Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 32e dimanche du temps ordinaire - Assemblée plénière des évêques

Lourdes, dimanche 8 novembre 2009

Messe télédiffusée à la grotte de Lourdes, pour la clôture de l’Assemblée plénière des évêques de France

 1 R 17, 10-16 ; Ps 145, 5-10 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

ELLE A TOUT DONNÉ…

Saint Marc nous fait entrer dans la dernière étape du chemin parcouru avec les disciples à la suite de Jésus tout au long de la lecture de l’évangile. Jésus vient d’entrer à Jérusalem où va s’accomplir son sacrifice. L’évangéliste regroupe ici un certain nombre des scènes vécues dans le Temple, lieu du sacrifice par excellence.

De même que les sacrifices des animaux n’étaient qu’une préfiguration du sacrifice parfait que Jésus vivra sur le Golgotha, de même les pratiques communément vécues dans le Temple de Jérusalem doivent évoquer et symboliser le véritable sacrifice qui plaît à Dieu, le sacrifice du cœur. C’est le sacrifice du cœur qui donne le sens des rites sacrificiels. La présence, les gestes et les paroles de Jésus dans le Temple sont à la fois un dévoilement du sens plénier des pratiques coutumières anciennes et un appel à aller jusqu’au bout du sens de ces pratiques.

Le geste de la pauvre veuve qui nous est présenté aujourd’hui, joue ce rôle de révélateur. Si peu qu’elle puisse donner, en donnant tout ce qu’elle avait pour subsister, elle dévoile l’artifice des dons somptueux qui ne représentent qu’une mince partie du superflu des donateurs bien visibles et considérés. L’évangile de Marc nous invite à tirer plusieurs leçons de cette scène. Deux paradoxes peuvent résumer l’enseignement qui nous est proposé.

1. L’ostentation et la discrétion.

A de nombreuses reprises, les évangiles nous invitent à une religion du cœur plus qu’à une religion des apparences. Ils mettent souvent en opposition ceux qui aiment se faire voir dans les synagogues et occuper les premières places et les humbles qui s’approchent avec crainte et discrétion. Ainsi en est-il de l’opposition entre la prière du pharisien et la prière du publicain.
Le premier se considérait juste et faisait à Dieu la faveur de s’occuper de lui. Le second, brisé par le sens de son péché se considérait comme indigne de s’adresser à Dieu. De même ici, nous avons un contraste entre les offrandes somptuaires de ceux qui aiment à faire savoir que Dieu doit beaucoup à leur générosité, et la discrétion de la pauvre veuve qui se glisse pour faire sa modeste offrande.

Nous avons tous en mémoire un des versets qui concluent le Discours sur la Montagne dans l’évangile de saint Matthieu : « Ce ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur qui entreront dans le Royaume, mais ceux qui font la volonté de mon Père. » (Mt 7, 21).
Dans un monde principalement structuré par le jeu des images, nous devons être plus que jamais attentifs à ne pas nous laisser subvertir par l’illusion des apparences. Nous le savons, ce qui compte aux yeux de Dieu ce n’est pas l’image que nous donnons de nous-mêmes, mais la réalité de ce que nous vivons en mettant en œuvre notre liberté humaine dans notre relation avec Lui.

Le Royaume de Dieu n’est pas une réalisation humaine que nous pourrions orchestrer selon nos idées et nos convictions. Nous ne construisons pas le Royaume, nous ne le fabriquons pas, nous le recevons.
La communion de l’Église n’est pas le fruit d’un arbitrage, plus ou moins médiatisé, entre des idéologies ou des lobbies, elle est le fruit de l’obéissance du cœur à ce que Dieu veut accomplir à travers nous quand nous acceptons de nous mettre à l’écoute de sa Parole transmise par l’Église dans sa mission apostolique et quand nous acceptons de reconnaître que nous sommes des « serviteurs inutiles. »

Il nous arrive parfois de nous impatienter devant la lenteur de l’évolution des mentalités et de regretter que nos assemblées épiscopales ou diocésaines prennent trop de temps pour approfondir des dossiers.
Mais ce temps que nous passons à délibérer et à nous écouter est aussi le temps où nous nous disposons à accueillir dans la communion des évolutions de pensées et de pratiques qui ne sont pas le simple fait du fonctionnement social mais sont suscitées par le lent travail de l’Esprit. C’est le temps nécessaire à l’évolution des cœurs, à leur conversion et à leur ouverture aux projets de Dieu.

2. Le superflu et le nécessaire.

Il n’est pas utile de faire une longue exégèse pour comprendre l’opposition suggérée par l’évangile entre le don superflu, même si ce superflu représente une grosse somme, et le don que fait cette pauvre veuve de tout ce qui lui reste pour survivre, même si ce don ne représente que quelques piécettes.
La valeur de l’offrande reconnue par le Christ ne vient pas de la valeur financière ni marchande mais de la valeur humaine, de ce que représente réellement ce don pour cette femme. Et s’il était besoin de confirmer cette intention de l’évangéliste, le rappel de la rencontre du prophète Élie avec la veuve de Sarepta suffit à nous éclairer (1 R 17, 8-16). Le peu qu’elle possède et que le prophète lui demande est tout ce qui les sépare, elle et son fils, d’une mort inéluctable.

Le récit de l’évangile de Marc nous fait bien percevoir que, entre le « superflu » des riches et le « nécessaire » de la pauvre veuve, la différence n’est pas seulement quantitative. Elle est avant tout qualitative. La différence qualitative qui existe entre ceux pour qui la relation à Dieu est un élément de leur vie qui demeure relatif parmi beaucoup d’autres éléments et ceux pour qui la relation à Dieu est un élément déterminant et structurant de tout le reste.

Quand la société et la vie sociale n’intègrent plus les références chrétiennes, nous mesurons mieux combien il est difficile de rester chrétien par une adhésion qui ne toucherait pas les grands choix de notre vie et les orientations de notre liberté.
Tout ce qui constitue l’organisation quotidienne de notre existence, toute notre personne, est acculé à formuler un choix décisif. Notre référence chrétienne est-elle vraiment ce qui mobilise tout notre être, toutes nos facultés de penser, de sentir, de décider et d’agir ou bien n’est-elle qu’une appartenance variable qui entre en compétition ou en concurrence avec tant d’autres possibilités ?

C’est devant ce choix que nous placent les circonstances de notre temps. C’est ce choix qui va déterminer notre participation active à la vie de l’Église : le catéchisme de nos enfants, notre capacité à nous déplacer pour participer à la Messe du dimanche ou notre disponibilité pour donner de notre temps et de notre énergie au service de nos frères.
Nous devons rendre grâce à Dieu que les difficultés que nous rencontrons jour après jour nous incitent à faire ce choix. Allons-nous rester dans la logique du cadeau que nous pouvons faire avec notre superflu, en nous félicitant de notre générosité, ou allons-nous suivre le Christ dans la logique du don total avec la pauvre veuve, la logique du sacrifice : « elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre. » (Mc 12, 44) ?

Seigneur, au moment où nous célébrons la mort et la résurrection de ton Fils, donne nous le désir d’offrir toute notre existence avec lui dans la confiance et la joie.

+André cardinal Vingt-Trois

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