Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - consécration épiscopale de Mgr Luc Ravel, évêque aux armées françaises - 1er dimanche de l’Avent

Notre-Dame de Paris - dimanche 29 novembre 2009

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
 Jr 33, 14-16 ; Ps 24, 4-5.8-10.14 ; 1 Th 3, 12-4,2 ; Lc 21, 25-28.34-36

Frères et sœurs,
Cet après midi, notre assemblée compte nombre d’hommes et de femmes dont la mission est de se tenir prêt à intervenir dans les drames qui frappent l’humanité, et le cas échéant d’y faire face effectivement, comme le manifeste l’engagement des membres des forces armées de notre pays à travers le monde.
Beaucoup de ceux qui sont ici ont fait l’expérience concrète des désastres qu’annonce le passage de l’évangile de saint-Luc que nous venons d’entendre.
Qu’il s’agisse de la défense du droit contre la violence illicite, de l’interposition entre des groupes armés, des secours humanitaires apportés dans des situations de crise extrême, sur le territoire national ou en d’autres lieux du monde, les hommes et les femmes des forces armées françaises sont habitués et entraînés à affronter ces drames qui traversent l’histoire des hommes.

La question plus spécifique qui nous est adressée est de savoir comment ceux et celles qui sont engagés dans cette mission y vivent le témoignage de la foi chrétienne ?
Comment les hommes et les femmes qui sont confrontés à la souffrance et souvent à la mort de beaucoup de leurs semblables ne cèdent pas à ce sentiment que l’évangile évoque en disant : « Les hommes mourront de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde » (Lc 21, 26) ? (La traduction littéral serait même plutôt « sécheront de peur ».)
Devant la violence, l’agressivité et la force traumatisante des événements dramatiques de l’histoire, devant les hommes, les femmes et les enfants mourants de faim, totalement démunis, pris dans la turbulence des violences armées du monde ou réduits à une existence pitoyable par les catastrophes naturelles, beaucoup sont terrifiés et éprouvent la puissance de l’œuvre de la mort.
Ils discernent son œuvre destructrice en eux-mêmes, dans leur propre chair, dans leurs proches, dans leur région et leur pays.

Si nous croyons au Christ ressuscité, si nous croyons qu’il a vaincu la mort, définitivement, qu’il fait entrer dans sa victoire l’humanité toute entière, qu’il est retourné auprès du Père, qu’il continue d’intercéder pour nous et envoie son Esprit comme une force de lumière et de paix ; si telle est notre foi allons-nous aussi « sécher » et « mourir » de peur devant les événements qui frappent le monde ? Allons-nous vivre comme des gens qui n’ont pas d’espérance ?
Ou bien, comme nous y invite l’Evangile, saurons-nous discerner dans ces événements non pas la victoire du mal et de la mort, mais le signe de l’accomplissement de la promesse du Christ, de notre rédemption et du Salut qui vient ? « Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête car votre rédemption approche » (Lc 21, 28).

Nous savons qu’il peut y avoir un écart entre notre capacité à accueillir ces paroles (et peut-être même à les répéter) et l’adhésion de notre cœur à la certitude que Dieu n’abandonne pas les hommes et que le Christ est venu pour qu’ils vivent.
Notre sensibilité et notre raison peuvent toujours se raidir devant les malheurs qui s’abattent sur le monde. Nous pouvons être authentiquement chrétiens et ne pas supporter de voir mourir un enfant ou de voir des hommes et de femmes s’entretuer. Nous pouvons être authentiquement chrétiens et lever le poing vers le ciel quand les calamités s’abattent sur des populations déjà en grave carence.
Et cependant, l’espérance qui nous habite doit progressivement transformer notre regard et notre manière d’agir. Elle nous conduit à reconnaître dans ces événements des signes annonciateurs du Salut qui vient. « Redressez-vous et relevez la tête car votre rédemption est proche » (Lc 21, 28).

Car nous savons que Dieu a accompli la promesse comme il l’avait dit par le prophète Jérémie : « Voici venir des jours où j’accomplirai la promesse de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Judas » (Jér 33, 14). Dans l’incarnation du Fils de Dieu, Jésus de Nazareth, Dieu est venu partager la misère humaine. Il a pris sur lui la mort de l’homme pour lui donner sa vie. Par son amour, il a ouvert un chemin d’espérance à travers les siècles de l’humanité. L’homme n’est pas voué à la mort, il est voué à la vie.

Mais comment vivre l’écart entre la réalité de l’accomplissement de cette promesse et la violence que nous devons encore supporter ? « Restez sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie et que ce jour ne tombe sur vous à l’improviste » (Lc 21, 34). Le Seigneur sait que nous sommes soumis à l’alourdissement du cœur, l’engourdissement du désir et l’engorgement sous les soucis et les contraintes du quotidien. Il voit cette attraction des tâches les plus immédiates qui finissent par nous mobiliser entièrement, nous courbent vers la terre et nous font perdre l’habitude de lever notre regard vers le ciel.
« Tenez-vous sur vos gardes » pour ne pas vous laissez alourdir, engourdir, assoupir, pour ne pas vous laissez hypnotiser par le jeu des événements et des choses, pour garder en vous la capacité de vous tourner vers Dieu, non pas seulement de manière exceptionnelle, annuelle ou mensuelle, mais chaque jour et en toute chose. Car comment pourrions-nous affronter le mal du monde si nous ne restons pas en communion avec le Dieu du Salut, non pour oublier les malheurs de la terre, mais pour capter dans cette communion la lumière et le sens ultime de ces évènements ?
Comment ne pas céder au désespoir quand tant de grands esprits y ont cédé au cours des siècles, écœurés de ce qu’ils étaient obligés de voir et impuissants à empêcher la mort ? Dans vos unités, où vous êtes confrontés régulièrement à la mort, comment supporter cela sans défaillir mais en croyant que Dieu accomplit sa promesse ? « Restez éveillés et priez en tout temps » (Lc 21, 36).
Voilà notre espérance, qui nous permet de paraître debout quand le Christ vient. Voilà ce qui nous permet d’être jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver. Notre espérance profonde ne vient pas de nos armes ou dans nos forces morales ou physiques, mais de la promesse et de la présence de Dieu qui tient l’homme dans sa main et l’accompagne vers la vie.

Mon cher Luc, vous recevez le ministère d’être le pasteur de ces hommes et de ces femmes qui sont souvent au premier rang dans la confrontation de l’homme avec la misère et la mort. Vous serez au milieu d’eux le témoin de ce que Dieu n’abandonne jamais ses enfants. Ils le croiront parce qu’ils verront qu’avec vos collaborateurs vous resterez au milieu d’eux et ne les abandonnerez pas.
Vous serez parmi eux le témoin de l’espérance quand le deuil frappe cruellement et injustement. Vous ne serez pas de ceux qui s’écroulent pour accroître la douleur mais vous garderez vivante la flamme de l’espérance en vous tenant debout et en servant de soutien à ceux qui faiblissent. Vous serez parmi eux le témoin de la charité de Dieu qui s’est fait proche de l’humanité en son Fils Jésus.
Vous êtes envoyé pour vous faire proche des hommes et des femmes de ce diocèse des forces armées pour être, avec les prêtres qui vous assistent, le signe de cette proximité de Dieu en toute situation.

Frères et sœurs, notre prière aujourd’hui est une prière d’espérance. Dieu n’a pas abandonné les hommes, il ne les abandonne pas et ne les abandonnera pas. Nous en sommes aujourd’hui les témoins. Nous voulons en être des témoins éveillés, debout, relevant la tête, car nous le savons, notre rédemption approche.
Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris

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