléments assimilés seront reconnus et identifiés comme tel tout au long de la vie de ces jeunes. Nous savons bien d’ailleurs que certains d’entre eux passeront par des moments où ils rejetteront ce que nous avons essayé de leur faire découvrir. Mais même alors, ils ne pourront pas faire que ce qu’ils ont vécu n’ait pas été vécu, ils ne pourront pas empêcher que, inconsciemment ou implicitement, ce qui leur sera apparu à un certain moment comme quelque chose de beau et de bon, continue d’éclairer leur vie.
C’est pourquoi nous ne devons pas juger de la valeur de ce que nous faisons uniquement en fonction des fruits immédiats. Cette œuvre de l’annonce du Christ aux jeunes générations fait partie d’un mécanisme collectif de transmission entre les générations. Nous sommes une des pièces de ce mécanisme. L’annonce du Christ que nous essayons de faire s’intègre dans la grande mission de l’Église, mais aucun de nous ne possède la totalité du système, ni la maitrise de la manière dont ce que nous faisons va se développer et fructifier dans l’avenir.
Notre mission requiert donc un acte de confiance et exige que nous revenions sans cesse au noyau, c’est-à-dire à ce qui va être le pôle de référence de l’organisation de toute la vie chrétienne. L’évangile que nous venons d’entendre nous en donne deux expressions.
La première est que la racine et la source de toute sainteté vient du cœur, où s’exerce l’apprentissage de notre liberté et de notre responsabilité. La réalité de notre vie chrétienne n’est pas définie par l’extérieur, mais par les dispositions intérieures du cœur. Ce n’est pas la bouche qui donne le sens du discours, c’est le cœur dont il sourd.
Et la seconde caractéristique incontournable pourrait être définie comme le passage des bons sentiments à la mise en pratique. Il ne s’agit pas de dire : « Seigneur, Seigneur », mais de mettre la parole du Christ en pratique.
Ces deux points mettent l’accent sur les dispositions intérieures, sur ce qui est en nous. Seule compte vraiment la manière dont notre liberté s’engage à l’égard de la personne du Christ et de la personne de nos frères. Ce que nous disons ne compte pas devant ce que nous vivons et ce que nous faisons. Ceci caractérise d’ailleurs toute personnalité humaine équilibrée, qui ne considère pas que tout le mal – ou tout le bien - vient d’ailleurs que d’elle-même et quitte la tentation de pouvoir vivre n’importe comment en gardant un discours conforme à la pensée générale. Un chrétien sait que l’instance ultime de jugement n’est pas l’opinion commune et que Dieu juge non d’après les bons sentiments ou les bonnes paroles, mais selon la manière de vivre. Un chrétien est conscient que sa manière de vivre se définit et se détermine au cœur de sa liberté intérieure, là où il est seul devant Dieu.
Que le Seigneur nous donne la grâce de pouvoir transmettre des éléments aussi fondamentaux pour l’avenir et la construction de la vie de chacun des enfants qui nous sont confiés.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris